par Elsa Maudet publié le 21 février 2023
700 000 élèves sont en moyenne victimes de harcèlement chaque année, soit deux à trois enfants par classe. Ils en resteront durablement marqués, quand les conséquences ne sont pas encore plus dramatiques. Chaque mois, Libérationaborde ce phénomène majeur chez les mineurs.
Si vous êtes témoin ou victime de harcèlement, appelez le numéro gratuit d’écoute 3020, joignable du lundi au vendredi (9 heures-20 heures) et le samedi (9 heures-18 heures), sauf jours fériés.
«Fri For Mobberi» fait ses premiers pas en France. Depuis septembre, cette méthode danoise de prévention du harcèlement scolaire, dont le nom signifie «libéré du harcèlement», est expérimentée dans les écoles maternelles des cités éducatives du XVIIIe arrondissement de Paris et de Saint-Ouen-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Les enseignants y ont été formés ainsi qu’une partie des Atsem et des animateurs du périscolaire. Le principe : créer des communautés bienveillantes d’enfants dans lesquelles aucun membre ne peut se sentir exclu, et où le harcèlement n’aura donc normalement aucune chance de s’immiscer.
Apparu en 2005 au Danemark, le programme «Fri For Mobberi» y est utilisé dans 40% des crèches, 60% des écoles maternelles et 45% des écoles élémentaires. Il a également été introduit au Groenland, en Estonie, en Roumanie, en Islande et en Norvège. En France, toutes les écoles maternelles intéressées pourront s’y former à partir de septembre prochain et un projet pilote devrait voir le jour dans des crèches. Margot Neuvialle, coordinatrice du programme à la Ligue de l’enseignement de Paris, explique les tenants et les aboutissants de cette méthode qui se déploie sous le regard attentif des scientifiques.
En quoi consiste la méthode «Fri For Mobberi» ?
C’est un programme qui a pour aspiration de développer les compétences psychosociales et le vivre ensemble pour prévenir le harcèlement scolaire. Il s’agit de faire en sorte que les enfants puissent développer des dynamiques de groupe positives. L’idée n’est pas forcément qu’ils soient tous ensemble tout le temps – ils gardent un libre arbitre dans leurs amitiés – mais qu’ils soient bons camarades les uns avec les autres, qu’ils veillent au bien-être de tout le monde. Parce que si un enfant se retrouve dans un groupe où il se sent en insécurité, ça peut créer chez lui une peur de l’exclusion sociale. Parfois, pour soulager cette peur, les enfants mettent en place ce que les Danois appellent des comportements de mépris ou de dédain, qui engendrent l’exclusion ou le harcèlement d’autres enfants. Ça crée plus d’insécurité dans la communauté, c’est un cercle vicieux. Le programme commence en crèche et va jusqu’à la fin du cycle 2 [le CE2, ndlr]. Ça a un intérêt de développer les compétences psychosociales et le vivre ensemble très jeune pour que ce soit acquis plus tard.
Les enseignants sont équipés d’une petite mallette, dans laquelle se trouve notamment une peluche. A quoi sert-elle ?
C’est l’ami ours, la mascotte du programme et l’ami de tous les enfants. Il représente les quatre valeurs de «Fri For Mobberi» : le respect, la bienveillance, la tolérance et le courage. Il est présent dans toutes les histoires et activités. Il faut qu’il soit posé à un endroit accessible dans la classe, comme ça les enfants peuvent aller le voir quand ils ont un chagrin et lui raconter ce qui se passe ou le donner à un camarade pour le consoler. En maternelle, ce n’est pas toujours facile d’aller voir un copain pour le rassurer avec des mots ; lui donner un petit ours est plus simple.
Comment la méthode est-elle enseignée aux enfants ?
L’idée est de co-élaborer des règles de vivre ensemble dans la classe avec les enfants, pour qu’ils puissent les conscientiser et les adopter. Si on n’explique pas à un enfant pourquoi on ne doit pas courir dans les couloirs, ça n’aura pas forcément de sens pour lui. Il y a pas mal d’activités autour des quatre valeurs. Par exemple, pour accompagner une histoire contée, les enfants doivent dessiner un mouvement sur le dos d’un camarade. Si le petit ours arrive en avion, on fait descendre la main dans le dos pour reproduire la piste d’atterrissage.
On prend en compte la notion de consentement : les enfants qui massent doivent demander «est-ce que tu peux me prêter ton dos ?» et, à la fin, dire «merci de m’avoir prêté ton dos». Une façon dès tout petit de comprendre qu’on n’aime pas tous les mêmes choses et qu’il faut toujours l’accord des autres. Chaque enfant qui n’a pas envie qu’on le touche a le droit d’être observateur, de pratiquer l’automassage ou le massage avec objet médiateur (une balle, un sac de riz…).
A quoi ces «massages» servent-ils ?
Pas mal d’études montrent que le toucher physique permet la sécrétion d’une hormone appelée l’ocytocine, qui favorise l’attachement à l’autre et permet de créer un lien social. Elles montrent aussi que ça augmente la concentration. Et ça permet aux enfants de fixer des limites et de prendre conscience des limites de l’autre.
On a aussi des planches de discussion. Par exemple, une petite fille porte une salopette violette, les autres ont une robe. L’une dit :«Non, tu ne viens pas avec nous», deux autres sont témoins. On va discuter de cette situation avec les enfants : qu’est-ce qu’ils remarquent ? Que pourraient faire les deux qui ne disent rien ? Ça permet de prendre conscience et d’apprendre à gérer les situations d’exclusion, de développer l’entraide, la tolérance et le respect.
Quelle est la place des adultes dans ce programme ?
Ils sont des exemples pour les enfants. Donc il y a un travail à faire auprès des professionnels sur la façon dont ils parlent des enfants avec leurs collègues et dont ils se parlent entre eux : il faut tâcher d’être le plus respectueux et bienveillant possible. Et pour les parents, il ne faut pas parler à la maison d’autres parents de façon négative pour qu’ensuite les enfants n’aient pas ce jugement négatif envers les autres quand ils se retrouvent dans la classe.
Le programme est suivi par la recherche universitaire depuis une quinzaine d’années. Qu’en disent les chercheurs ?
Trois enseignements principaux ressortent. D’abord, 70% des professionnels qui travaillent avec le programme trouvent que les enfants sont plus bienveillants les uns envers les autres. Ensuite, il y a une corrélation positive significative entre l’utilisation du programme et l’esprit de groupe des enfants et leur capacité à gérer les conflits par eux-mêmes. Enfin, les enfants deviennent plus empathiques. Le programme est amélioré au fur et à mesure des recherches. En France, ce volet scientifique est assez rare dans des programmes sur les compétences psychosociales. Il sera assuré par l’université Paris-VIII.
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