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vendredi 25 février 2022

Tentative de féminicide à Nice : «On sait que cette femme aurait dû être protégée»

par Mathilde Frénois, correspondante à Nice  publié le 24 février 2022 

A Nice, Johanna, mère de trois enfants, a été «poignardée et étranglée dans son sommeil», deux jours après avoir signalé la dangerosité de son compagnon, ce qui interroge sur l’efficacité des mécanismes, pourtant existants, de protection.

Les deux entailles traversent son visage. Parallèles et profondes, elles partent de la nuque et s’étirent jusqu’au milieu de la joue. Lundi, à l’aube, Johanna a été «poignardée et étranglée dans son sommeil» par son conjoint, Saïd B., dans l’intimité de leur domicile niçois. C’est sa sœur qui, sur Instagram, partage la photo à la sortie du bloc opératoire, les points de suture resserrant la balafre. Elle réclame «justice pour Johanna», sauvée in extremis par l’appel aux pompiers de son fils de 5 ans et l’intervention des chirurgiens. Johanna a été victime d’une tentative de féminicide. La mère de famille avait pourtant alerté la justice à plusieurs reprises sur la dangerosité de son compagnon.

Le dernier signalement remonte à 48 heures. «Le mis en cause a été placé en garde à vue pour agression sexuelle dimanche suite à un signalement de sa conjointe. Il a été relâché à l’issue de sa garde à vue faute d’élément probant pour le poursuivre», confirme le parquet de Nice. S’ajoutent deux procédures antérieures en 2020 et 2021 pour Saïd B. L’une donnant lieu à un stage de prévention de violences conjugales, l’autre à un classement sans suite «car la victime n’a pas continué les poursuites», dit le parquet. Johanna a, elle aussi, écopé d’un stage de prévention en 2021 pour violences conjugales. C’est dans ce contexte que Saïd est revenu au domicile.

«Johanna a échappé de peu à la mort»

Lundi à 6 h 45, les secours ont réveillé l’immeuble coquet, art déco, de la rue Cavendish, dans le centre-ville de Nice. D’habitude, le voisin Alain entendait «des cris la nuit» jusqu’à «trois fois par semaine». Un jour, il a vu Saïd B. «lancer une chaise par la fenêtre».Carole habite l’appartement juste au-dessus du couple. «J’entendais les petits qui sortaient de leur chambre et qui disaient : “Arrêtez arrêtez !” Quand je les ai croisés ce week-end, ils avaient un masque de tristesse, se souvient-elle. Avant, ils ne se disputaient que le soir, et là ils commençaient le matin. Il y avait tellement de bruit, c’était extrêmement violent. Une fois, une dispute a duré de minuit à 3 heures du matin. Elle tenait à lui. Elle lui disait : “Mais je t’aime.”»

Sous la photo Instagram, la sœur de Johanna raconte la nuit du drame : «Rayan, 5 ans, a eu le réflexe héroïque d’appeler les pompiers. C’est sans doute cet acte qui a sauvé la vie de Johanna, qui a échappé de peu à la mort suite à des blessures profondes qui ont transpercé sa joue, déplacé sa mâchoire et approché à moins d’un centimètre de son artère jugulaire.» Les jours de Johanna ne sont plus en danger et ses enfants ont été placés. Saïd B. a été interpellé, avec leur fils de 7 ans, dans le train, destination l’Italie. Il est mis en examen «pour tentative de meurtre sur conjoint» et placé en détention provisoire. La nature de l’arme reste à déterminer.

Jamais de mesure d’éloignement

Johanna et Saïd ont vécu sept ans ensemble rue Cavendish. Il y a eu les plaintes déposées puis retirées, les violences et la pression, les deux stages et la demande d’aide juridictionnelle. Mais jamais la distance entre les conjoints n’a été imposée. «Non, pas de mesure d’éloignement», confirme le parquet de Nice à Libération. Peut-être que la distance aurait pu épargner cette mère de trois enfants. C’est la conviction de la Fédération nationale des victimes de féminicides (FNVF), qui réclame «une commission d’enquête auprès de l’Inspection générale de la justice et de l’IGPN afin d’établir d’éventuels manquements et ou responsabilités qui auraient pu conduire à ce drame».

La FNVF a été créée en 2020, juste avant le féminicide de Mérignac, celui de Chahinez, immolée par le feu le 4 mai 2021 par son ex-conjoint contre qui elle avait porté plainte plusieurs fois. «Malgré cette terrible expérience, on se retrouve avec les mêmes travers,pointe la présidente de la fédération, Sylvaine Grevin. On sait que cette femme aurait dû être protégée. Ce n’est plus tolérable de se dire que, aujourd’hui, une femme se déplace un week-end pour signaler des faits de violence pour que, 48 heures plus tard, son compagnon tente de la tuer. Aujourd’hui, nous avons tous les outils.»

«Il y a toujours des choses qu’on ne maîtrise pas»

Des injonctions d’éloignement sont délivrables au civil et au pénal. Depuis 2019, le bracelet antirapprochement peut être demandé par tous les magistrats de la procédure. L’interdiction de paraître au domicile ou le «téléphone grave danger» sont aussi des options de protection. «Les statistiques montrent bien que, sur le nombre de demandes d’ordonnance de protection, il existe très peu de rejets. Mais les mesures d’éloignement ne peuvent pas être systématiques car elles sont très attentatoires aux libertés, pointe une juriste spécialisée dans le contentieux des violences intrafamiliales sur la Côte d’Azur qui préfère rester anonyme. Il y a de plus en plus de mesures d’éloignement prononcées. Mais il y a toujours des choses qu’on ne maîtrise pas.»

Dans l’immeuble, du scotch bleu clôt la porte du domicile. «Tentative de meurtre» et «soustraction d’enfant», peut-on lire sur le scellé. La sœur de Johanna poursuit les démarches pour récupérer les trois enfants du couple. Elle a lancé une cagnotte en ligne afin de financer les frais médicaux, l’aide psychologique et le déménagement. Johanna enchaîne les opérations chirurgicales pour estomper cette marque sur le visage. Les souvenirs, eux non plus, ne peuvent disparaître.


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