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mardi 22 février 2022

Procréation «Il faut sortir l’infertilité de l’invisibilité et du domaine du tabou»

 

par Anaïs Moran  publié le 21 février 2022

A l’occasion du lancement ce lundi de la première étape d’une stratégie gouvernementale de lutte contre l’infertilité, le professeur Samir Hamamah, missionné plusieurs mois pour réaliser un état des lieux de cette maladie affectant plus de 3 millions de personnes, appelle à une meilleure prise en compte de cet enjeu de santé publique.

Mettre en lumière un sujet de santé publique «peu débattu» et «trop souvent relégué au second plan» : ce lundi, le ministère de la Santé a officiellement lancé la première étape de sa «stratégie nationale» de lutte contre l’infertilité prévue «pour le printemps 2022», en réceptionnant le rapport rédigé par le professeur Samir Hamamah, responsable du département de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier, et par Salomé Berlioux, représentante de la société civile et autrice de la Peau des pêches, livre-témoignage d’un parcours d’assistance médicale à la procréation (AMP). Ce rapport est le fruit de quatre mois de mission, d’environ 150 auditions, afin de soumettre au gouvernement des recommandations et exposer les causes de cette problématique sanitaire, sociétale, et personnelle qui touche directement 3,3 millions de Français. Samir Hamamah, également président du Conseil national des universités de médecine et de biologie de la reproduction et de gynécologie médicale, développe pour Libération les points primordiaux de ce travail.

Pourquoi ce plan national de lutte contre l’infertilité, aujourd’hui ?

L’infertilité est un enjeu de santé publique majeur et il est temps que tout le monde en prenne conscience. On parle ici d’une maladie, qui affecte le corps, l’esprit, l’intime, et l’existence des personnes touchées, mais qui n’a jamais été traitée comme telle par les pouvoirs publics. Au cours des vingt dernières années, la fréquence de l’infertilité masculine et féminine n’a cessé d’augmenter en France d’une façon particulièrement inquiétante. Désormais, on comptabilise plus de 3 millions d’individus directement atteints. En incluant les proches traversant de manière indirecte cette épreuve, on parle de 8 à 10 millions de personnes qui de près ou de loin souffrent à cause de cette maladie, et généralement en silence. Il faut sortir l’infertilité de l’invisibilité, du domaine du tabou.

Dans votre rapport, vous indiquez que l’une des grandes causes de cette hausse de l’infertilité est «sociétale». Qu’entendez-vous par là ?

Je veux parler du recul de l’âge de la première maternité et de la paternité. Actuellement, les femmes donnent naissance à leur premier enfant à l’aube de leur 29 ans en moyenne. Les hommes, à 34-35 ans. Ce phénomène de «retardement» résulte d’un ensemble de facteurs sociétaux. Il serait difficile d’être exhaustif, mais on peut relever des causes «premières» telles que la généralisation du travail féminin et des techniques contraceptives. On note, en outre, que les jeunes générations sont beaucoup plus à la recherche de stabilité professionnelle et affective avant de concrétiser un projet parental, plus nombreuses aussi à s’interroger longuement sur leur désir de vouloir un enfant. Sans oublier qu’elles sont très sensibles à l’absence de politique publique [congé parental, financement de places d’accueil de la petite enfance, journée de télétravail, etc.] facilitant la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, notamment les femmes, qui en sont les premières victimes. Je ne dis pas que ces changements sociétaux sont désolants. Je ne pousse aucunement à la natalité. En tant que médecin, je souhaite seulement faire de la prévention et mettre en garde sur la réalité du déclin de la fertilité avec l’âge, trop souvent ignorée, et qui conduit à des situations dramatiques chez des personnes désirant un bébé.

Quelle est cette réalité, précisément ?

Une étude menée par l’Ined [l’Institut national d’études démographiques, ndlr] estime qu’un couple sur quatre à 30 ans aura besoin d’une aide médicale pour concevoir. Ce risque d’infertilité monte à un couple sur trois à 35 ans (34 %) et à plus d’un couple sur deux à 40 ans (56 %). Ce déclin trouve principalement son origine dans le recul de l’âge à la maternité, puisqu’on sait que la fertilité féminine décline progressivement à partir de 30 ans, et que cette chute s’accélère significativement à partir de 35 ans. Ainsi, la fécondabilité, c’est-à-dire la probabilité de concevoir, par cycle est estimée à 25 % vers 20-30 ans, mais à seulement 12 % à 35 ans et à 6 % à 40 ans, car le nombre de follicules [enveloppes contenant les ovocytes] s’amenuise au fil du temps. Les hommes sont moins touchés par cette corrélation entre infertilité et vieillissement, mais il ne faut pas croire qu’il s’agit d’une problématique uniquement féminine. Le recul de l’âge de la paternité peut en particulier altérer la qualité de l’ADN des spermatozoïdes, et aggraver grandement le risque de fausses couches. Les cas d’infertilité liée à des causes purement médicales ne sont pas non plus qu’une «affaire de femmes» : les problèmes de santé responsables de ces situations proviennent pour un tiers des femmes, un tiers des hommes et un tiers des deux partenaires.

Face au recul de l’âge à la parentalité, la loi relative à la bioéthique d’août 2021, permettant aux femmes et aux hommes de congeler leurs gamètes sans indication pathologique, vous semble-t-elle capable de répondre à la problématique ?

Cette loi représente un progrès sociétal salutaire. Elle offre effectivement une solution pour toutes les personnes qui veulent pouvoir choisir sereinement leur moment pour avoir un enfant. Chaque femme entre 29 et 37 ans et tout homme âgé de 29 ans à 45 ans, a désormais la possibilité d’auto-conserver ses ovocytes ou ses spermatozoïdes, un procédé qui était jusqu’alors réservé aux personnes touchées par des problèmes médicaux. Cette loi a par ailleurs intégré une nouvelle disposition, la levée de l’anonymat des donneurs et donneuses au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. Est-ce que ce changement majeur va les faire fuir et augmenter encore le temps d’attente des couples infertiles, qui doivent patienter entre dix-huit à vingt-quatre mois pour leur première attribution de gamètes ? J’espère que la réponse sera non. Mais si c’est le cas, il faudra que notre société reconsidère la contribution de ces donneurs et donneuses et réfléchisse, pourquoi pas, à la manière de les indemniser.

Des facteurs environnementaux sont également responsables de cette progression de l’infertilité. Quels sont-ils ?

Ils sont multiples. Nos modes de vie, d’abord, nous impactent très largement. Le tabac, la malbouffe et l’obésité, le manque de sommeil, le cannabis, les troubles de l’alimentation… Nos rythmes angoissants, car le stress sur le corps humain, c’est comme la rouille sur une voiture. Ensuite, il y a le rôle des produits reprotoxiques, tels que les métaux lourds, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, présents dans notre environnement quotidien, dans l’air, dans nos lieux de travail, notre alimentation, sans qu’aucun étiquetage n’affiche qu’ils sont reprotoxiques. Toutes ces choses vont altérer la qualité et la quantité du sperme de l’homme et de la réserve ovarienne de la femme. Nos données sont plus fragiles concernant les femmes, car analyser des ovocytes nécessite une ponction, c’est-à-dire une stimulation ovarienne puis une opération. Mais chez les hommes, un spermogramme suffit et les études sont sans appel. L’épidémiologiste américaine Shanna Swan a fait savoir qu’entre 1973 et 2011, la concentration spermatique des hommes des pays industrialisés avait baissé de 50 % et que, depuis, cette centration continue sa chute de 1,9 % chaque année. C’est gravissime.

Lors de votre mission, vous avez constaté que la société faisait preuve d’une «confiance excessive» à l’égard des résultats des techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP)…

On a commis une erreur en gravant dans l’esprit des gens que ces AMP étaient la solution à tout. Sauf que dans les faits, malgré des progrès techniques, les chiffres sont décevants. En France, deux tentatives sur trois de fécondation in vitro (FIV) se soldent par un échec. Le 24 février, on fêtera les 40 ans d’Amandine, première personne dans notre pays à être née par FIV en 1982, et notre pays n’a que très peu amélioré les résultats depuis. Les séquelles psychologiques de ces échecs sur les individus et sur les couples sont considérables, ils peuvent représenter le drame d’une vie. Nous devons envisager de renforcer le nombre de psychologues présents dans ces parcours de soins. De plus, il est nécessaire que nous réussissions à faire baisser le taux de grossesses gémellaires et multiples. Aujourd’hui encore, les AMP conduisent à 9 % de grossesses gémellaires, contre 1 % dans la population générale. Ce n’est pas sans conséquence : il y a des sur risques de malformations des fœtus, de pré-éclampsie [malformation des vaisseaux sanguins et élévation dangereuse de la pression artérielle chez la mère], de naissance prématurée… Cela peut être catastrophique sur le plan médical, et aussi après les naissances, sur le plan financier, professionnel, familial.

Comment expliquez-vous cette quasi-absence d’amélioration de résultats de ces techniques ?

Premièrement, parce que le statut de l’embryon préimplantatoire est souvent perçu dans notre pays comme un facteur limitant. Dès qu’on veut effectuer des recherches sur celui-ci, on peut être traité d’eugéniste. Aux Etats-Unis, il existe depuis 1993 le diagnostic dit «préimplantatoire», qui permet de vérifier que l’embryon a bien 46 chromosomes, dans le but d’éviter au maximum une complication de grossesse et mettre toutes les chances pour parvenir jusqu’au terme. En France, cette approche vient tout juste d’être autorisée et, encore, seulement dans le cadre d’un protocole hospitalier de recherche clinique, circoncis à huit centres. Deuxièmement, parce que la recherche et l’innovation dans le domaine de la santé reproductive sont quasi au point mort. On passe notre temps à regarder ce qui se passe ailleurs, sans développer nos propres travaux. Il faut investir massivement, bien plus que les 500 millions euros mis sur la table chaque année par l’Etat pour aider les personnes atteintes d’infertilité. Nous avons 103 centres qui pratiquent les AMP, moitié de privé, moitié de public. Nous devons les accompagner pour qu’ils puissent enfin devenir des centres d’expertise et d’excellence.

Tout cela sous l’égide d’un futur Institut national de la fertilité, selon vos recommandations.

Oui, car aucune entité n’incarne cette thématique fondamentale. Résultat : les associations agissent de manière dispersée, et les pouvoirs publics (ministères de la Santé, de l’Environnement, de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) sous-représentent, voire ignorent ce sujet au sein des programmes scolaires, des plans nationaux de santé publique, et des programmes de recherche. Il nous faut une institution, holistique, garante de la coordination des acteurs de la prévention et de la prise en charge, qui nous permettra de nous projeter dans les dix, vingt années prochaines. Et de centraliser nos actions de sensibilisation sur ce sujet de santé publique. Dans notre rapport, nous proposons également la mise en place d’une journée nationale de sensibilisation à l’infertilité, la création d’un numéro vert et d’un site internet dédié, et une première consultation médicale prolongée à destination des adolescents et adolescentes, toujours dans l’idée de délivrer les informations nécessaires à la compréhension de cette maladie. Nous proposons enfin de renforcer la formation des médecins et des autres professionnels de santé, trop peu familiarisés à cette problématique, afin qu’ils contribuent à cette prévention, qui reste le premier élément du succès de la guérison.


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