A voir en exclusivité sur Libération depuis mercredi, le documentaire Trop noire pour être Française ? sera diffusé sur Arte ce vendredi soir à 23h05. La réalisatrice Isabelle Boni-Claverie part de son histoire personnelle de femme métissée victime de racisme malgré son milieu bourgeois, pour dresser un panorama global de la discrimination dont sont victimes les Noirs en France. Selon elle,«sans en être conscients, on est encore très imprégnés par l’histoire coloniale française».
Vous expliquez avoir eu envie de faire ce documentaire à cause de l’affaire Guerlain, contre laquelle vous vous êtes mobilisée pendant plusieurs mois. En quoi cet épisode a-t-il été un déclencheur ?
On était en 2010, ça faisait plusieurs années que le climat était très brutal, avec le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, le débat sur l’identité nationale, les dérapages de Brice Hortefeux… On assistait à une libération raciste de la parole politique que je n’avais encore jamais connue. Et l’absence de réactions fortes et rapides à ces propos tenus sur un média public à une heure de grande écoute [Jean-Paul Guerlain avait déclaré : «Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin…», ndlr] a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. A part en 2002 pour Le Pen, je n’avais jamais éprouvé le besoin de descendre dans la rue ; en tant qu’auteure, j’ai une position plus en retrait, d’observation. Après cette mobilisation, j’ai ressenti le besoin de continuer à porter ces interrogations et ce message par les moyens du cinéma, avec une narration plus intime.
Vous avez pris conscience d’être noire à l’âge de 6 ans, lorsque vous souhaitiez jouer Marie dans la crèche de l’école et que votre institutrice vous a imposé le rôle de Balthazar. Comment avez-vous vécu cette situation ?
Je l’ai vécue comme une injustice. J’étais une petite fille de 6 ans et mon identité était d’être une petite fille. Là, tout à coup, on me disait «tu es noire et ça, ça compte davantage, donc tu peux incarner un garçon». Je me suis sentie mortifiée d’être obligée de me déguiser en garçon parce que j’étais noire, alors que ce qui m’intéressait c’était d’être Marie, d’être au centre de la crèche et de tenir le petit Jésus.