Les sénateurs ont voté avec réserve, mercredi, cette évolution destinée à la prise en charge du grand âge et du handicap. Pour le gouvernement, c’est la « première pierre » d’une grande réforme, mais l’opposition pointe l’inconnue du financement.
Il aura fallu qu’une pandémie décime des personnes âgées par milliers pour que l’engagement pris en avril 2018 par Emmanuel Macron se réalise. « Un dernier âge de la vie est en train de se créer sous nos yeux, celui de la dépendance ou de l’autonomie réduite. C’est un nouveau risque qu’il nous faut construire, expliquait-il alors. C’est la collectivité nationale qui va devoir prendre ce financement en charge. » La crise sanitaire a servi de détonateur.
A la faveur de deux projets de loi, l’un organique et l’autre ordinaire, consacrés au remboursement de la dette sociale au lendemain de l’épidémie de Covid-19, le gouvernement a jeté les bases de la création d’une « cinquième branche » de la Sécurité sociale pour « l’autonomie » des personnes âgées et handicapées. « L’occasion a fait le larron », a ironisé Yves Daudigny, sénateur (Parti socialiste) de l’Aisne, lors du vote des deux textes par le Sénat, mercredi 1er juillet. Ils avaient déjà été adoptés en première lecture, le 15 juin, par l’Assemblée nationale.
Pour le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, cette cinquième branche de la Sécurité sociale est « la première pierre d’une réforme en faveur du grand âge » promise par l’exécutif depuis 2018. Créer une branche spécifique va permettre d’« identifier des recettes, des dépenses, pour mettre en évidence l’effort national » à consentir pour le grand âge et le handicap et « garantir un équilibre », indiquait M. Véran le 12 juin, dans un entretien accordé au Mensuel des maisons de retraite.
Présentation détaillée
De fait, les crédits consacrés aujourd’hui aux personnes âgées et handicapées s’élèvent à 66 milliards d’euros. Certains émanent de l’Etat, d’autres de la Sécurité sociale, d’autres enfin des départements… Mais ils sont dispersés et leur évolution globale ne fait l’objet d’aucune présentation ni débat exhaustifs au moment du vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) chaque automne.
Députés et sénateurs n’examinent qu’une petite part de cette manne : les 22 milliards d’euros qui figurent dans l’enveloppe de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam). Les 66 milliards figurent dans une annexe de la loi qui reste peu lisible. « On n’est pas sûrs que ce “pognon de dingue”, comme aurait dit Macron, soit d’une efficacité suffisante dans le champ de l’autonomie », confie un expert du dossier. La création d’une « branche autonomie » imposera une présentation détaillée des dépenses et des recettes permettant au Parlement d’en évaluer la progression et d’en débattre.
Par rapport aux quatre autres branches (famille, vieillesse, maladie, accident du travail) de la Sécurité sociale, administrées au sein d’une caisse où siègent les syndicats et le patronat et dans laquelle l’Etat est partie prenante, la cinquième branche aura un pilotage différent. Elle sera confiée à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), créée en 2004 au lendemain de la canicule de 2003 pour gérer, notamment, l’affectation des fonds récoltés lors de la journée de solidarité en faveur des personnes âgées.
La CNSA dispose aujourd’hui d’un budget de 27 milliards d’euros. La création d’une branche autonomie conduirait à lui confier le contrôle de la totalité des 66 milliards d’euros. « L’assemblage de l’ensemble des crédits permettrait de mieux les utiliser », anticipe Marie-Anne Montchamp, présidente de la CNSA. « Nous pourrions attribuer ces ressources de manière transversale, les rendre fongibles pour optimiser les financements de certaines actions et faire bien mieux avec ce dont on dispose », plaide l’ancienne secrétaire d’Etat de Jean-Pierre Raffarin puis de François Fillon, ralliée à Emmanuel Macron en 2017.
Mme Montchamp milite également pour que la cinquième branche soit l’occasion d’agrandir le « périmètre budgétaire de l’autonomie ». Elle prône ainsi l’intégration dans la nouvelle branche des crédits consacrés par le ministère du logement aux personnes âgées pour leur permettre de continuer à vivre chez elles. « L’architecture de la cinquième branche doit être l’occasion d’une contractualisation ente l’Etat et les départements qui financent le secteur », poursuit-elle.
« A la sauvette »
Si l’exécutif et les grands acteurs du secteur ont d’ores et déjà une idée assez précise de l’utilité et du fonctionnement de cette cinquième branche, les critiques et les réserves n’en restent pas moins fortes parmi les parlementaires de gauche et de droite.
Même si les sénateurs Les Républicains (LR) et centristes ont voté la réforme, mercredi, cette nouvelle branche leur apparaît comme une « coquille vide », créée « à la sauvette », selon Jean-Noël Cardoux, sénateur (LR) du Loiret. « On pose un cadre avant de peindre le tableau », déplore Philippe Mouiller, sénateur (LR) des Deux-Sèvres. Les sénateurs communistes se sont prononcés contre et ont remis en cause la nécessité de créer une nouvelle branche alors que les crédits pour les personnes âgées et handicapées pourraient relever, à leurs yeux, de la branche maladie, voire de la branche vieillesse.
Le reproche principal adressé au gouvernement demeure l’absence de nouveaux financements. Pour faire pièce à cette critique, M. Véran a annoncé le 15 juin un apport supplémentaire d’un milliard d’euros pour les personnes âgées et handicapées, dans le PLFSS qui sera présenté à l’automne. Un effort conséquent, puisque les hausses, les années précédentes, n’ont pas dépassé 500 millions d’euros. Reste à savoir comment le financer.
« La mise à contribution du Fonds de réserve pour les retraites pourrait être envisagée, mais il existe aussi d’autres pistes », a indiqué M. Véran devant la commission des affaires sociales du Sénat, le 23 juin. Par ailleurs, les deux projets de loi qui prévoient la création de la cinquième branche flèchent vers la CNSA une part de contribution sociale généralisée (CSG), pour un montant estimé à 2,3 milliards d’euros à partir de 2024.
Ces deux nouveaux financements sont loin de combler les besoins estimés par le rapport sur la réforme du grand âge remis au gouvernement en mars 2019 par le président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, Dominique Libault. Il évalue les crédits supplémentaires nécessaires à 6,2 milliards d’euros par an d’ici à 2024 et à 9,2 milliards d’ici à 2030.
Sans réponse pour l’instant à cette inconnue budgétaire, le gouvernement renvoie à un rapport sur le fonctionnement et le financement de la cinquième branche, confié à Laurent Vachey, inspecteur général des finances. Ses conclusions sont attendues pour la mi-septembre.
« Le gouvernement présentera un projet de loi dédié à l’autonomie à l’automne en conseil des ministres », a indiqué mercredi Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance, qui défendait les deux textes de loi au Sénat. Ils devraient faire l’objet d’une lecture définitive dans les deux Chambres d’ici à la fin juillet.
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