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vendredi 24 février 2023

Reportage Les médecins «tout-terrain», contreforts de la vallée de la Roya

par Mathilde Frénois, envoyée spéciale à Breil-sur-Roya  publié le 18 février 2023

Le territoire enclavé des Alpes-Maritimes ne connaît pas la pénurie de généralistes grâce à une maison de santé dans laquelle ils sont sept à partager leur temps de travail et leurs revenus. Une solution contre la désertification médicale.

Entre les chaises de la salle d’attente de la maison de santé pluriprofessionnelle de Breil-sur-Roya s’invitent Astérix et Obélix, en carton et en géant. Le reste fait dans l’ultra classique : plantes vertes, poster d’une plage paradisiaque et messages de prévention. Jean-Pierre Gaetti et Julien Allard ont à peine le temps d’apprécier la déco. La main droite du premier, retraité de 75 ans, a triplé de volume. Son aide de vie a obtenu une consultation en une heure, et cinq minutes d’attente sur place. Les ordonnances du second, berger de 45 ans désormais en fauteuil roulant, arrivent en fin de validité. Julien Allard n’a attendu que deux jours pour avoir un rendez-vous avec son médecin traitant. Territoire enclavé et isolé des Alpes-Maritimes, la vallée de la Roya ne connaît pas la pénurie de médecins. Sa maison de santé a su attirer et conserver 31 professionnels de santé. Parmi eux, sept généralistes partagent leur temps de travail et leurs revenus. Une solution contre la désertification médicale.

C’est une petite annonce qui a mené Jean-Louis Gerschtein jusqu’à Breil-sur-Roya en 2011. En «quasi-burn-out» dans son cabinet de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), le médecin débarque dans une maison de santé en mauvaise passe. Les projections sont pessimistes : sur sept médecins généralistes en 2015 dans la Roya, ils ne seront plus que deux en 2020 en raison des départs en retraite. Si rien ne change, la vallée escarpée deviendra un désert médical. Jean-Louis Gerschtein anticipe et fait venir des internes dès 2017. Un pari : ils resteront.

«C’est un élément central de la qualité de vie dans la vallée»

Hélène Giraud n’a jamais quitté les montagnes de la Roya. Originaire de la vallée, elle fait son stage dès 2020. Thèse et diplôme en poche, cette médecin s’installe dans la maison de santé. Il est midi ce mercredi. Converses aux pieds et blouse blanche sur les épaules, Hélène Giraud rentre de six visites à domicile. La veille, la généraliste consultait en Ehpad. L’après-midi, elle recevra au cabinet. La docteure trimballe aussi son stéthoscope dans les services de médecine de l’hôpital public, les gardes de nuit et les interventions en urgence du Samu. «On est médecin tout-terrain, débriefe la jeune femme de 31 ans. Je ne me serai jamais installée seule dans mon cabinet en sortant des études. Ici, on n’a plus qu’à visser notre plaque. On entre dans un endroit sécurisé.» Dans cette maison de santé libérale accolée à l’hôpital public, les médecins bénéficient de la mutualisation des ressources : du matériel dernier cri, des locaux spacieux, un service administratif, une coordinatrice et des spécialistes à portée de main. Surtout, une logistique unique. Les médecins travaillent en binôme. Quand l’un bosse «à bloc», l’autre est «off». Une période de quinze jours en alternance pour caler ses repos, ses formations, ses réunions. Un rythme en phase avec le projet de vie de Hélène Giraud, entre ses enfants en bas âge et ses compléments d’apprentissage. «On pousse le concept du travail en équipe au maximum : on est la seule maison de santé de France à mettre en commun tous les honoraires, expose Jean-Louis Gerschtein, 56 ans, qui a baissé de 15% ses revenus de médecin senior pour en faire bénéficier les juniors. A la fin du mois, on a tous le même chèque.» Les médecins disposent de chambres de fonction. Certains commencent à investir dans une maison de village. Ils restent.

Lucas Vingtrinier, Niçois de 29 ans, a été attiré par «la médecine rurale» et «la pluralité de l’exercice». De garde cette nuit, il a été appelé pour une réanimation à l’hôpital. Il enchaîne avec une journée de consultation. C’est lui qui s’occupera de la main gonflée et des ordonnances périmées. Depuis la fin de son stage, il est la recrue de la maison de santé. De deux ans sa cadette, Héléna Da Silva espère suivre ce chemin. En neuvième année d’études, elle aime cette «médecine d’urgence» et la «polyvalence entre l’hôpital et la ville». «Dans ma promo, je ne connais pas un seul élève qui veut s’installer seul», dit-elle. Dans celle d’Hélène Giraud, seuls 30% des diplômés sont en cabinet.

La vallée de la Roya est enclavée dans ses montagnes et coincée contre l’Italie. Menton et ses cabinets sont à trentre minutes de route sinueuse. Nice et ses hôpitaux à plus d’une heure. Le docteur Gerschtein décrit une patientèle «plus âgée» qu’ailleurs, dans «des conditions socio-économiques plus difficiles» et avec «plus de pathologies chroniques». Renforcer l’offre de médecins permet d’éviter le renoncement aux soins. En plus des sept généralistes, se relaient tous les jours des kinés, dentistes, orthophonistes, toutes les semaines un psychologue, tous les mois sage-femme, ophtalmologue, podologue. Et occasionnellement endocrinologue, diététicien, pneumologue. Le matériel est sur place, même les radios et les échos. La mairie loue les locaux. «Ça permet aux personnes qui ont le plus besoin d’un accompagnement médical de rester ici et de pérenniser nos structures médico-sociales, se félicite le maire LR de Breil, Sébastien Olharan. C’est 600 emplois à la clé. Et autant de familles qui vivent ici. C’est un élément central de la qualité de vie dans la vallée.» Plus de 4 300 patients sont suivis par un médecin traitant sur les 6 000 habitants du secteur. Il faut compter une journée pour obtenir une consultation à Breil, contre cinq à huit sur le littoral.

«Aller à l’hôpital à Nice, c’est la croix et la bannière»

La maison de santé se projette. Depuis 2018, des consultations sont organisées tous les jours à Tende, tout en haut de la vallée. Pendant la tempête Alex, les médecins ont déployé une «organisation de crise», procédé aux évacuations et poursuivi leurs consultations. Depuis 2022, l’ARS «expérimente un modèle unique en France d’annexe pharmaceutique en territoire fragile». Les habitants de Tende devraient bientôt bénéficier d’une extension de la pharmacie de Breil. Le projet se tourne aussi vers le littoral. Cet été, trois médecins ont été recrutés pour l’ouverture d’une autre maison de santé pluriprofessionnelle adossée à l’hôpital de Menton, au bord du désert médical.

Jean-Pierre Gaetti ressort avec des antibiotiques pour dégonfler ses doigts. Julien Allard repart avec ses ordonnances. «C’est super rapide. Avec cette maison de santé, je suis autonome. Il me suffit d’appeler, expose-t-il. Aller à l’hôpital à Nice, c’est la croix et la bannière. Il faut faire deux heures de route, attendre sur place.» D’autant que les ambulances rechignent à prendre en charge des patients dans la vallée. Le téléphone sonne : «Cabinet médical, bonjour !» Une douleur à l’oreille à l’autre bout du fil. Rendez-vous pris le soir même avec le médecin traitant.


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