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jeudi 2 juillet 2020

« On ne peut pas se projeter » : l’école face au défi de la rentrée de septembre

Le confinement et la crise sanitaire ont creusé les inégalités. Les enseignants se préparent déjà à une rentrée dont les enjeux seront inédits.
Par  Publié le 1er juillet 2020
A l’école élémentaire Jules-Julien de Toulouse, le 22 juin.
Des trois mois de confinement qu’elle a traversés, la communauté éducative tire un premier enseignement. Parce que la donne sanitaire reste instable, la prochaine rentrée des classes mérite, autant que faire se peut, d’être anticipée. « Préparer septembre » : c’est ce que réclament, unanimement, les syndicats d’enseignants, en vue d’accueillir au mieux 12 millions d’élèves – dont au moins 20 000 supplémentaires dans le secondaire – et lutter contre des écarts scolaires qui se sont creusés pendant la crise sanitaire.

Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, le dit autrement : « On est condamné à réussir le retour en classe car le rôle de l’école dans la réduction des inégalités a été démontré durant le confinement. » Quels sont les enjeux de cette rentrée inédite ? Quelles en sont encore les inconnues ? En attendant le cadrage ministériel en juillet, Le Monde revient sur quelques-uns des défis à relever en septembre.
  • Des garanties sanitaires

Les plus optimistes des enseignants veulent croire en un « retour à la normale ». D’autres, nombreux, envisagent déjà un rebond épidémique et une année ponctuée de confinements locaux et/ou temporaires. Alors que la reprise des cours durant les deux dernières semaines de juin s’est affranchie (ou presque) du strict protocole sanitaire en vigueur depuis la mi-mai, rares sont les professeurs à imaginer revivre un confinement généralisé. Une « catastrophe éducative mondiale », selon les mots de leur ministre de tutelle, Jean-Michel Blanquer, interrogé sur France Inter le 22 juin.
Voilà pour le constat. Reste au ministre de l’éducation à détailler ce que seront les priorités de l’année scolaire 2020-2021, dans une « circulaire de rentrée », d’ordinaire déjà connue à cette date mais qui tarde à être diffusée. Elle le sera après un « cadrage » du Haut Conseil de la santé publique attendu le 7 ou le 8 juillet, explique-t-on au ministère de l’éducation. Y ont été conviés, mi-juin, les syndicats d’enseignants, pour discuter des scénarios sanitaires. « Il y en a trois, rapporte Stéphane Crochet du SE-UNSA. Le premier qui fait le pari d’un retour à la normale en septembre, le deuxième qui, un peu comme aujourd’hui, se base sur une circulation toujours active du virus, le troisième, enfin, qui prévoit une dégradation de la situation. »
Trois pistes que voient aussi se dessiner sur le terrain les enseignants, sans trop savoir comment les aborder. « On ne peut pas se projeter, témoigne Virginie Akliouat, directrice d’une école à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) et porte-parole du SNUipp-FSU. On a pourtant conservé nos réunions d’équipe tous les vendredis mais il nous est impossible de voir plus loin que la semaine d’après. »
« L’urgence, c’est de finir l’année de manière cohérente, souligne Laurent Klein, directeur à ParisMême s’il est difficile d’anticiper la reprise, on peut espérer garder les réflexes acquis, le rituel du lavage des mains, la réflexion avec les enfants sur les gestes barrières, la responsabilité que l’on a vis-à-vis de soi et vis-à-vis des autres… » « Entre collègues, on parle beaucoup de cette rentrée pleine de points d’interrogation, confie aussi Sabine, directrice en Seine-Saint-Denis. Mais on ne sait même pas si les élèves seront tous là… C’est aussi ça qui rend l’exercice compliqué ! »
A ce jour, huit écoliers sur dix sont revenus s’asseoir sur les bancs de l’école. Une moyenne nationale qui cache des disparités d’un département à l’autre, parfois d’une ville à l’autre, et entre centres-villes et quartiers populaires également. Quoi qu’il en soit, il reste toujours un cinquième des élèves – souvent ceux dont les parents sont considérés « à risque » – qui n’ont pas repris les cours. « Rien ne dit que ces familles-là oseront faire leur rentrée dans trois mois », observe Sabine.
Fin juin, si des « clusters scolaires » sont apparus – de Paris à Dijon en passant par Le Vigan (Gard) –, les données scientifiques sont plutôt rassurantes : un nouveau rapport de l’Institut Pasteur, s’appuyant sur une enquête menée à Crépy-en-Valois (Oise), l’un des tout premiers foyers de contagion en France, établit que le risque de transmission est faible parmi les enfants. Une bonne nouvelle qui ne vaut qu’au primaire, et pas au collège ni au lycée.
  • Evaluer, aménager, raccrocher

Chaque année scolaire s’ouvre sur un « état des lieux » dans la classe ; une « photographie diagnostic », comme disent les enseignants. Ils auront, en septembre, à élargir leur batterie de tests. Outre les évaluations nationales habituelles en CP, CE1, 6e et 2de, le ministre de l’éducation a annoncé un « plan ultravolontariste en la matière qui concerne potentiellement tous les élèves », en vue de déclencher une « aide personnalisée ». Des « groupes de soutien », une « aide aux devoirs » : beaucoup d’engagements sont pris.
La fin de l’année se place déjà sous le signe de l’évaluation, avec l’installation le 30 juin du très attendu Conseil d’évaluation de l’école, une instance créée par la loi Blanquer pour symboliser cette « culture de l’évaluation » défendue au ministère de l’éducation.
Un chiffre résume l’ampleur de la tâche : 4 % des élèves ont « décroché » pendant le confinement, de source ministérielle. « Sans doute plus », disent les enseignants, qui comptent parfois jusqu’à un tiers de leur classe qui a coupé les ponts. Dans leurs rangs, nul ne conteste la nécessité d’une « étape bilan » pour réamorcer l’année. Mais « il faut que cette évaluation soit menée sans pression, soutient Benoît Teste, de la FSU. On ignore dans quel état reviendront les élèves, leur état scolaire mais aussi psychologiqueIl y aura un travail très fin à mener pour savoir quoi adapter, comment et pour qui ».
Adapter les programmes ? L’institution ne semble pas l’exclure. En salle des professeurs, on défend aussi des « adaptations au sein des cycles », ces périodes de trois ans (maternelle, CP-CE2, CM1-6e, 5e-3e) censées favoriser la progressivité des apprentissages. « On ne pourra pas repartir en septembre comme si de rien n’était, prévient la psychologue Agnès Florin. L’école n’est pas qu’une instance d’apprentissages, c’est aussi une instance d’écoute et de protection. On peut compter sur l’intelligence des enseignants pour relever toutes ces missions. »
Au sortir du confinement, les enseignants sont unanimes : la période a creusé des écarts de niveau parfois criants entre élèves. Certains, sans équipement informatique, sans accompagnement parental, se sont « enfoncés ». D’autres au contraire, qui ont bénéficié d’un « cocon familial » et d’un suivi privilégié, ont pu « décoller ».
« C’est la gestion de cette disparité qui représente un défi pour septembre », souligne la directrice Virginie Akliouat. Dans son école de dix classes, le maître E (enseignant spécialiste de la difficulté scolaire) n’intervient que trois demi-journées par semaine ; le psychologue scolaire, qui s’occupe de sept écoles et un collège, n’est présent que lors des réunions. « Il faut que ces personnels puissent intervenir à temps plein si l’on veut vraiment raccrocher tous les enfants », dit-elle.
Laurent Klein, à Paris, défend l’apport des « dédoublements » – ces classes de 12 à 15 élèves dont il bénéficie déjà en CP et CE1 puisque son école relève de l’éducation prioritaire – et l’investissement des Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) qui n’ont cessé de perdre des moyens au fil des années. Sabine, en Seine-Saint-Denis, plaide pour la multiplication des « groupes de besoin ».
Pour rattraper le retard, sans attendre septembre, le gouvernement défend une autre option : les « vacances apprenantes », des accueils et des séjours pour 700 000 jeunes, prioritairement issus des quartiers défavorisés. Un « bol d’air », sans doute, mais pour une efficacité pédagogique qui reste à démontrer.
  • Une « vraie » continuité pédagogique

Bon an mal an, l’enseignement à distance a été assuré. Les deux tiers des familles l’ont d’ailleurs salué, selon un sondage IFOP que Jean-Michel Blanquer se plaît à citer. Mais une chose est sûre : s’il fallait se reconfiner, même partiellement, il faudrait faire mieux. « On redoute tous une reprise même partielle de l’épidémie à l’automne, reconnaît Benoît Teste, de la FSU. Mi-mars, quand cela nous est tombé dessus, les enseignants connaissaient leurs élèves. Ils les avaient déjà suivis deux trimestres ; ils avaient au moins ça pour eux… S’il fallait revivre un deuxième épisode un mois ou deux après la rentrée, ce serait plus compliqué. »
D’où la nécessité, souligne-t-on dans les rangs syndicaux, de tirer les leçons de la crise sanitaire. Du SNES au SNUipp-FSU, du SE-UNSA au SGEN-CFDT, les mêmes demandes émergent : équiper les enseignants et les familles en difficulté, sécuriser les serveurs, normaliser les procédures.
Les chercheurs, eux, insistent sur les besoins en formation. « La question centrale, c’est l’accompagnement des enseignants à la transformation de leur métier dans des conditions d’exercices inédites qui voient les outils numériques prendre une importance gigantesque », explique Pascal Plantard, professeur d’anthropologie, spécialiste des usages des technologies numériques. Le « coup de massue » du confinement a obligé, dit-il, toute une frange d’enseignants à s’adapter pour innover pédagogiquement, souvent avec succès. Mais il reste environ un quart de réticents aux usages numériques, selon lui. Et c’est ce quart qui l’inquiète.
D’autant qu’on leur demanderait, en cas de rebond épidémique, d’« articuler enseignement en présentiel et en distanciel ». C’est en tout cas ce qu’anticipent nombre d’entre eux. « Articuler, hybrider… ce sont des termes à la mode, réagit Loys Bonod, enseignant dans un lycée parisien. Mais pouvoir être présent à distance me laisse circonspect. » La « vraie » continuité pédagogique doit, pour lui, reposer sur un « rythme de travail régulier et ritualisé ». Et pas sur une « succession de visioconférences », dont il doute des effets. « On veut faire comme si les enseignants avaient le don d’ubiquité ou la faculté de se couper en deux », souffle aussi Laurence, enseignante en collège à Montpellier.
Entre la réouverture des premières écoles, mi-mai, et le retour en classe de tous les élèves, mi-juin, une répartition des tâches entre professeurs s’était opérée : 60 % d’entre eux étaient revenus en cours, 35 % continuaient d’enseigner à distance. Quelque 5 % étaient excusés ou en arrêt. Depuis le 22 juin, ils sont 90 % à avoir repris la classe in situ. La rentrée verra-t-elle encore la donne changer ? « En réunion on parle de tout sauf des conséquences sur le métier, reprend Laurence. Un peu comme si on était dans le déni… psychologique. »
  • Soutenir directeurs et chefs d’établissement

Ils ont redoublé d’activité durant toute la période du confinement. Modifié les emplois du temps et réaménagé les salles de classe au gré des évolutions du protocole sanitaire. Mesuré la distance entre chaque élève et compté les passages aux toilettes pour se laver les mains. Calmé les familles, distribué les masques, recensé les élèves sans jamais compter leurs heures… Faut-il s’étonner que tous ceux qui dirigent des écoles, collèges et lycées finissent l’année épuisés ? Et qu’ils réclament du soutien ?
« A rentrée exceptionnelle, moyens exceptionnels », écrivent les syndicats d’enseignants, dans un communiqué en date du 19 juin. Une large intersyndicale (UNSA, Snalc, SUD, SGEN, FSU…) réclame ainsi un effort budgétaire pour la rentrée de septembre, sur l’exemple du plan britannique tout juste annoncé, qui prévoit de débloquer 1,1 milliard d’euros pour le retour à l’école.
Dans le second degré, le 25 juin, le syndicat majoritaire SNPDEN-UNSA donnait à ses adhérents, chefs d’établissement, consigne de faire une « journée morte ». De décélérer, en somme. Au primaire, ils croulent aussi sous les tâches. « Ce qui m’a permis de tenir, c’est la solidarité entre collègues », témoigne Sabine, directrice d’école en Seine-Saint-Denis. Dans sa commune, Pantin, à l’automne 2019, son homologue Christine Renon mettait fin à ses jours. « On attend toujours l’aide administrative et l’allègement des tâches qui nous ont été promis », observe Sabine. « Le chantier de la direction d’école, c’est une urgence absolue, témoigne aussi Virginie Akliouat, dans les Bouches-du-Rhône. Depuis Christine Renon rien n’a changé… Or, dans la période actuelle, et dans celle qui s’ouvre, vue la pression qui nous attend, on n’est pas à l’abri d’autres Christine Renon. »
La proposition de loi « créant la fonction de directeur d’école », portée par la députée (La République en marche) Cécile Rilhac (Val-d’Oise), a été adoptée le 24 juin, mais après avoir été vidée de ses principaux points – dont la création d’un emploi fonctionnel de direction. Avec lui, l’espoir des décharges et des rémunérations promises se serait envolé, en tout cas à brève échéance, regrettent des enseignants. M. Blanquer a promis des textes réglementaires sous quinze jours, avec application à la rentrée.

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