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mardi 22 février 2022

Drogues Narcotiques Anonymes: dans le métavers, des réunions virtuelles pour une dépendance bien réelle

par Charles Delouche-Bertolasi   publié le 21 février 2022

Pendant deux ans, pandémie oblige, les groupes de parole se sont réunis via vidéoconférence. Jeudi, des membres des Narcotiques Anonymes ont réalisé leur première réunion équipés de casques de réalité virtuelle.

par Charles Delouche-Bertolasi

Il y a eu quelques retards, puis des bugs, des micros qu’on oublie d’allumer ou d’éteindre, mais finalement tous ont réussi à être présents. Là, disposés autour d’une large table nichée sur une mezzanine, face à une baie vitrée qui surplombe un salon façon loft à Manhattan. On peut interagir avec eux, les voir, les entendre, mais ces membres des Narcotiques Anonymes sont chacun chez eux, certains dans leur salon, d’autres sur leur lit. Ils sont neuf à participer à cette première réunion en réalité augmentée et Libé, comme d’autres médias, a été invité à y assister.

Ils s’appellent, ou se font appeler, Elise, Lola, Caroline, Rabah, Lana, Caroline, Alex, Raf ou encore Fred. Tous anonymes et anciens consommateurs de drogue. Après deux ans passés sur Zoom en visioconférence, ils ont eu envie de découvrir une autre manière de se retrouver. Selon les organisateurs, cette expérience entend compléter le travail de parole réalisé au sein de l’association.

Pour pouvoir être présent dans cet espace virtuel jeudi soir, un seul outil nécessaire : l’Oculus, un casque de réalité virtuelle. Après avoir reçu l’invitation à la réunion, nous sommes téléportés dans un vaste appartement de synthèse. Casque vissé sur la tête, manettes en main, on se déplace pour se caler dans un coin de la pièce, sans déranger. Bienvenue à une réunion des Narcotiques Anonymes dans le métavers.

Un côté «loufoque»

Après avoir réalisé, comme à chaque fois qu’ils se retrouvent, une lecture de Qui est dépendant et dépendante – un texte de référence de l’association –, les anonymes sont appelés à prendre la parole environ trois minutes chacun. Un énorme chronomètre se lance sur la télévision en face d’eux quand quelqu’un commence à parler. Les membres, représentés par leur avatar personnalisé à leur image, entament le tour de parole.

Il y a Fred d’abord. «Dépendant pendant vingt ans», impressionné par l’expérience. Son avatar s’anime au fil de ses paroles. Il raconte son parcours, son arrivée à l’association, sa dépendance à l’héroïne et comment il est retourné plusieurs fois vers le groupe de parole, à force d’être «au bout du rouleau». «Je me suis laissé porter par l’entraide, par le côté bienveillant du groupe. J’ai arrêté de voir la montagne de problèmes pour me concentrer sur le principal sujet qui était ma consommation de drogues», relate Fred.

Puis Lola allume son micro et enchaîne, Son récit est ponctué par une envie de rire qui la démange, jusqu’à un fou rire général qui détend la drôle d’atmosphère du soir. «Désolée, c’est le côté loufoque de l’expérience. C’est un peu spécial», lâche Elise, avant témoigner d’une vie d’addiction. Et de conclure : «J’ai beaucoup consommé par rage. Finalement, le truc le plus punk que j’ai fait dans cette société de consommation, c’est réussir à arrêter de consommer de la drogue.»

«Plus concentré que d’ordinaire»

Cette heure de réunion dans un monde virtuel fait toucher aux membres des Narcotiques Anonymes le potentiel de ce que pourrait être le métavers. Fondés en 1953 aux Etats-Unis et trente ans plus tard en France, les Narcotiques Anonymes s’organisent en groupes de parole. Dans l’Hexagone, ils sont 250 à se réunir toutes les semaines. Des rendez-vous basés sur l’entraide et l’écoute pour venir en aide aux personnes qui ont un problème d’addiction, et recherchent du soutien. L’expérience du jour est chapeautée par la société française VR Academie qui a choisi de baptiser l’espace le «NA Verse».

Après les témoignages des anonymes vient le tour des interrogations. Comment apprivoiser la bête virtuelle ? «Il ne faut pas qu’on tombe dans la facilité. C’est une chance, mais ce n’est pas comme une vraie réunion», avance Fred. Pour Raf, «cette immersion totale» lui a permis d’être presque «plus concentré que d’ordinaire» :«Avec ce casque sur les yeux, je n’ai même pas regardé mon téléphone de toute la réunion.»

Pour lui, imaginer ces rendez-vous en réalité augmentée peut permettre avant tout de «garantir l’anonymat qui est la base de notre association» et «permettre à des gens éloignés géographiquement, qui ne peuvent pas se rendre de manière hebdomadaire aux réunions, de pouvoir participer aux groupes de paroles». Un autre souligne l’avantage de la réalité virtuelle «pour communiquer avec d’autres publics et aussi la presse. Au lieu d’être flouté à la télévision quand on s’exprime, peut être qu’avec cet avatar qui nous représente, les choses seront plus simples».

Parmi les membres présents, aucun n’était un primo-narcotique anonyme. Plutôt rodés à l’exercice, ils s’accordent pour dire que ce complément technologique est un plus mais ne peut remplacer pas la force du contact physique, primordial pour réussir à nouer les liens nécessaires selon eux pour sortir de la dépendance. D’ailleurs, relève Lola, avant de commencer les prises de paroles du soir, tous se sont réunis «en cercle» dans la pièce, «pour se faire un câlin». «Comme en vrai.»


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