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vendredi 24 février 2023

Caroline Goldman, psychologue : « J’ai vu arriver dans mon cabinet des parents sains et structurés, victimes de désinformation sur la parentalité positive »

Propos recueillis par   Publié le 15 février 2023

La docteure en psychologie de l’enfant se rallie aux pédopsychiatres qui dénoncent les écueils de l’« éducation positive », source selon elle de troubles du comportement. Elle défend la méthode du « Time Out », consistant à mettre à l’écart l’enfant pour un temps limité.

Caroline Goldman, psychologue pour enfants, à son domicile, à Montrouge, le 12 novembre 2022.

Il y a huit ans, Caroline Goldman a vu arriver dans ses consultations des enfants « agités » qui ne manquaient pourtant de rien ; des petits « choyés jusqu’à la démesure » mais qui vivaient dans « un manque préoccupant de limites éducatives ». Dans ses podcasts qui l’ont fait connaître (plus d’un million d’écoutes), et dans son dernier ouvrage File dans ta chambre ! (Interéditions, 2020, réédité en avril), la docteure en psychologie dit partager ce constat avec de nombreux professionnels de l’enfance : les troubles du comportement explosent en France, notamment en raison des écueils d’une éducation positive largement relayée dans les médias depuis une dizaine d’années.

Dans un entretien au Monde, elle explique aussi que des enfants « mal limités » peuvent faire l’objet d’un diagnostic erroné de TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) ou de HPI (haut potentiel intellectuel).

On vous définit un peu vite comme « la psy anti-éducation positive ». Pouvez-vous expliquer votre position et votre pensée sur ce courant venu des Etats-Unis ?

Je souscris à tout ce que ce courant a initié au départ pour les besoins de l’enfant. Je suis attachée aux trois volets qu’il intègre : le besoin d’amour des enfants, le besoin d’explication pédagogique face au monde qui les entoure et le besoin de limites éducatives.

Je suis donc en accord avec ce que le monde anglo-saxon a véhiculé de l’éducation positive. L’ennui, c’est sa traduction en France par des spécialistes autoproclamées, la docteure Catherine Gueguen et la psychothérapeute Isabelle Filliozat. Elles se sont approprié la lecture de ce courant de façon tout à fait libre et partielle, en rognant la partie sur les limites éducatives et en affirmant que mettre des limites était néfaste pour les enfants et pouvait créer un traumatisme. Ce qui a eu de vraies conséquences sur les modèles éducatifs contemporains.

L’éducation bienveillante, ou positive, a-t-elle infusé tant que cela dans les familles françaises ?

Depuis environ huit ans, les acteurs de la pédopsychiatrie (travaillant aussi bien dans les institutions publiques et privées que dans des cabinets) doivent traiter de plus en plus de cas d’enfants avec des troubles du comportement liés à un manque de limites éducativesQuelque 350 professionnels de l’enfance ont d’ailleurs dénoncé en octobre 2022, dans une tribune collective parue dans Le Figaro, la dérive de la parentalité « exclusivement » positive.

Je partage ce constat. J’ai vu arriver ces dernières années dans mon cabinet des parents formidables, sains, bien structurés avec de très bons réflexes éducatifs, mais qui ont été victimes de cette désinformation sur la parentalité positive et bienveillante. Il y a quatre ans, j’ai compris que je passais l’essentiel de mes journées à partager la feuille de route que j’avais conçue pour ce type de troubles, avec les exemples de transgressions infantiles à interdire et la manière dont il faut réagir. J’ai alors décidé de partir en « croisade » contre cette désinformation médiatique dont sont victimes les parents en France.

A-t-elle touché un certain type de parents en particulier ?

Je vais vous répondre quelque chose d’assez cynique : les femmes – car ce sont en majorité des femmes – qui se sont intéressées à l’éducation positive étaient déjà bienveillantes. Cela a donc fait plonger dans ces écueils des parents qui étaient déjà « suffisamment bons ». Les parents maltraitants (que je côtoie aussi car je travaille pour l’Aide sociale à l’enfance depuis vingt ans) sont à mille lieues de s’intéresser à cette littérature et à ces conférences.

Que préconisez-vous pour instaurer des limites éducatives ? Est-il possible d’éduquer sans violence, mais aussi sans laxisme ?

La méthode que je propose, qui fait l’objet d’un consensus scientifique international, est celle du Time Out. Cela consiste à mettre à l’écart l’enfant (généralement dans sa chambre), pour un temps limité. Le temps de mise à l’écart ne dépasse pas deux minutes à 1 an ou 2 ans, puis devient proportionnel à la transgression de l’enfant.

« C’est malheureusement par l’éprouvé de frustration que les limites s’intègrent »

Cela permet de ne pas tomber dans l’écueil des cris, des coups, de la violence verbale et physique, de la rancœur, des débats répétitifs et agressifs qui prennent la place d’autres propositions relationnelles beaucoup plus fondamentales pour les enfants. En effet, les petits aspirent à ce qu’on leur propose des solutions rapides et efficaces pour les sortir de leurs douleurs, de leurs cris, de leurs symptômes d’agitation nuisant à ceux qu’ils aiment.

Faut-il tout expliquer aux enfants quand ils dépassent les limites ?

Il faut expliquer trois fois au moment de la transgression, quand ils ont entre 1 an et 3 ans. Après on arrête d’expliquer à chaque fois, car ce n’est pas par la « raison » qu’on arrive à freiner une « pulsion » appelant des limites. C’est uniquement par l’éprouvé de frustration que les limites s’intègrent. Mais cette frustration ne doit en aucun cas devenir violente. C’est pour cela que la méthode du Time Out est idéale.

Vous consacrez une partie de votre livre et un épisode de votre podcast à la thématique des repas agités, vous dites que c’est un « rendez-vous éducatif phare ». Est-ce là que tout se joue ?

Disons que ce temps privilégié d’échanges affectifs et de fond va être déterminant pour la construction de l’enfant et sera notamment tributaire de la bonne mise en place des limites éducatives. J’y donne un certain nombre de conseils très pragmatiques, également inspirés par mon expérience de mère de quatre enfants, pour éviter les heurts.

Quels sont les risques d’élever des enfants sans cadre, ou avec un manque de limites ?

Le risque est d’en faire des enfants asociaux, égoïstes, peu empathiques, tout entièrement dévoués à l’écoute d’eux-mêmes. Ce qui est très coûteux car cela se heurte toujours au confort des autres. La toute-puissance, la pleine liberté génèrent beaucoup de dommages collatéraux : impopularité, exclusion et mésestime de soi. Or tout cela est profondément déprimant.

La vie d’un enfant désobéissant est un enfer qui oscille entre reproches, déception et rejet (de la part de ses grands-parents, babysitters, enseignants, copains qui ne l’invitent pas aux anniversaires…). A l’adolescence, toujours par manque de limites, ils peuvent se mettre en danger en ayant des comportements à risques, avec l’arrivée très insécurisante de nouveaux « agents de liberté », tels que l’alcool, la conduite et la sexualité.

Ces enfants « non limités », comme vous les appelez, peuvent-ils aussi avoir plus de difficultés scolaires que leurs camarades ?

Oui, car penser de façon scolaire implique d’avoir une pensée cadrée. L’écriture est circonscrite à un espace entre les lignes du cahier ; plus tard, quand on se plonge dans une matière, il faut se concentrer dessus ; quand le professeur nous parle, on est censé écouter ce qu’il nous dit et ne pas trop penser à d’autres choses, etc. Globalement, on observe que la concentration peut être parasitée par la « pulsionnalité » de l’enfant manquant de limites éducatives.

Ces enfants peuvent-ils faire l’objet d’un mauvais diagnostic, je pense au TDAH (trouble du déficit de l’attention) et au HPI (haut potentiel intellectuel) ?

Oui, il est fréquent que ces enfants se voient affublés de diagnostics flottants tels que le HPI, qui n’est pas une maladie et qui, d’après toutes les dernières recherches scientifiques sérieuses, n’est associé à aucune souffrance particulière. L’idée de profils « malheureux d’être trop intelligents » est donc un mensonge, qui a eu le temps de leurrer toute une génération de parents et d’enseignants… Même si une bonne portion de ces derniers a toujours été sceptique.

Ces enfants mal limités peuvent aussi recevoir un diagnostic inadapté de TDAH. Cette maladie, elle, existe, mais certainement pas dans les proportions actuelles, puisqu’aux Etats-Unis, de manière surréaliste, 11 % des enfants sont diagnostiqués.

Ces diagnostics sont séduisants. D’abord, parce que le marché des tests qui mènent à eux est extrêmement lucratif. Ensuite, parce qu’ils comportent une dimension d’économie réflexive intéressante pour les psychologues paresseux. Le premier (HPI) est gratifiant pour les parents : au lieu de remettre en question l’implication de leur éducation et la structure psychique de leur enfant, elle les dote d’un vernis gratifiant (« il est supérieurement intelligent »). Le second (TDAH) évite lui aussi tout travail d’analyse du conflit psychique derrière l’excitation. Celle-ci apparaît « tombée du ciel », sans histoire relationnelle entre parents et enfants, et son unique issue consiste à la noyer sous des molécules qui, bien évidemment, ne soigneront rien et laisseront en friche le chantier structurel blessé de l’enfant.

Il faut dire que la « problématique de limites éducatives » n’a aucune existence dans les classifications des maladies psychiques infantiles. Les façons de souffrir évoluent pourtant avec la culture, et il serait heureux de les mettre à jour.

Voit-on une génération d’« enfants rois » arriver à l’âge adulte ? En entreprise, on parle justement de gens qui ont du mal à s’adapter au cadre et aux contraintes… Peut-on imaginer que ce soit lié à la manière dont ils ont été élevés ?

Tout le monde le constate. Interrogez des profs, des recruteurs qui ont trente ans de carrière : ils font tous état d’une évolution singulièrement libre du comportement de leurs étudiants, leurs stagiaires.

Quand on pose toute la journée à un enfant la question de son confort, on en fait un enfant qui n’écoute plus les contraintes de réalité et le confort des autres. Lorsque la psychothérapeute Isabelle Filliozat dit qu’il faut systématiquement proposer un câlin à un enfant agressif, on est en droit de se demander ce que va comprendre cet enfant. On ne parle pas d’un enfant polytraumatisé qui a vécu la guerre, on parle d’Eliott qui est en colère parce qu’il a moins de petits pois dans son assiette que son frère. Le sous-titre de cette histoire, selon moi, est moins un manque de petits pois que : « Papa, maman, s’il vous plaît, arrêtez-moi. »

Vous préconisez dans l’un de vos podcasts de rire une fois par jour avec son enfant. C’est, selon vous, un « agent de prévention extraordinaire pour la santé mentale et psychique ». Est-il possible de rire tout en mettant des limites éducatives ?

Un jour, lors d’une consultation, un papa m’a dit : « Si je résume votre vision de l’éducation : on se promène au paradis avec nos enfants… et un extincteur sur l’épaule. » Si on troque la métaphore de l’extincteur contre une exclusion menée très tranquillement, l’idée est exactement celle-ci : il faut s’amuser en famille, profiter de toutes les joies du quotidien (manger du chocolat, chanter comme des zinzins, se faire des guili-guili, des câlins), mais dès qu’un enfant devient pénible pour les autres, il doit sortir de la pièce. Il s’agit là d’honorer sans transition un appel ponctuel de limites, lié à son jeune âge et à ses besoins structurels à cet instant. Passer des heures à discuter avec lui de ce simple appel et laisser enfler l’expression de sa frustration est vraiment un non-sens.


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