par Eve Szeftel publié le 16 février 2023
Paris, une ville de bobos ? Une métropole riche, cernée de communes pauvres ? La construction de logements sociaux contribue à la ghettoïsation ? A l’heure où la mairie de Paris est une nouvelle fois sous le feu des critiques après la révélation que la capitale a perdu 123 000 habitants en dix ans, une étude de l’Insee Ile-de-France et de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) vient battre en brèche un certain nombre d’idées reçues, qui imprègnent si bien les représentations et les discours qu’on finit par les croire vraies. Voici les cinq enseignements de ce rapport intitulé «Mixité sociale et ségrégation dans la métropole du Grand Paris : état des lieux et tendances sur quinze ans», de 2004 à 2019.
1 — Paris est une ville très ségréguée : faux
Dans la Métropole du Grand Paris (MGP), 37 % de la population (soit 2,6 millions de personnes) réside dans un quartier considéré comme mixte, et 21 % (1,4 million) dans un quartier ségrégué, qu’il soit riche ou pauvre. Et, parmi les 131 communes de la MGP, «c’est à Paris que la part des habitants vivant dans les quartiers les plus mixtes est la plus importante en comparaison des onze établissements publics territoriaux (EPT) : près de la moitié (48 %) des Parisiens résident dans un quartier considéré comme mixte», écrit l’étude. Une mixité surtout portée par les arrondissements de l’est parisien (les Xe, XIe, XIIe, XIIIe, XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements).
Point méthodologique : un quartier, c’est un agrégat de carreaux de 200 mètres de côté, où sont analysées les disparités de revenus. Un quartier mixte brasse, de manière équilibrée, des revenus élevés, intermédiaires et plus faibles. Un quartier ségrégué, à l’inverse, se caractérise par une concentration de revenus élevés ou modestes.
2 — Le Grand Paris est le territoire où les écarts de revenus sont les plus grands : vrai
Du point de vue des revenus, la MGP est la plus ségréguée des 22 métropoles françaises, avec un écart d’un à cinq entre les 10 % des ménages les plus modestes (revenu mensuel inférieur à 900 euros) et les 10 % les plus aisés (revenu supérieur à 4 500 euros). Mais si, au lieu d’étudier les écarts de revenus «entre les quartiers comme on le fait d’habitude, on analyse la répartition territoriale de ces revenus» explique Emilie Moreau, directrice d’étude à l’Apur, alors la mégapole parisienne n’est plus que le «cinquième pôle le plus ségrégué» de France, derrière les métropoles de Rouen, Lille, Tours et Marseille-Aix.
3 — L’est parisien est plus pauvre que l’ouest : vrai
L’étude conforte la division territoriale : les quartiers les plus pauvres se trouvent à l’est, les plus riches à l’ouest. Sans surprise, c’est en Seine-Saint-Denis, au sein des agglomérations Plaine Commune et Paris Terres d’Envol, que se concentrent les ménages à faibles revenus, notamment à La Courneuve, Aubervilliers, Stains, Pierrefitte-sur-Seine et Sevran. Là, «le parc locatif social est prédominant et la proportion de familles monoparentales y est plus élevée qu’ailleurs». S’y ajoutent Bobigny et Clichy-sous-Bois, la ville dont l’actuel ministre du Logement, Olivier Klein, a longtemps été maire. Les catégories sociales privilégiées, elle, ont élu domicile dans l’EPT Paris Ouest La Défense, en particulier à Vaucresson et Neuilly-sur-Seine, «où plus de la moitié des ménages sont propriétaires de leur logement». Ailleurs, elles se concentrent à Paris (VIe, VIIe et XVIe arrondissements, nord du VIIIe, sud-ouest du XVIIe), autour du parc de Sceaux, à Meudon, Sèvres et Marnes-la-Coquette, ou encore aux abords du bois de Vincennes et le long de la Marne.
4 — Le logement social accroît la ghettoïsation : vrai et faux
Tout est une question d’équilibre. Un excès de logements sociaux favorise la ségrégation, mais un déficit aussi. «Il ressort de l’étude que le parc de logements est l’une des variables les plus importantes pour la mixité», relève le sociologue Clément Boisseuil, de l’Apur. «On a analysé la structure du parc dans les quartiers les plus mixtes et elle est équilibrée», confirme Emilie Moreau. Ainsi, dans les quartiers les plus mixtes du Grand Paris, 25 % des ménages résident dans le parc social, 36 % dans le parc locatif privé et 39 % sont propriétaires occupants. «A l’inverse, à peine plus de 1 % des ménages des quartiers ségrégués aisés sont locataires du parc social, tandis que 71 % le sont dans les quartiers ségrégués modestes». Un résultat qui conforte la loi SRU fixant à 25 % la part de logements sociaux à construire, mais aussi les politiques mises en œuvre par l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), qui consistent à mixer du HLM avec du logement «abordable» et de l’accession sociale à la propriété.
5 — La gentrification fait reculer la mixité sociale : faux
Avec un recul de 1,3 point de 2004 à 2019, la mixité sociale résidentielle est quasi stable dans le Grand Paris. A une échelle plus fine, on note une évolution contrastée : elle recule dans certains quartiers sous l’effet de «l’embourgeoisement», comme à Issy-les-Moulineaux, Boulogne-Billancourt ou Levallois-Perret, où les prix de la pierre augmentent, ou, à l’inverse, sous l’effet de la «paupérisation» (Sevran, Blanc-Mesnil, Drancy). En revanche, la gentrification (arrivée de ménages plus aisés ou départ de ménages modestes) créé de la mixité. C’est le cas dans le périmètre de Plaine Commune (Aubervilliers, Saint-Denis, Saint-Ouen, etc.) même si elle part de bas (seule 14 % de la population de l’agglomération vit dans un quartier mixte). En réalité, relève Clément Boisseuil, «la gentrification est un phénomène assez isolé, qui ne concerne que certains quartiers, dans Paris et dans les communes limitrophes de Paris», comme Malakoff, le Pré-Saint-Gervais, les Lilas ou le Kremlin-Bicêtre, où 83 % de la population vit dans un quartier brassé.
Et à l’avenir ? Le Grand Paris va être transformé par la mise en service progressive du Grand Paris Express, qui a déjà commencé avec les prolongements des lignes 12 et 14, les aménagements en vue des Jeux olympiques de 2024, et l’ensemble des projets urbains engagés dans la métropole, par exemple les «quartiers de gare» qui sortent de terre autour des stations du GPE. «La préservation de la mixité dépendra alors du développement du parc de logements sociaux et de l’existence de logements accessibles aux catégories moyennes et modestes (construction neuve à des niveaux de prix maîtrisés, réhabilitation/rénovation, encadrement des loyers, politiques de peuplement dans le parc social et à l’occasion des projets de renouvellement urbain)», conclut l’étude de l’Insee et de l’Apur. Sachant que la «proximité résidentielle ne se traduit pas nécessairement par une proximité en termes d’interactions sociales» : mixité sociale ne rime pas toujours avec mixité scolaire.
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