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mercredi 17 mai 2023

TRIBUNE Les centres de rétention administrative, des prisons qui ne disent pas leur nom

par Olivier Clochard, chargé de recherche CNRS, laboratoire Migrinter (Poitiers) et Bénédicte Michalon, directrice de recherche CNRS, laboratoire Passages (Pessac)

publié le 14 mai 2023 

Vidéosurveillance, barbelés, œilletons, sanctions… Si les centres d’enfermement des étrangers n’ont en théorie pas de vocation punitive, les conditions de vie y sont très similaires à celles du milieu carcéral alertent les chercheurs Bénédicte Michalon et Olivier Clochard.

Alors qu’un énième projet de loi sur l’immigration envisage dès le mois de juillet de durcir les possibilités et la mise en œuvre des expulsions d’étrangers, le ministère de l’Intérieur prévoit d’augmenter de manière notable le nombre de places dans les centres de rétention administrative (CRA) à l’horizon 2027 et d’appliquer un ensemble de mesures qui vont rapprocher encore la rétention de la prison.

Le programme gouvernemental de construction de nouveaux établissements et d’agrandissement de centres déjà existants conforte la place de la France dans un mouvement généralisé d’extension de l’enfermement administratif des étrangers, mouvement débuté au début des années 80 et dans lequel la France a été engagée dès les années 60 avec le centre d’Arenc à Marseille. La privation de liberté est ainsi devenue un pilier des politiques migratoires, dans l’ensemble des pays européens – et ce notamment grâce à l’implication de l’Union européenne dans la diffusion de ce dispositif –, mais aussi au-delà, dans des pays d’immigration tels que les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie, comme dans des Etats dont le rôle sur l’échiquier migratoire mondial est moins connu, tels que le Mexique, la Russie ou l’Indonésie. Ce mouvement se double d’une diversification des modalités matérielles d’enfermement. Les lieux mobilisés sont de plus en plus hétérogènes – anciennes casernes militaires, hôtels ou navires –, leur capacité en nombre de places est en augmentation constante.

Menottes et fouille au corps

En théorie l’enfermement administratif est justifié par la situation irrégulière de personnes étrangères au regard des lois sur l’immigration, et destiné à mettre en œuvre leur expulsion ; il ne ressort donc pas du domaine pénal. Pourtant, les similitudes entre les centres de rétention et les prisons sont nombreuses. Des établissements pénitentiaires sont transformés en lieux d’enfermement des étrangers dans certains pays, en Grande-Bretagne ou dans l’ex-RDA par exemple. Cela n’est pas le cas en France ; l’architecture des CRA reprend toutefois certains des principes fondamentaux des dispositifs carcéraux. Les espaces y sont divisés, cloisonnés, équipés d’instruments de sécurité et de surveillance : vidéosurveillance, clés, œilletons. Ils sont clairement séparés de leur environnement immédiat par des murs, des barbelés. Les étrangers sont cantonnés dans une portion réduite de ceux-ci et ne peuvent circuler librement. Ils sont hébergés dans des locaux qui ressemblent en tout point à des cellules.

L’enfermement engendre par ailleurs chez les étrangers une expérience d’ordre carcéral, générée notamment par des routines policières telles l’usage de menottes, la fouille à corps, et un ensemble de pratiques discrétionnaires (obstacles au maintien des liens avec l’extérieur, au dépôt d’une demande d’asile…). Si la rétention n’a pas a priori de vocation punitive, des mesures de sanction similaires à celles du milieu carcéral y existent pourtant : des cellules d’isolement sont prévues pour les réfractaires à l’ordre interne ; des transferts d’un CRA à l’autre sont également mis en œuvre à des fins punitives.

Les projets actuels du gouvernement vont renforcer les liens déjà existants entre la rétention administrative et l’institution carcérale. La France se caractérise en effet par son recours à la «double peine», c’est-à-dire au placement en rétention puis à l’expulsion d’étrangers ayant purgé une peine carcérale. La politique affichée de lutte contre le terrorisme et l’islamisme radical provoque une hausse nette du nombre de personnes venant de prison dans les CRA. Cette présence accrue d’anciens détenus parmi les étrangers est à son tour instrumentalisée par les autorités pour engager un renforcement des dispositifs sécuritaires en rétention. Or il est de plus en plus fréquent que des étrangers «retenus», selon le néologisme en vigueur pour désigner les personnes placées dans les CRA, soient incarcérés parce qu’ils s’opposent à leur expulsion ou pour des motifs sans relation aucune avec leur situation administrative, par exemple le refus d’un test Covid. Ils sont à nouveau enfermés en rétention à l’issue de leur peine de prison. Certains pans du droit des étrangers évoluent d’ailleurs vers un droit pénal de la sécurité : «Plus la sécurité infuse le discours public et plus, mécaniquement, la fonction répressive de la police prend le pas sur la fonction de la protection, au nom même de la protection des citoyens.» (1)

Dysfonctionnements graves des CRA

Depuis le début des années 2000, les alertes contre les dysfonctionnements graves des CRA et les atteintes aux droits qui y sont commises sont nombreuses. Elles émanent des rapports annuels des organisations intervenant dans les centres de rétention et de ceux du contrôleur général des lieux de privation de liberté, des notes issues des visites parlementaires, des collectifs de citoyens situés à proximité des CRA, des campagnes de mobilisation, des décisions des tribunaux et des plus hautes juridictions, dont la Cour européenne des droits de l’homme. Pourtant les autorités se refusent à améliorer – sur les plans matériel, administratif et législatif – la situation des personnes enfermées. L’action policière qui prévaut dans le fonctionnement des CRA et d’autres lieux similaires (locaux de rétention, postes de police, etc.) est réduite aux seules fonctions de contrôle et de maintien de l’ordre qui, selon des responsables politiques, apporteraient des réponses à la supposée «crise migratoire». Pourtant les corps de police qui gèrent ces établissements – la police aux frontières et la préfecture de police à Paris – ont également pour mission d’assurer l’information, le conseil et l’orientation des étrangers enfermés vers des services appropriés.

Que faire face à l’absence de prise en considération de ces critiques et dénonciations par les autorités ? De toute évidence le respect des droits et l’imposition de conditions de vie inhumaines et dégradantes ne sont pas des arguments suffisants pour engager un changement de politique. La diffusion des partenariats publics-privés dans la construction et la gestion des centres (avec des sociétés telles que Vinci, Véolia, Bouygues, etc.), emblème du libéralisme, et un coût moyen de 13 800 euros pour l’expulsion d’une personne (2), engagent les scientifiques, les associations de défense des étrangers, les parlementaires, à établir le coût financier global du dispositif rétentionnaire au cours des vingt dernières années. Ainsi peut-être ressortira l’absurdité d’une dépense et d’une politique dont les objectifs peinent à être remplis (44 % des personnes enfermées ont été renvoyées en 2022, 39 % en 2021, 36 % en 2018), et qu’une future loi s’inscrivant dans la veine des précédentes ne viendra pas changer.

(1) William Bourdon et Vincent Brengarth, Violences policières. Le devoir de réagir, Paris, Gallimard, 2022 (p. 42).
(2) Pierre Januel, La coûteuse machine à expulser les étrangers. En 2009, Damien De Blic dans la première édition de l’Atlas des migrants en Europe Migreurop avait estimé le coût à près de 26 000 euros.


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