REPORTAGE
Dans un lycée de Roubaix, des intervenants poussent les élèves à dépasser leurs idées reçues sur les métiers qui seraient pour les uns destinés aux filles, pour les autres aux garçons.
On frappe à la porte. Voilà Frédérique Luczkow, petite brune aux grands yeux, longue tresse noire sur l’épaule. «A votre avis, quel métier fait-elle ?» demande Jean-Christian Fonteyne, documentaliste et référent égalité garçons-filles, devant la classe de 15 élèves de seconde du Lycée Maxence-Van-Der-Meersch de Roubaix. «Un truc d’homme, sinon, elle serait pas là», dit Sofia. C’était la matinée de sensibilisation à la mixité professionnelle, jeudi dernier, comme chaque année depuis trois ans, dans ce lycée où la plupart des élèves sont d’origine modeste. On commence par le jeu de la devinette. «Maçon !»«Pompier !»«Policière !» Perdu. La jeune femme brune sur l’estrade sourit, impassible. Tristan : «Mécanicien ?» Bernard : «Ferrailleuse ?» Alassana : «Menuisier !» Gagné. L’Atelier de la menuisière, c’est le nom de l’entreprise de la dame, près de Lille. Un garçon s’inquiète : «Est-ce que dans votre formation, les garçons vous considéraient comme plus bas qu’eux ?»
Vocations. Le but de cette journée : casser les stéréotypes de genre sur les métiers, essayer de faire viser haut et susciter des idées. Le lycée Van-Der-Meersch recrute surtout dans les collèges d’éducation prioritaire de la ville. Quelques enfants des classes moyennes et, surtout, beaucoup de fils et filles d’ouvriers, de chômeurs, qui n’ont pas la «culture scolaire», explique Claire Mecarelli, conseillère principale d’éducation (CPE). La culture scolaire ? «Beaucoup de parents n’ont pas le bac, n’ont pas connu le lycée. Chez certains, il n’y a pas de livre, et les parents sont au chômage depuis plusieurs générations. Sur les choix de métiers, ils ne sont pas très inventifs.»Au-delà de la lutte contre les stéréotypes, il s’agit de leur faire rencontrer des gens, d’ouvrir des perspectives. «On a tous dans nos connaissances des gens qui sont arrivés là où ils n’auraient pas dû s’il y avait eu reproduction sociale. Ils ont fait une rencontre qui a changé leur vie. C’est ce qu’on veut offrir à nos élèves, une rencontre.» Les profs et les CPE ont bricolé sans argent : ils ont cherché dans leurs familles, leurs amis, des professionnels intéressants ou décalés. Et prêts à donner une matinée. Ça a créé des vocations. David Becqueret, tee-shirt noir, carrure de bûcheron, est assistant maternel. Les lycéens se sont étonné qu’il change des couches. L’an dernier, un garçon lui a demandé comment faire pour exercer ce métier.
Retour dans la classe. Ici, ces élèves de seconde qui se destinent à une première S font mentir les statistiques : il y a six garçons et neuf filles. Les filles sont meilleures que les garçons en sciences mais, d’habitude, elles sont minoritaires en section S. Le regard des autres, quand on fait un métier dit «d’homme» ? Ça peut être compliqué au quotidien, explique Frédérique Luczkow. «Quand je pose des fenêtres sur un chantier, parfois des ouvriers d’un autre corps de métier se croient autorisés à m’expliquer comment faire.»Quand elle se fait accompagner par un collègue chez un fournisseur, on s’adresse à son collègue. «On me regarde de la tête aux pieds. Qu’est-ce qu’elle fout là, la secrétaire ?»
L’intervenant suivant toque à la porte. Sofia s’attend à voir une femme. «Elle fait quoi ? Moissonneuse-batteuse ?» C’est Jean-Bruno Rieux, un brun au cheveu court et au sourire doux. Les lycéens l’imaginent coiffeur, sage-femme, infirmier, couvreur, fleuriste. Bernard lève la main : «Je sais, vous êtes poubelleur !»Sofia : «Non, il a pas l’air fatigué. Il est posé, au calme.» Quelqu’un risque : «Maquilleuse ?» Et encore : «Prostitué ? Hôtesse d’accueil ? Esthéticienne ?» Sixtine trouve : «Assistante sociale.» Les assistants sociaux sont à 98% des femmes. Corentin : «Il y a d’autres hommes avec vous ?»«Non je suis tout seul», répond Jean-Bruno Rieux. Corentin : «Respect.» Un autre : «Vous n’avez pas peur qu’on dise que vous êtes gay ?»«Non, ce n’est pas interdit.» Il ajoute qu’être un homme est un petit handicap : établir la confiance prend plus longtemps. «Il y a un côté maternant dans ce métier.»
«Blouse blanche». Voilà deux femmes, dont une grande à l’allure sportive. Sofia : «Elle a un coup de soleil. Elle est skieuse.» Loupé, elles sont médecins. La grande bronzée, Louise Cappelle, est externe en médecine légale. Valérie Coiteux est hématologue au CHRU de Lille. Dans ce lycée, peu de filles en rêvent. «A moyenne égale, en S, les garçons se voient médecins, et les filles institutrices», raconte la conseillère principale, Claire Mecarelli. Sur le terrain non plus, ce n’est pas l’égalité, reconnaît l’hématologue. «Certains patients font plus confiance aux hommes.» Et les chefs sont surtout des hommes.«Les femmes ont moins confiance en elles. Elles prennent plus souvent un mi-temps pour les enfants. La carrière est plus facile pour un homme.» Sixtine : «Vous avez des loisirs à côté ? Des amis ?» Elles : «Ben, oui.» Jean-Christian Fonteyne, le documentaliste, sursaute : «On voit toujours les femmes scientifiques comme des petites dames qui passeraient leur temps à ça. En blouse blanche, austère, à lunettes, boutonnée jusqu’en haut. Faut arrêter. Elles ont une vie.»
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