Roxane Curtet 25.11.2016
Le noyau dur des fumeurs baptisé les « hardcore smokers » se caractérise par une dépendance complexe. Deux études, présentées lors du 10e Congrès de la Société francophone de tabacologie au début de novembre, montrent que beaucoup d’entre eux souffriraient de troubles post-traumatiques.
En ce qui concerne l’arrêt du tabac, les résultats obtenus via les prises en charge recommandées restent nettement insuffisants. « 74 % des fumeurs restent sur le carreau ! », soutiennent le Dr Gabrielle Errard Dubois, tabacologue à Esvres-sur-Indre et le Dr Nathalie Jan, médecin généraliste à Loches, toutes deux auteures de deux études sur les « hardcore smokers ». Ces deux spécialistes ont ainsi envisagé l’existence possible de troubles post-traumatiques non diagnostiqués chez ces fumeurs invétérés. Le phénomène de craving serait donc dû à un dysfonctionnement du contrôle cortical, connu lors de dissociations traumatiques. Ces troubles de la régulation émotionnelle expliqueraient pourquoi il est difficile d’accompagner cette population particulière vers une abstinence durable.
Afin de tester cette hypothèse, les deux scientifiques ont mené deux études observationnelles, l’une réalisée lors des consultations en médecine générale, et l’autre lors des rendez-vous chez un tabacologue libéral.
« Avez-vous subi des violences physiques, morales ou sexuelles ? »
Les recherches en médecine générale incluaient 150 patients de plus de 15 ans reçus en consultation. Les participants – qu’ils soient non fumeurs, ex-fumeurs depuis plus d’un an ou fumeurs actifs – ont répondu à des autoquestionnaires anonymes permettant au praticien de diagnostiquer ou non la présence de psychotraumatisme. Les résultats sont clairs : 45 % déclarent avoir subi au moins un évènement traumatique moral, physique ou sexuel ! La proportion chez les fumeurs était près de deux fois plus élevée que chez les non-fumeurs (60 % contre 34,5 %). Autre fait intéressant, la question posée, bien que directe, ne semble pas poser problème aux intéressés.
Des troubles psycho-traumatiques : « facteur d’achoppement au sevrage »
Au cours de l’étude réalisée sur douze mois mais cette fois en consultation de tabacologie, les 199 participants ont rempli un questionnaire afin d’évaluer s’ils ont subi d’éventuels évènements traumatogènes. En outre, les tests de Beck et d’Hamilton (sur la dépression) ont été effectués. Les praticiennes ont également cherché des signes cliniques d’état de stress post-traumatique (ESPT) et d’autres pratiques addictives. Il est apparu que, si les patients avaient le profil type de fumeurs « très dépendants », ils ne représentaient pas une partie particulièrement précaire de la population. Par ailleurs, près de 77 % des patients ont vécu un, voire plusieurs psychotraumatismes. Plus flagrant encore : parmi ceux-ci, 88 % ont des signes cliniques d’ESPT !
Au vu de ces résultats, les deux médecins concluent qu’« il est indispensable d’identifier chez tout fumeur dépendant la notion de psychotraumatisme et de rechercher les signes cliniques d’ESPT ». En effet, il s’agirait peut-être de la principale caractéristique des « hardcore smokers ». De même, ce phénomène serait lié au risque de craving, et le diagnostiquer serait un moyen « d’ajouter un bras de levier pour aider efficacement ces fumeurs ». Les tabacologues devraient donc intégrer les traitements employés à la suite d’un traumatisme comme l’EMDR (thérapie consistant à effectuer des mouvements oculaires bilatéraux) ou l’hypnose éricksonnienne.
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