Des errances managériales racontées bulle après bulle avec humour par l’illustrateur Morgan Navarro et l’ex-cadre en entreprise et auteur de polars Jacky Schwartzmann.
L’écologie ? Il s’en cogne. Les mecs de la CGT ? Tous des cons. S’occuper du stagiaire de 3e ? Jamais, sauf si le boss le demande, et qu’il prend l’apéro à midi au restaurant.
Fabrice Couturier est un cadre vieux jeu : il aime « saigner un fournisseur pour augmenter les marges » et fayote ostensiblement pour monter en grade, au point que ses collègues de Rondelles SA le surnomment « le suceur ». Mais lorsque le poste qu’il convoite est finalement attribué à une jeune externe, il passe du statut de beauf mal embouché à celui de rebelle acoquiné avec la CGT. Une drôle d’aventure racontée avec humour par l’illustrateur Morgan Navarro et l’ex-cadre en entreprise et auteur de polars Jacky Schwartzmann dans Stop Work (Dargaud).
La bande dessinée retrace la métamorphose d’un cadre au service achats et pointe à travers ses aventures les sommets d’absurdité et de cynisme du monde de l’entreprise, en particulier dans la mise en place des politiques de responsabilité sociale et environnementale. Ainsi de Rondelles SA, ridicule dans son nom comme dans ses pratiques.
Au comité de direction, on ne s’exprime plus que dans les termes du « business » : « wip », « deadline », « overdues »… Les anglicismes s’accumulent et exaspèrent Fabrice. Mais ce n’est rien face aux nouvelles règles du service environnement, hygiène et sécurité (EHS). Il faut désormais suivre une formation pour descendre l’escalier, et se garer en marche arrière dans le parking, « comme ça le soir vous êtes en marche avant avec une bonne visibilité, ce qui permettra d’éviter tout accident », martèle la pénible Ludivine, responsable du service EHS.
« Pas en frontal, sinon t’es mort »
Même un simple changement de pile requiert de faire appel à un prestataire de service, car « pour décrocher la pendule, il faut monter sur une chaise » et donc avoir suivi la « formation de travail en hauteur » ainsi que « la formation sur les risques électriques ». Les consignes sont de plus en plus aberrantes, à l’image des affiches qui s’accumulent sur les parois de la boîte : « tenir la rampe, chaussures à semelles non glissantes », « lingettes dans les caisses à outils, attention à la date de péremption sous peine de sanctions ».
Mais le pompon, ce sont les incitations à déclarer les « presque accidents ». Vous vous cognez le genou contre un tiroir de bureau ouvert ? Il faut remonter l’information, ce qui permet à l’EHS d’analyser les « roots causes et établir les good practices ». « On me bride, on me vole ma place au Codir [comité de direction], et en plus on me castre », s’exaspère Fabrice. « C’est pareil dans toutes les boîtes, même dans l’administration. On ne fait plus rien sans autorisation écrite. C’est la Stasi qui rencontre la Nasa », résume Christophe, le délégué CGT.
Exaspéré par ces consignes absurdes, frustré de voir le poste désiré lui échapper au profit d’une jeunette très tonique, Fabrice va passer à l’attaque en suivant le conseil du syndicaliste : « Pas en frontal, sinon t’es mort. » Le cadre ringard se transforme alors en insoumis futé, capable de détourner des règles extravagantes vers le « sabotage passif ». Une stratégie tout aussi cynique que la politique de l’entreprise qui l’emploie, mais plus jubilatoire et riche en rebondissements.
« Stop Work. Les joies de l’entreprise moderne », par Morgan Navarro et Jacky Schwartzmann. Dargaud, 138 pages.
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