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vendredi 3 juillet 2020

Crevés d’être crevés

Les Jours

Illustration
18 novembre 2019

Cruelle et accablante, la fatigue nous pourrit la vie. Mais pourquoi et comment se manifeste-t-elle ? « Les Jours » mènent l’enquête.

La veille, Nicolas s’est rendu à la boutique SFR de Pau. Son téléphone était tombé en panne. La vendeuse à l’accueil lui a annoncé quarante minutes d’attente. Le trentenaire a visé le canapé rouge le long de la vitrine, il s’est allongé en chien de fusil et s’est endormi. « Quand je me suis réveillé, comme je n’avais pas de téléphone, je n’avais pas l’heure, et je ne sais pas dans quelle mesure la vendeuse en a fait passer d’autres avant moi… En sortant de la boutique, j’ai vu que j’y avais passé deux heures et demie… » Nicolas élève 200 brebis dans les Pyrénées. Cinq jours plus tôt, il les a redescendues d’estive. Il s’était ouvert le genou mais le médecin qui lui avait fait six points de suture lui avait assuré qu’il pourrait marcher pendant les deux jours de la transhumance, de 8 heures à 21 heures, et dormir à l’avant de son camion. Ce qu’il a fait. Et ce qui lui vaut aujourd’hui de ne même pas avoir envie de profiter de l’absence de sa femme et de ses enfants, partis en vacances, pour sortir avec ses copains. Fait rare.
Nicolas n’est « jamais pas fatigué » mais il a la réputation de pouvoir enchaîner les nuits blanches tout en allant travailler le lendemain. « Je m’en suis rendu compte lors d’un tournoi de rugby, quand j’avais 14 ans. On avait fait le mur, on était rentrés bourrés à 1 heure du matin. Le lendemain, tout le monde était un peu mou sur le terrain et, moi, je jouais normalement. J’ai vite vu que j’avais des capacité à faire des choses sans dormir. » Lever à 6 heures tous les jours, dimanche compris, coucher à minuit. Une semaine de repos par an. Brebis, vaches, livres, télé, discussions avec sa femme après le dîner, une fois les enfants au lit. C’est leur « moment privilégié » mais Nicolas s’endort régulièrement pendant qu’ils discutent. « Ce sont ces situations qui me font dire que mon mode de fonctionnement ne va plus. Je ne sais même pas reconnaître les signes avant-coureurs de ma fatigue. Je suis tellement passé outre jusqu’ici. J’ai fait le gaillard. » Pour ses 40 ans, Nicolas voudrait travailler moins, dormir plus et être moins fatigué. Mais changer un « mode de fonctionnement » vieux de plusieurs décennies ne se fait pas facilement. Nicolas n’a que 38 ans mais il se prépare : il a trouvé un associé, embauché quelqu’un pour faire le fromage et il réfléchit à faire venir d’autres paysans sur le terrain. Pour « travailler à plusieurs, et travailler mieux. En me disant aussi que si je travaillais mieux, je pourrais gagner plus d’argent ».
Quand elle était ingénieure, Marie-Antoinette, 68 ans, s’endormait pendant les réunions. Après avoir cherché le sommeil toute la nuit, éveillée comme en plein jour de minuit à 5 heures du matin, à changer de chambre pour aller écouter la radio. « Pas de la musique, il me faut des paroles. » À se réveiller les yeux en larmes. « Quand je travaillais, je devais me lever à 6 h 30, c’était assez cruel. Je faisais très régulièrement une sieste par terre dans mon bureau avant le déjeuner. » Marie-Antoinette a beau être à la retraite, ça la poursuit. Elle est tellement occupée, entre les appartements qu’elle possède  « avec quatre heures de femme de ménage par semaine seulement. Mais je suis entièrement responsable, je n’ai pas de contraintes financières, je pourrais en prendre plus » –, les deux dames âgées auxquelles elle rend visite et, jusqu’à récemment, sa mère malade, décédée avant l’été. « J’ai beaucoup de mal à me faire aider. Je culpabilise si je passe un après-midi à lire un bouquin », observe-t-elle.
Grosse fatigue
Illustration Sarah Bouillaud pour Les Jours.
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