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dimanche 14 mai 2023

Comment réformer l’image de la retraite ? La psychanalyste Claude Halmos répond

Publié le 12 mai 2023

Claude Halmos  Psychanalyste

« Le divan du monde ». Dans cette chronique, la psychanalyste s’appuie sur vos témoignages et vos questionnements pour comprendre comment l’état du monde percute nos vies intimes.

le divan du monde — illustration de la chronique, version web

Des centaines de milliers de Français sont descendus dans les rues pour s’opposer à la réforme qui repousse l’âge du départ à la retraite. Interrogés lors des manifestations, ils ont dit combien, s’ajoutant à des conditions de vie rendues de plus en plus difficiles par l’inflation, cette réforme était pour eux d’une violence inacceptable. Et beaucoup ont souligné que, les confrontant à la crainte d’une dégradation de leur état physique au moment où ils pourraient cesser de travailler, elle leur donnait le sentiment d’être des objets qu’une logique économique dépourvue d’humanité entendait utiliser aussi longtemps que possible.

Cette crainte quant à leur état mérite que l’on s’y arrête. Elle est, en effet, justifiée par la réalité (l’avancement en âge améliore rarement la santé), mais elle dépasse certainement cette réalité et montre que cette réforme a fait surgir (ou réveillé) chez beaucoup une représentation, fantasmatique et inquiétante, de la personne qu’ils pourraient être devenus au moment de leur retraite. Une représentation qui, faisant écho à l’image des retraités que la société véhicule, pèse très lourdement sur nombre d’entre nous, et n’est pas suffisamment prise en compte.

Comment la retraite est-elle vécue psychologiquement ?

La retraite, c’est d’abord la perspective que l’on en a. Pour ceux dont le travail est physiquement et/ou psychologiquement pénible, cette perspective est évidemment celle de la fin d’une épreuve, et d’un soulagement. Mais elle est associée aussi, très souvent, chez les autres, à une idée plutôt joyeuse de libération. On pense que, débarrassé des obligations imposées par le travail, et redevenu pleinement propriétaire de son temps, on va pouvoir réaliser les désirs et les rêves que les contraintes horaires rendaient impossibles. Une lectrice l’écrit : « Je fantasmais le jour où j’allais pouvoir faire la grasse matinée, être libre, papoter avec mes copines, faire de la gym, ne plus avoir mal au dos, partir en vacances sur un coup de tête, aller en Chine en cargo, etc. »

Imaginée, rêvée de cette façon, la retraite n’est pas tant la fin d’une étape que le début d’une autre, que l’on conçoit dans la durée. Elle a le visage d’un avenir.

Pourtant, à ce stade déjà, des discordances se font jour.

La perspective de renouveau, dont le futur retraité se réjouit, est ternie par ses craintes – au demeurant justifiées – quant aux possibilités financières que lui donnera sa retraite ; mais elle se heurte aussi à l’image sociale de la retraite, déjà évoquée. Une image évidemment liée à celle de la vieillesse et marquée, de ce fait, par une peur, génératrice d’un rejet des personnes vieillissantes.

Le futur retraité, qui a l’impression d’être à un tournant de sa route et d’avoir néanmoins encore un certain temps de parcours devant lui, voit régulièrement, dans les yeux des autres, « The end » s’inscrire sur l’écran.

Une lectrice, là encore, le dit : « A partir d’un moment, malgré des facultés intellectuelles intactes et une créativité toujours productive, on entend, venant de son entourage, quelques signes de la perception ressentie de son âge. Le classique : “Alors, vous partez bientôt à la retraite ?” ; l’énervant (en période hivernale) : “Vous skiez encore ?” » 

En fait, dès l’approche de la retraite, un hiatus s’installe entre la façon dont la personne s’appréhende et ce que les autres lui renvoient. Un hiatus qui la fragilise à un moment où elle aurait besoin de toutes ses forces, car la réalité de sa retraite ne ressemblera pas toujours au rêve qu’elle en avait.

Pourquoi la retraite bouleverse-t-elle l’image de soi ?

« La réalité de mon passage à la retraite, nous écrit une lectrice, a été un grand blues, l’impression d’un saut dans le néant, d’une perte totale de repères, de statut, de rythme, de relations sociales ; l’impression d’entrer dans le monde des vieux, des inutiles, de l’inutilité. »

Ce témoignage est important, car, même si l’expérience de cette lectrice n’est, heureusement, pas partagée par tous, on retrouve chez beaucoup de retraités l’écho de ce qu’elle évoque ; et qui prouve l’importance psychologique de l’activité professionnelle.

Nous nous construisons tous, dès l’enfance, dans deux univers : celui de la vie privée (la famille) et celui de la vie sociale (l’école, relayée ensuite par le monde du travail). Nous sommes donc tous, de ce fait, des êtres doubles : une partie de l’image que nous avons de nous-mêmes, et de la valeur que nous nous accordons, par exemple, vient de notre vie privée ; l’autre, de notre vie sociale. Et l’exercice d’une profession est, de ce point de vue, déterminant, car il permet de se penser utile à la société, d’y avoir une place ressentie comme légitime et une identité sociale. A la question « que faites-vous dans la vie ? », on peut répondre : « Je suis boulanger, enseignant, mécanicien… »

Or, la retraite provoque, à ce niveau, une double perte.

De quelle façon est-on fragilisé par ce changement ?

La perte de son lieu de travail, des horaires, des collègues constitue, pour chaque retraité, une perte, tout à fait réelle, de repères très importants. Mais elle se double, pour tous, d’une perte symbolique, car, perdant son activité professionnelle, le retraité est atteint dans son identité sociale, et donc fragilisé dans cette moitié de lui-même qu’est la partie sociale de son être.

A la question : « Que faites-vous dans la vie ? », il répond désormais : « Je suis retraité », et ressent souvent ce mot comme une annulation de ce qu’il était auparavant. Il peut en éprouver un sentiment d’inutilité (que l’on retrouve aussi chez beaucoup de chômeurs) qui le dévalorise ; et cela peut même aller plus loin. Une lectrice, découvrant sa retraite comme « un monde d’un nouveau rythme, où l’on fait ses courses en pleine matinée, dans un supermarché rempli de vieux, où l’on apprend à perdre du temps, où l’on s’habille moins élégamment », dit l’avoir vécu « avec presque un sentiment de honte ». Une honte qui montre comment la perte, réelle, de son activité professionnelle (« Je n’ai plus… ») peut se transformer, dans la tête d’un retraité, en une perte, imaginaire, au niveau de son être (« Je ne suis plus… »).

Fantasme d’autant plus destructeur qu’il peut lui sembler validé par le regard des autres, et surtout par le montant de sa pension de retraite. Comment penser que l’on vaut encore quelque chose quand on n’a plus droit qu’à des conditions de vie réduites à l’extrême, et parfois même seulement à la survie ?

Comment aider les retraités ?

Aider les retraités sur le plan psychologique suppose de comprendre ce qui est en jeu, et de les aider eux-mêmes à en prendre la mesure. Le danger pour les retraités est de s’identifier à une image dévalorisée d’eux-mêmes, puis, dès lors, de renoncer à vivre, et de s’isoler.

Il faudrait donc les informer, avant même la retraite, de ce qu’elle met en jeu, et de la nécessité de s’y préparer ; et leur permettre de partager, avec d’autres (au sein des entreprises, par exemple), leurs ressentis, leurs craintes, mais aussi leurs projets. Il est essentiel en effet que les retraités comprennent qu’ils peuvent continuer à jouer un vrai rôle, aussi bien dans leur famille (auprès de leurs petits-enfants, pour qui ils sont très importants) que dans la société. La retraite n’efface ni les compétences ni les savoirs, qui peuvent continuer à être partagés, et transmis. Il serait important que les retraités eux-mêmes travaillent à le faire entendre, à faire changer l’image déformée que la société a de la retraite, et élaborent ainsi une réforme dont ils auraient le plus grand besoin.


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