par Mathilde Frénois, correspondante à Nice publié le 14 mai 2023
Leur vie professionnelle s’est arrêtée le 15 septembre 2021. Elle recommence ce lundi. Jacinthe Gouled est aide-soignante, Georges Chapel est chirurgien-dentiste. Non vaccinés contre le Covid, ils ont été mis à pied. Ces deux Niçois se sont battus pendant dix-huit mois pour réintégrer le monde médical. Elle a tenté une grève de la faim, il a attaqué la loi au Conseil d’Etat. Leur pause forcée prend fin avec l’abrogation de l’obligation vaccinale. Jacinthe Gouled et Georges Chapel réenfilent les blouses blanches.
Le dentiste anticipe son retour au cabinet. S’il ne connaît pas son emploi du temps, il sait déjà qu’il ne «baissera pas les yeux» : «Je n’appréhende pas du tout, assure-t-il. On n’a aucune honte à retourner travailler et aucune gêne.» Longtemps, le soignant s’est senti «accusé de manquer d’éthique et de déontologie». Un médecin l’a qualifié de personne «égoïste» et «irresponsable». Alors Georges Chapel déballe ses arguments, entre défiance envers le gouvernement et scepticisme envers les labos. «Ce qui m’a le plus choqué, c’est le refus total de débat, formule-t-il. En sciences, ce qui nous fait progresser, c’est le doute. Cette obligation a été la ligne rouge derrière laquelle j’ai décidé de ne pas reculer.»
«Sans salaire, sans rien»
Malgré les nombreuses études, qui attestent que la vaccination protège contre les formes graves de la maladie, Georges Chapel dénonce «des mensonges éhontés en permanence» et «aucune ligne cohérente». Alors, il s’est engagé. Il est allé jusqu’à l’Assemblée nationale pour assister aux débats sur l’abrogation de l’interdiction début mai. Avant, il a endossé le rôle de porte-parole du collectif Soignants 06. Ces 500 personnels de santé ont mené une action devant le Conseil d’Etat pour annuler l’obligation vaccinale. Demande rejetée. «Il y avait beaucoup d’infirmiers, d’aides-soignants, quelques médecins, des chirurgiens, se souvient leur avocat Me Jérôme Campestrini. Ils se sont retrouvés sans salaire, sans rien, sans aide. Ils n’avaient pas le droit au chômage car ils n’étaient pas licenciés. Ils l’ont vécu comme une injustice. C’était une mort professionnelle et sociale.»
D’après le ministère de la Santé, 0,3% des agents hospitaliers sont toujours mis à pied après avoir refusé le vaccin, soit 4 000 personnes sur 1,2 million d’agents en France. Dans le libéral, 2 000 soignants étaient concernés. Au CHU de Nice, sur les 7 500 salariés, 320 étaient suspendus le 15 septembre 2021. Ils ne sont plus que 13 aujourd’hui, «soit 0,1 % de l’effectif global», indique l’hôpital. Aucun d’eux n’est médecin, infirmier ou aide-soignant. Parmi les mis à pied, un technicien de laboratoire et un manipulateur radio. Les autres sont des agents des services hospitaliers et des agents d’entretien qualifiés. Tous seront recontactés. «Beaucoup de suspendus ont repris le travail car ils étaient trop sous pression. Ils se sont retrouvés dans des situations financières intenables et se sont fait vacciner, expose Georges Chapel. D’autres ont pris des boulots d’appoint, sont partis à l’étranger ou sont en arrêt maladie.» Les soignants en poste racontent tous la même histoire. Celle de «bons éléments partis en clinique» après s’être fait vacciner et qui «ne reviendront plus dans le public». Celle de collègues qui «n’ont plus confiance» et qui ont souffert de «la pression de leurs supérieurs».
«On devrait avoir le libre choix»
En plus de ces treize retours, le CHU reprendra les embauches sans schéma vaccinal complet. «C’est dérisoire, pointe Michel Fuentes, secrétaire général du syndicat FO santé des Alpes Maritimes, qui souligne qu’il «manque plus de 100 postes d’infirmiers, autant d’aides-soignants». Sur le parvis de l’hôpital, les pauses se résument à une clope, un casse-croûte et un coup d’œil sur le téléphone. Isabelle Porri décroche le regard de son écran. Cette infirmière a«toujours soutenu ces protestations». A 55 ans, elle aussi aurait voulu «avoir le choix». Elle n’a pu s’opposer : «Il est impossible pour moi de ne pas avoir de salaire, même pendant deux semaines», regrette celle qui accueillera à bras ouverts les revenants.
Mais comment retourner dans l’univers médical quand on a douté de la science et de la recherche ? «Ces personnes croient en la médecine, mais elles ne croient pas dans les politiques, pense David (il ne veut pas communiquer son nom de famille), ambulancier du Samu, dans sa blouse blanche et ses bottes noires. Comme elles, je suis contre cette obligation. On devrait avoir le libre choix.»Frédérique Jamet, secrétaire hospitalière de 54 ans, a travaillé pendant le confinement. Elle s’est fait vacciner «pour ne pas ramener le virus à la maison». Son fils est asthmatique, des membres de sa famille sont décédés du Covid. Dans son service, une personne a refusé le vaccin. Son retour n’a pas encore été abordé. «Chacun fait son choix, c’est très compliqué, estime-t-elle. Au niveau déontologique, cela peut poser un problème.»
«Je n’ai plus confiance dans la médecine»
Ces dix-huit mois de coupure ont transformé Jacinthe Gouled. «J’appréhende parce que j’ai changé. J’ai eu le temps de voir les choses différemment. On pourra encore moins m’imposer des choses, explique l’aide-soignante non-vaccinée de 47 ans. Plus que de l’appréhension, c’est plutôt de la peur. Je n’ai plus confiance dans la médecine. Avec les médicaments et les antibiotiques, ça va être compliqué.» Jacinthe Gouled a été la seule de son centre de soins à refuser l’injection. «Au tout début, la cadre me proposait tous les jours d’être vaccinée. Pour moi, ces mesures liberticides sont complètement aberrantes. Il y a eu un manque de consentement libre et éclairé. Pourtant, c’est la base de notre travail, c’est dans le serment d’Hippocrate.» Pendant cette mise à pied, l’aide-soignante a rejoint des collectifs de «personnes anti-pass sanitaires». Elle a accueilli à Forcalquier le convoi de la liberté, ce mouvement qui a convergé vers Paris en février 2022 pour protester contre le pass sanitaire. Elle a rejoint deux salariés du CHU dans une grève de la faim.
Désormais, celle qui dit avoir le «sentiment que le gouvernement va encore imposer d’autres produits d’autres laboratoires pharmaceutiques» espère convaincre d’autres collègues. Jacinthe Gouled a reçu un courrier de son employeur. Elle se présentera ce lundi dans son centre de soins. Mais elle ne sera que de passage. En septembre, elle prévoit d’intégrer une formation de naturopathe. A 60 ans, Georges Chapel compte reprendre son métier «passion», qui lui a demandé «dix ans d’étude et de gros engagements». Il a attrapé le Covid à deux reprises. Jacinthe Gouled jamais.
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