| 01.07.2020
Auditionnée mardi par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, Agnès Buzyn a défendu pendant quatre heures sa gestion de la crise du coronavirus.
Comme lors des auditions des autres responsables, la question de l’évaporation du stock de masques de protection a été au cœur de l’audition de l’ancienne ministre de la Santé. En avril 2010, il atteignait 1 milliard de masques chirurgicaux et 700 millions de masques FFP2. Mais après plusieurs années sans achat et un rapport en 2018 concluant que la majorité du stock n'est plus utilisable, début 2020, ce stock est réduit à 117 millions de masques chirurgicaux pour adultes, 40 millions de masques pédiatriques, et plus aucune réserve de FFP2. « Cette gestion de stocks, elle ne revient pas à un niveau de ministre », s'est défendue Agnès Buzyn, affirmant notamment ne pas avoir eu connaissance du courrier adressé par Santé publique France à la Direction générale de la Santé en septembre 2018. Ce courrier signé par François Bourdillon soulignait la péremption d'une part importante du stock stratégique d'État de masques et recommandait d'en racheter pour renflouer le stock à 1 milliard de masques.
Pas refaire l'histoire
« Je ne sais pas quelle aurait été ma réaction à cette information. Je ne vais pas refaire l'histoire a posteriori », a-t-elle répondu. En tant que ministre, « la vigilance que je dois avoir, c'est sur des dizaines de produits », a-t-elle argumenté, soulignant que si l'attention s'était « a posteriori » portée sur les masques, coronavirus oblige, les comprimés d'iode en cas d'accident nucléaire ou les tenues de protection face au virus Ebola n'étaient pas des sujets « moins importants » pour elle.
Elle affirme ne pas avoir décidé la destruction des masques jugés non conformes alors que le stock n'avait pas encore été reconstitué, ajoutant toutefois à propos de Jérôme Salomon, « je lui fais totalement confiance et j’assume totalement les décisions qu’il prend ».
La médecin hématologue a toutefois critiqué en creux le rôle de Santé publique France, responsable de la gestion des équipements de protection. « Nous avons tous envie de requestionner » le rôle des agences sanitaires, a-t-elle déclaré, estimant que « des interrogations » existaient sur le « contrôle des stocks » ces dernières années. « Apprendre en 2018 qu'une grande partie des stocks est périmée... Ça nécessite de requestionner comment ça a fonctionné », a-t-elle avancé. Une réponse, en quelque sorte à l'attaque de l'ex-patron de Santé publique France François Bourdillon qui avait regretté que ses préconisations n'aient pas été entendues et que « des décideurs n'aient pas cru à l'utilité des masques ».
Elle a aussi jugé que la création de cette agence en 2017, qui a absorbé les fonctions de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), avait « peut-être réduit la réactivité ». « Je pense qu'il faut une agence dédiée aux crises en général, et pas seulement sanitaires », a-t-elle suggéré aux députés, qui ont annoncé leur volonté de « tirer les leçons » de cette crise.
« Toujours en avance »
La ministre s’est aussi défendue sur un manque d’anticipation et de réactivité dans la gestion de crise. « Vous ne pouvez pas dire qu'on n'a pas été réactifs », a martelé Agnès Buzyn devant la commission d'enquête. L'« anticipation » face à l'épidémie de coronavirus a été « sans commune mesure avec les autres pays européens » et « toujours en avance » par rapport aux alertes des organisations internationales, a-t-elle assuré. « Autour du 11 janvier », l'annonce par la Chine d'un premier décès lié à la nouvelle maladie découverte dans la région de Wuhan constitue « un nouveau niveau d'alerte » et « je décide d'informer le président de la République et le Premier ministre qu'il existe un phénomène en Chine ». À l’époque, il n'y avait qu'une cinquantaine de cas déclarés et on n'avait pas encore la confirmation que la maladie pouvait se transmettre d'une personne à l'autre, a souligné l'ex-ministre. Elle assure avoir ensuite « pressenti » dès le 22 janvier la potentielle gravité de l'épidémie, demandant un état de lieux de tous les stocks d'équipements de protection, et notamment de masques, ainsi que du nombre de lits de réanimation et de respirateurs, et avoir lancé une première commande d'un million de masques FFP2, plus protecteurs, absents de stocks stratégiques d'État.
Quelques jours plus tard, le 26 janvier, la ministre de la Santé s'était voulue rassurante, sur le plateau de LCI. « Nous avons des dizaines de millions de masques en stock en cas d’urgence de santé publique pour l’émergence d’un virus ou d’une bactérie. Donc tout ça est parfaitement géré par les autorités, et si un jour il fallait porter un masque, nous le distribuerions, il n’y a absolument aucune raison d’aller en acheter en pharmacie », déclarait alors Agnès Buzyn.
L'ex-ministre nie avoir sous-estimé le risque
Le 30 janvier, la ministre assure avoir averti Édouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Sur ce dernier point, c'était une « phrase que j'ai lancée » et « pas une alerte formelle », a-t-elle précisé aux députés mardi. Au cours d'une « discussion de salon » à la fin du lancement de la conférence sur le financement des retraites au CESE, « je crois qu'Édouard Philippe évoque le fait qu'il va se présenter au Havre. Je lui dis : si cette épidémie progresse, et qu'elle arrive en Europe (...) Si ça se trouve les élections ne pourront pas se tenir », a-t-elle relaté.
À l'agence Santé publique France, elle demande d'élaborer « trois scénarios d'évolution de l'épidémie » et au consortium de recherche Reacting, de préparer « un protocole de recherche » avec les médicaments potentiels déjà disponibles, ajoute-t-elle. « Je n'ai à aucun moment sous-estimé le risque et j'ai préparé notre système de santé » avant de quitter le ministère, le 16 février, pour rejoindre la campagne des municipales à Paris.
La commission d'enquête va entendre les prédécesseurs d'Agnès Buzyn, Marisol Touraine et Roselyne Bachelot ce mercredi et Xavier Bertrand jeudi.
(avec AFP)
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