Les colonies de vacances ont-elles vocation à être un prolongement de l’école ? A l’heure des « colos apprenantes », retour sur l’histoire et les difficultés des colonies de vacances, avec l’historienne Laura Lee Downs.
Dans le cadre de son dispositif « vacances apprenantes », devant permettre aux élèves de rattraper pendant l’été le retard scolaire dû au confinement, le ministère de l’éducation nationale promet, entre autres, 250 000 places dans des « colos apprenantes ». Le plan doit aussi permettre de soutenir un secteur fragilisé de longue date, encore un peu plus depuis la crise sanitaire liée au Covid-19. Retour sur l’histoire des colonies de vacances avec l’historienne Laura Lee Downs, autrice d’une Histoire des colonies de vacances, de 1880 à nos jours (Perrin, 2009, 433 p.).
Des colos « apprenantes », pendant des vacances « apprenantes »… Est-ce le rôle des colonies de vacances d’être un prolongement de l’école ?
Les « colos » sont nées autour de 1880, en même temps que l’école républicaine, universelle, laïque et gratuite. Et depuis cette création se pose la question de savoir si elles doivent en être un prolongement, un complément ou un contre-modèle. L’opposition était plus forte lorsque l’école se concentrait uniquement sur une mission d’instruction et de « bourrage de crâne », alors que les pédagogies nouvelles ont été utilisées très tôt dans les colonies de vacances, centrées sur la pédagogie du jeu et le développement physique et psychique du jeune.
Mais ce qui donne de l’intérêt à la « colo », et c’est son but initial, c’est la rupture avec la famille, mais aussi avec l’école et les enseignants, le quartier. Bref, le dépaysement. Plus que jamais après la période de confinement que l’on vient de vivre, les enfants ont besoin de cette rupture. Ce n’est clairement pas le signal qui est envoyé avec cette communication autour des « colos apprenantes »….
Pourquoi les colonies de vacances ont-elles initialement été créées ?
La « colo » a depuis toujours deux objectifs complémentaires : la santé des enfants et leur éducation. Cela se traduit dès les années 1880 en proposant aux enfants défavorisés des villes d’aller séjourner à la campagne au sein de familles de paysans. L’idée est de les mettre au grand air, leur permettre de manger et boire du lait frais (il arrivait souvent frelaté en ville). Mais aussi, dans une optique éducative, de leur apprendre ce qu’on considère alors comme les valeurs paysannes : la patience, la solidarité familiale, le rapport à la nature, le travail dur (loin de la grogne sociale et syndicale des milieux ouvriers urbains…).
Les débats autour de la forme que doit prendre la colonie – familiale ou collective – commencent déjà à partir des années 1890 pour aboutir dans les années 1930 à la colonie « collective » qu’on connaît, dite à l’époque « éducative ». Elle est formalisée et uniformisée sur le territoire national par le Front populaire, qui écrit les premiers règlements (notamment hygiéniques) et met en place une formation des directeurs et des moniteurs et monitrices. De 1945 au milieu des années 1970, c’est l’âge d’or des colonies.
L’intérêt de l’Etat envers les colonies de vacances, qu’elles soient « apprenantes » ou non, est-il marqué politiquement ?
Je dirais plutôt que chaque tendance politique a une certaine vision de ce que doivent être les colonies. Depuis qu’elles existent, cette invention de la société civile que sont les « colos » constitue un observatoire de la société précisément parce qu’elles reflètent le pluralisme de cette même société. Elles suscitent de l’intérêt politique car elles touchent à la fois aux questions, parfois sensibles, de l’enfance, de l’éducation, de la famille, de la nature, du monde rural, voire de religion.
Dès leur création dans le contexte déjà évoqué, les catholiques se sont mobilisés pour que leurs enfants ne partent pas en voyage avec les « ennemis de Dieu » dans le cadre des colonies scolaires ou protestantes. A partir des années 1930, socialistes, communistes, républicains, extrême droite, toutes les tendances politiques participent au « congrès des colonies » ou aux réunions nationales et internationales sur la pédagogie. On chante L’Internationale dans les colos des municipalités communistes, La Marseillaise dans celles des Croix-de-Feu.
Après la guerre, les colonies d’extrême droite disparaissent vite, et les querelles politiques suivent désormais les contours de la guerre froide, avec plusieurs rappels à l’ordre du gouvernement envers les « colos » communistes des banlieues rouges, accusées de « lessivage du cerveau ». Avec l’apaisement de la guerre froide, les querelles politiques entre « colos » se calment et elles deviennent celles qu’on connaît aujourd’hui : une structure socio-éducative centrée sur l’épanouissement de l’enfant et son apprentissage à l’autonomie dans le cadre d’un projet de mixité sociale qui vise à faire apprendre aux enfants les valeurs civiques du vivre ensemble.
Mais depuis les années 1970, les discours sur le « déclin » progressif des colonies de vacances reviennent régulièrement…
Depuis les années 1920, l’Etat subventionnait environ 10 % des frais de fonctionnement des « colos » (50 % entre 1945 et 1950). Mais à partir du choc pétrolier de 1973, ces subventions se réduisent comme peau de chagrin. Et la crise touche aussi les collectivités, les comités d’entreprise, les associations ou les caisses des écoles qui gèrent ces colonies. Elles n’ont d’autre choix que de commencer à vendre les propriétés à la campagne, en bord de mer ou à la montagne qu’elles avaient progressivement achetées pour y envoyer des enfants. Ces ventes sont continues jusqu’à aujourd’hui…
Il faut ajouter l’arrivée de nouveaux acteurs commerciaux qui, à partir des années 1990, proposent des séjours en colonies privées, parfois dans ces mêmes bâtiments vendus par les municipalités ou associations. Le public visé n’est plus le même, et les séjours sont de fait plus « luxueux ». Les jeux d’imagination, les randonnées, les activités « simples » dans la nature font place à de l’escalade, de la voile, du poney, du VTT, etc. Les « colos » publiques se mettent à proposer le même type d’activités pour rester dans la course, avec des coûts beaucoup plus importants… Pour les familles, les prix augmentent, et celles défavorisées en pâtissent. La baisse de la fréquentation des « colos » est continue depuis 1995.
Dans ce contexte, que reste-t-il de la vocation de mixité sociale des colonies de vacances ?
A partir du moment où la colonie « collective » s’impose dans les années 1930, les enfants de la classe moyenne (qui souhaitait se démarquer du monde paysan) ont fait leur entrée dans ces structures, et avec eux la nouvelle mission de mixité sociale des colos. Les uns paient peu leur séjour en colonie, les autres ne le paient parfois pas du tout : le modèle restera le même pendant tout le XXe siècle, jusqu’au virage des années 1990.
Aujourd’hui, cette dimension de mixité sociale est clairement affaiblie, pour les raisons que nous venons d’évoquer, mais toujours présente. Elle se double d’une ambition de mélange des cultures et des religions, de vivre ensemble. Ce projet est aujourd’hui mis à mal par la ségrégation spatiale/résidentielle et les inégalités socio-économiques en France.
Après la période d’enfermement que nous venons de vivre et dont les enfants ont encaissé les dégâts, le droit de partir en vacances, de vraies vacances, qu’importe sa situation sociale, est plus que jamais à rappeler.
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