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mardi 21 février 2023

Chronique «aux petits soins» Le Covid déprime, n’est-ce pas bien normal, docteur ?

par Eric Favereau  publié le 13 février 2023

Une étude de Santé publique France souligne une hausse importante des phénomènes dépressifs, en particulier chez les jeunes. Une conséquence logique de la pandémie selon les spécialistes. Ce qui l’est moins, c’est que cela dure…

N’est-ce pas finalement assez logique que notre santé mentale en ait pris un coup avec ce Covid interminable, ces confinements à répétition, ces propos alarmistes, sans compter ce lourd paysage international et les embouteillages de notre système de santé ? Doit-on s’en inquiéter, et psychiatriser cette chute de notre moral, surtout si cela dure ? Ce sont les questions qui sous-tendent la longue enquête que publie ce mardi matin le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) à partir des données de Santé publique France (SPF), pointant une hausse spectaculaire des phénomènes dépressifs, hausse qui vient confirmer tous les travaux précédents.

D’abord, donc, un constat. La crise sanitaire a eu un impact important sur la santé mentale. En 2021, le baromètre de SPF a interrogé 24 514 personnes âgées de 18 à 85 ans (1). Les chiffres sont construits autour du repère diagnostic de l’épisode dépressif caractérisé (EDC) : «En 2021, 12,5 % des personnes âgées de 18 à 85 ans auraient vécu un EDC au cours des douze derniers mois. Chez les 18-75 ans, la prévalence – c’est-à-dire le nombre de cas à un moment donné – a augmenté de 3,5 points, passant de 9,8 % à 13,3 %, sur la période 2017-2021.» Cette augmentation concerne toute la population.

Rien de spécifiquement français

La progression la plus importante se retrouve chez les jeunes adultes (18-24 ans), avec une hausse de 9 points entre 2017 (11,7 %) et 2021 (20,8 %). Logiquement, «en 2021, les 18-24 ans, les femmes, les personnes vivant seules et les familles monoparentales, tout comme celles qui ne se déclaraient pas à l’aise financièrement avaient un risque d’EDC plus élevé». Et cette conclusion : «La prévalence des épisodes dépressifs a augmenté en France. La tendance, déjà amorcée depuis 2010, a connu une accélération sans précédent entre 2017 et 2021, en particulier chez les jeunes adultes. Le stress causé par [le Covid-19] et les restrictions imposées pour la contrôler apparaît comme l’une des principales hypothèses explicatives de cette hausse.»

Est-ce une surprise, et surtout, est-ce significatif, docteur ? D’abord, notons que cela n’a rien de spécifiquement français. «L’Organisation mondiale de la santé fait état d’une augmentation de plus de 25 % des cas de trouble dépressif dans le monde pendant la première année de la pandémie, note le BEH. Les plus fortes augmentations ont été observées dans les lieux fortement touchés par le Covid-19, soumis au confinement et à la diminution de la mobilité humaine, et ayant des taux quotidiens d’infection importants. Les femmes auraient été plus touchées que les hommes, et les jeunes adultes plus que les adultes plus âgés.»

«Pas d’accroissement des inégalités sociales de santé»

Si l’on entre dans le détail, on constate que si «les personnes les moins favorisées socio-économiquement sont les plus concernées», pour autant «les résultats ne suggèrent pas d’accroissement des inégalités sociales de santé, tous les segments analysés de la population étant touchés par une augmentation significative de l’épisode dépressif… Nos données suggèrent également que la forte prévalence des épisodes dépressifs chez les jeunes adultes a été en partie liée à des situations de vie (situation professionnelle, familiale et financière) rendues sans doute plus précaires dans le contexte de la crise sanitaire.»

C’est chez les étudiants que la situation aura été la plus difficile à vivre. «Chez ces derniers, la prévalence aurait doublé ces dix dernières années, passant de 10,1 % en 2010 à 20,3 % en 2021. Les données de la littérature scientifique montrent que les étudiants constituent une population vulnérable aux problèmes de santé mentale, même hors contexte d’épidémie.»

Des traces délicates à cerner

Voilà pour le bilan, mais il y a des limites évidentes à ce travail. D’abord, ce repérage des épisodes dépressifs repose sur les déclarations des personnes interrogées par téléphone, ce qui est limitatif en soi. Ensuite, la définition de l’épisode dépressif caractérisé est relativement large. Et il s’inscrit dans une tendance, jugée parfois problématique, de psychiatrisation de la vie de tous les jours. «Il y a plein de biais et de mélanges de choses dans ce travail», analyse le professeur Bruno Falissard, qui dirige la plus importante équipe de recherche sur l’épidémiologie et la santé mentale à la Maison de Solenn. «Mais tout cela s’inscrit dans une série d’autres travaux qui vont tous dans le même sens. Ce travail souligne une augmentation sans précédent des indices de dépressivité. Cela ne s’est jamais vu.»

Pour lui, les choses ne sont pas simples à expliquer. «Il faut rappeler que chez les jeunes entre 15 et 24 ans, on avait assisté entre 2003 et 2014 à une diminution spectaculaire de 40 % des taux de suicide, en même temps qu’une diminution sensible de la consommation de tabac et d’alcool. Donc on ne peut pas dire que cela allait plus mal. Arrive donc le Covid, avec des études régulières sur l’état de santé mentale qui vont être menées. Et là, on assiste à un décalage, en tout cas chez les jeunes. Au début de l’épidémie, il n’y a pas de hausse des tentatives de suicide, ni de ce que l’on appelle le score de dépressivité. C’est plus tard que cela survient, à partir de l’automne 2020 puis début 2021. Comme si au début, on tenait le coup et on supportait ces émotions. C’est après que l’on assiste à une hausse spectaculaire de passages aux urgences pour des tentatives de suicide, en particulier chez les jeunes filles, mais aussi on note une montée des troubles alimentaires.» A ses yeux, c’est le fait que «cela dure» qui est «impressionnant et inquiétant». L’épidémie de Covid a beau sembler décroître, elle laisse des traces, bien délicates à cerner.

Si vous avez des idées suicidaires, ne restez pas seul·e. Parlez-en à vos proches et contactez votre médecin traitant, ou le 3114 (numéro national gratuit vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, écoute professionnelle et confidentielle) ou le 15 (Samu).

(1) Etude menée par collecte assistée par téléphone et informatique, selon un sondage aléatoire.


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