« Il suffit qu’un homme de génie ait eu des crises convulsives pour qu’aussitôt on les attribue à l’épilepsie. Le coléreux Hercule, le bouillant Ajax, Saül lui-même, seraient des épileptiques, mais il faudrait admettre comme telle toute personne sujette à des accès de fureur.
César avait de fréquents vertiges ; il eut des crises convulsives. Mahomet se retirait sous sa tente pour cacher des attaques. Mais ces convulsions, ces vertiges n’étaient-ils pas simplement hystériques ? Le manque de détails impose le doute ; il n’en est pas moins vrai qu’on traite couramment Mahomet de comitial avéré.
Je passe sur un grand nombre de géniaux chez lesquels l’épilepsie est aussi peu démontrée, pour arriver à un contemporain sur lequel on possède de nombreux documents, Gustave Flaubert (Dr Charles Binet-Sanglé, “ L’épilepsie chez Gustave Flaubert ”).
Dans son enfance, Flaubert est poltron et coléreux. Il s’enfonce tellement dans ses lectures qu’il se mordille la langue, se tortille une mèche de cheveux et, parfois, tombe par terre. Il faudrait avoir plus de détail sur ces chutes qui, ainsi relatées, semblent plutôt dues à la distraction. Devenu adulte, il reste nerveux, a des névralgies, des gastralgies, des douleurs occipitales, des migraines, de l’affaissement psychique, des hallucinations visuelles, des obsessions, des terreurs, des tics, des impulsions ambulatoires, tous symptômes que l’on retrouve dans l’hystérie.
C’était du reste le diagnostic que fit le professeur Hardy ; il le traita de “ femme hystérique ” ; pourtant, à cette époque, on connaissait mieux l’épilepsie que l’hystérie.
Arrivons aux crises convulsives. La première attaque se déclare au début de sa 22e année, la nuit, dans les circonstances suivantes : Flaubert était dans un cabriolet ; un roulier passa à sa gauche et on apercevait au loin sur la droite la lumière d’une auberge. Depuis, il se rappelait toujours ces détails dans son aura.
La “ Chronique médicale ” a déjà cité la description que nous donne Maxime du Camp de ces attaques et l’on y voit que ces attaques ressemblent plutôt à une crise d’hystérie. Le mal comitial est plus dangereux et moins théâtral. L’épileptique ne prononce pas de phrases à effet et tombe brusquement sans choisir sa place. Il se fait ainsi souvent des blessures graves qu’on ne signale pas chez Flaubert. Celui-ci avait, au contraire, la précaution de se coucher tout d’abord dans son lit.
L’attaque d’hystérie a grandes allures, se terminant par des hallucinations, attitude passionnelle et clownisme, est classique. Mais on sait fort bien que ces derniers phénomènes peuvent manquer et l’attaque se réduire à des convulsions. Au contraire, l’attaque d’épilepsie commence par des convulsions toniques auxquelles succède le clownisme. Ces contractures ne sont pas décrites dans les accès de Flaubert. On ne dit point d’ailleurs s’il se mordait la langue, s’il écumait, s’il urinait après sa crise : l’absence de ces renseignements permet d’y répondre négativement.
Quant à sa mort foudroyante, elle peut s `expliquer de bien des façons. J’ai entendu parler d’une gomme possible du cerveau ; je ne m’arrêterai d’ailleurs aucunement à ce diagnostic ; si je le cite, c’est simplement pour montrer qu’on peut faire bien des hypothèses. Or Flaubert est le génial sur les attaques duquel nous possédons le plus de renseignements. Notez que je ne nie pas que nombre de géniaux soient épileptiques ; je demande simplement, pour l’affirmer, des observations mieux prises. »
(La Chronique Médicale, 1900)
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