INTERVIEW
Alors que la loi Touraine prévoit de mieux encadrer le recours à l’isolement, le Dr Najman dénonce les dérives d’une époque «néoaliéniste».
C’est aujourd’hui que l’Assemblée nationale vote toute la loi de santé de Marisol Touraine. Dans ce très long texte, juste quelques éléments sur la psychiatrie. Et, entre autres, une disposition limitant le placement en chambre d’isolement et la contention des malades dans les hôpitaux psychiatriques.
Que le législateur se penche sur cette question pointe au minimum qu’il y a un problème. Dans le texte, il entend mieux surveiller ces pratiques ; il rappelle que les mesures de privation de liberté «sont des pratiques de dernier recours», uniquement «pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre» et «pour une durée limitée». En outre,«leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin». Un registre devra être tenu dans chaque établissement, mentionnant le nom du psychiatre ayant décidé l’isolement ou la contention, et celui des professionnels l’ayant contrôlé. Le Dr Thierry Najman dirige un important secteur à l’hôpital psychiatrique de Moisselles, près de Paris. Membre du Collectif des 39, qui défend une conception humaniste de la psychiatrie, il va publier Lieu d’asile aux éditions Odile Jacob.
Encadrer les chambres d’isolement, cela va-t-il dans le bon sens ?
Cela procède d’une bonne volonté, mais je suis sceptique. Un nombre important de rapports a déjà été rédigé. Dans les hôpitaux psychiatriques, il y a une foule de juristes, de magistrats, d’avocats qui circulent. Tous constatent des atteintes répétées aux libertés. Ajouter un registre ? On va apporter au mieux une illusion qu’il y a un regard.
Comment expliquer cette montée en puissance de la contrainte ?
Ce n’est pas simplement une montée en puissance des chambres d’isolement ou de la contention, mais de toutes les formes d’enfermement, de toutes les forces de surveillance et de contrôle. Et tout le monde le dit, comme chaque année dans son rapport le contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Précisément ?
Certains rapports relèvent des cas de patients sanglés pendant six mois, les quatre membres attachés, ainsi que l’abdomen, avec parfois une sonde urinaire. Il y a une fermeture massive des portes des hôpitaux psychiatriques, le nombre des unités pour malades difficiles a été multiplié par deux. Environ 400 000 personnes sont hospitalisées chaque année en psychiatrie dans notre pays. Et plus de 20% sont hospitalisées sous la contrainte.
Est-ce un retour à d’anciennes pratiques ?
C’est bien plus qu’un retour en arrière. Schématiquement, dans l’histoire de la psychiatrie, on peut parler de trois périodes : celle de l’asile, qui va de la Révolution française à la Libération ; puis une période désaliéniste, qui a correspondu à la création des secteurs, à la psychothérapie institutionnelle ; depuis quinze ans, la situation est différente. Je parle d’une période néoaliéniste. Parce que lors de la toute première époque, on enfermait, certes, mais les pratiques étaient portées par la philosophie des Lumières. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, on est dans un contexte de fermeture, de régression, et dans un contexte de bonne gestion comptable des hôpitaux.
Quel rapport avec la «bonne gestion» ?
L’effondrement des moyens alloués à la psychiatrie publique est une réalité. Dans un service de psychiatrie où il y a quarante malades aigus et deux infirmières, que voulez-vous qu’elles fassent si ce n’est fermer la porte et avoir peur ?
Et vous, dans votre service ?
Mon service est ouvert en permanence. Nous utilisons de façon exceptionnelle les moyens de contention. Le fait d’ouvrir les portes, dans tous les sens, favorise le soin. Et les enquêtes montrent que la fréquence des fugues est équivalente dans les services hospitaliers ouverts et fermés à clé.
Reste que mettre un patient dans une chambre d’isolement est une décision du psychiatre. Pourquoi la prend-il ?
La contrainte qui se développe sur les patients se développe aussi sur les professionnels. Ils sont soumis à des contraintes économiques, administratives, bureaucratiques. Peut-être que beaucoup se laissent aller à une certaine résignation, dans ce contexte de restriction.
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