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mardi 21 février 2023

Maladie à corps de LewyFréquente mais méconnue

Publié le : 24/01/2023 

Maladie à corps de Lewy Fréquente mais méconnue

Deuxième pathologie cognitive la plus répandue après celle d’Alzheimer, la maladie à corps de Lewy est très mal connue, y compris des soignants. Conséquence : un sous-diagnostic dramatique et des prises en charge inadaptées.

« Monsieur, nous sommes formels, votre père souffre d’une maladie de Parkinson ! »C’est un trio de neurologues travaillant dans un hôpital parisien réputé qui pose ce diagnostic. Mais le fils, médecin, n’est pas convaincu. « J’ai vu un paquet de confrères avant que l’un d’entre eux identifie une maladie à corps de Lewy (1) ». Dans ce témoignage, trop de patients et de proches vont se reconnaître. Mal connue, voire inconnue des professionnels de santé, cette pathologie resterait non diagnostiquée dans la moitié des cas, au bas mot. Les spécialistes estiment qu’elle concerne entre 150 000 et 200 000 personnes en France.

TROP SOUVENT SOUS LES RADARS

Deuxième affection neurodégénérative après celle d’Alzheimer, elle toucherait autant de patients que la maladie de Parkinson. Mais, partageant des symptômes avec ces deux entités (lire l’encadré), la maladie à corps de Lewy (MCL) passe trop souvent sous les radars. « Nous avons mené une étude sur 350 patients arrivés dans notre centre après avoir été pris en charge ailleurs, explique la professeure Claire Paquet, neurologue, cheffe de l’unité maladie à corps de Lewy de l’hôpital Lariboisière, à Paris. En moyenne, il a fallu quatre ans avant qu’ils ne soient correctement diagnostiqués. Pour ceux qui ne sont pas orientés dans un des rares services spécialisés comme le nôtre, c’est encore bien pire. »

De multiples raisons expliquent cette situation regrettable. La maladie a été découverte récemment, et ce n’est qu’en 1996 que les critères de diagnostic ont été précisés. Autant dire que beaucoup de praticiens formés avant cette date la connaissent très mal, voire pas du tout. En outre, les symptômes, nombreux et de plus en plus variés au fil du temps, ne sont pas très spécifiques. Les personnes souffrant d’abord d’incapacités motrices consulteront plutôt un neurologue, qui sera tenté de diagnostiquer une maladie de Parkinson. Chez d’autres, ce sont les troubles cognitifs qui apparaissent en premier. Un spécialiste d’un centre mémoire pourra les confondre avec ceux typiques d’Alzheimer. Enfin, si le problème inaugural est la dépression, fréquente chez les sujets atteints, un psychiatre risque de la traiter sans déceler qu’elle n’est que la partie émergée de l’iceberg…

« Je vois beaucoup de patients pour un deuxième, troisième ou quatrième avis,explique Claire Paquet. Je passe jusqu’à une heure et demie avec eux, notamment pour faire le tour de leurs symptômes, car ils ne pensent pas à tout aborder d’emblée. Toute la difficulté, pour l’instant, c’est que nous ne disposons pas de marqueurs spécifiques. » Le professeur Frédéric Blanc, neurologue et gériatre spécialiste de la MCL aux Hôpitaux de Strasbourg (67), confirme : « Le seul examen disponible, une scintigraphie cérébrale, ne permet d’identifier que 78 % des cas. Ce n’est pas suffisant. On espère qu’un biomarqueur pourra être bientôt utilisé mais, pour l’heure, le seul moyen de détecter cette maladie est de prendre beaucoup de temps pour examiner et interroger les patients et leur entourage. »

GRAVES RÉPERCUSSIONS

Les conséquences d’un mauvais diagnostic sont potentiellement graves. « Alors que certains neuroleptiques s’envisagent pour des patients Alzheimer, on ne doit jamais en prescrire à une personne atteinte de MCL, explique Frédéric Blanc. Cela peut non seulement aggraver ses symptômes mais, pire, provoquer des effets secondaires qui risquent de mener au décès. Quant à la stimulation cérébrale profonde, parfois efficace chez des patients parkinsoniens, elle va aggraver les symptômes de la MCL. »À l’inverse, deux médicaments ont été déremboursés en 2017 pour cause de service médical rendu insuffisant aux personnes souffrant d’Alzheimer. Que celles atteintes de MCL constatent, au contraire, une efficacité, notamment sur la survenue d’hallucinations, a échappé aux évaluateurs, puisque cette pathologie est noyée dans le groupe « Maladie d’Alzheimer et apparentées ».

« La MCL n’a pas d’existence propre aux yeux des autorités, et les répercussions sont nombreuses, déplore Catherine C., diagnostiquée en 2014. D’abord, symboliquement, il est important de la nommer. Ensuite, la reconnaître comme une maladie “à part entière” et pas “apparentée” permettrait que les médicaments efficaces soient remboursés. Personnellement, j’en prends. Je peux assumer financièrement. Mais il est anormal que ceux qui n’ont pas les moyens doivent s’en passer. Et puis, les deux années pendant lesquelles j’ai vu de nombreux médecins sans être diagnostiquée ont été très éprouvantes. S’il avait existé des centres experts, cela m’aurait sans doute épargné cette errance diagnostique. » La mise en place de tels lieux de référence, qui rendraient possible une formation et une information adéquates des professionnels de santé, et vers lesquels les patients pourraient être renvoyés en cas de doute, voilà une des principales revendications portées par les médecins spécialistes de la maladie et l’Association des aidants et malades à corps de Lewy.

AIDE ET SOUTIEN

Cette structure a notamment pour objectif d’informer et de soutenir les patients et leurs proches afin qu’ils puissent mieux gérer la maladie. Certaines de ses caractéristiques, en particulier les fluctuations dans la cognition, sont difficiles à vivre, car les personnes sont parfaitement conscientes de la diminution de leurs capacités. L’entourage est aussi en demande de conseils pour faire face à des symptômes aussi déroutants que les hallucinations ou le syndrome de Capgras (lire l’encadré ci-dessous). Au-delà du cercle des proches, une meilleure connaissance de la MCL semble indispensable pour que les personnes atteintes soient correctement prises en charge, non seulement par les médecins, mais également par tout le personnel paramédical en ville, à l’hôpital ou en Ehpad. « Reconnaître son existence permettrait, en outre, de mener des études épidémiologiques et, surtout, de développer une recherche spécifique pour mieux comprendre la pathologie et mieux la traiter. C’est le gros point noir car, aujourd’hui, tous les budgets sont consacrés à la maladie d’Alzheimer », conclut Frédéric Blanc.

Des symptômes peu spécifiques

La maladie à corps de Lewy partage de nombreux symptômes avec d’autres pathologies, c’est pourquoi son diagnostic est si complexe. Les troubles cognitifs, touchant notamment les capacités d’exécution, la concentration et le raisonnement, sont toujours présents mais parfois discrets.

Autres signes les plus fréquents :

  • des fluctuations au niveau de la cognition (un jour le patient peut raisonner, le lendemain il est incohérent) et/ou de la vigilance (d’une minute à l’autre, la personne est « ailleurs » puis reprend ses esprits) ;
  • des hallucinations visuelles ;
  • une tendance à vivre ses rêves, avec force gestes et, enfin, des symptômes de type Parkinson (démarche traînante, blocages corporels, troubles de l’équilibre).

S’y ajoute parfois le très déroutant syndrome de Capgras : on reconnaît ses proches tout en pensant qu’ils sont des sosies, des imposteurs.

(1) Les corps de Lewy sont des agrégats anormaux de protéines retrouvés à l’autopsie dans le cerveau des patients, décrits pour la première fois en 1912 par un médecin nommé Friedrich Lewy.


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