Par Nathaniel Herzberg Publié le 21 février 2022
Protéger non seulement contre les formes graves, mais aussi élever des barrières plus efficaces contre l’infection, les variants et l’affaiblissement progressif de l’immunité vaccinale : industriels et laboratoires publics explorent le maximum d’options.
Etienne Decroly aime les métaphores. En quelques minutes de conversation, le directeur de recherche au CNRS, qui traque depuis deux ans, dans son laboratoire de Marseille, l’évolution du SARS-CoV-2, en a déjà essayé trois. « Un tableau contrasté », « une pièce à deux faces », « nous sommes au milieu du gué ». Il s’explique. « Il faut être clair. Qui aurait dit, il y a deux ans, que nous disposerions de vaccins efficaces contre les formes graves dans un délai aussi court ? Qui aurait pensé que cette protection vaccinale perdure malgré les mutations observées ? Pas grand monde. Toutefois, avec les derniers variants, la protection contre l’infection est trop limitée et nous ne savons pas combien de temps nous resterons à l’abri des formes graves. Nous ne savons pas non plus dans quelle mesure les futures mutations du virus vont affecter cette protection. »
Dans le monde scientifique, tout le monde partage, peu ou prou, le diagnostic du virologue. Fin novembre, une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) estimait que la vaccination avait, à elle seule, sauvé la vie à 470 000 personnes de plus de 60 ans, dont 39 000 en France. « Une merveille de la science moderne », chantait Henri Kluge, directeur de la branche Europe de l’OMS.
Pourtant, le 11 janvier, le Groupe consultatif technique de l’OMS sur la composition des vaccins entonnait le contrepoint. « Il est peu probable qu’une stratégie de vaccination fondée sur une multiplication des doses de rappel du vaccin sous sa forme d’origine soit adaptée ou durable. (…) Il faut des vaccins contre le Covid-19 qui, en plus de prévenir les formes graves de la maladie et les décès, ont un impact marqué sur la prévention des infections et sur la transmission. Il serait bon de les mettre au point. »
A dire vrai, le monde de la recherche n’a pas attendu la consigne de l’OMS pour s’atteler à la tâche. Des dizaines d’équipes planchent depuis des mois pour tenter d’élaborer ces nouveaux vaccins. Mais quels nouveaux vaccins ? Dans quel but ? Selon quels principes ? Et à quelle échéance ?
Adapter l’antigène aux nouveaux variants
Président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, Alain Fischer le dit sans hésiter : « Mon premier souci, c’est de préparer les probables rappels qui auront lieu à l’automne. » En janvier, son instance a certes déconseillé l’administration d’une quatrième dose, constatant que la troisième continuait à bien protéger contre les formes sévères, « mais dans deux, trois ou six mois, on ne sait pas et il est probable que la protection diminue, poursuit-il. Il faudra sans doute un nouveau rappel. Mais avec quoi ? Ça va se jouer entre le vaccin actuel, un vaccin adapté au variant Omicron, ou peut-être à un autre variant, voire à un vaccin bivalent. Le choix est très compliqué, il y a beaucoup d’incertitudes ».
Les laboratoires pharmaceutiques sont lancés dans la course. Pfizer et son partenaire BioNTech ont annoncé, en janvier, travailler sur un vaccin visant spécifiquement le variant Omicron. La technologie de l’ARN messager (ARNm) permet d’adapter facilement l’antigène, c’est-à-dire le signal qui va activer le système immunitaire. Il suffit de modifier la séquence génétique injectée afin que nos cellules fabriquent de nouvelles protéines capables de reprogrammer notre système immunitaire et générer des anticorps contre Omicron. A en croire Ugur Sahin, le patron de BioNTech, ce nouveau vaccin, qui serait utilisé en rappel, devrait être présenté aux agences d’évaluation fin mars, pour une habilitation courant mai.
Moderna, Johnson & Johnson et AstraZeneca suivent le même cap. « Mais est-ce le meilleur choix ? », interroge Marie-Paule Kieny, directrice de recherche à l’Inserm et présidente du Comité vaccin Covid-19. « Cette vaccination interviendra après la vague Omicron, rappelle-t-elle. C’est donc le prochain variant qu’il faut anticiper. Pas sûr qu’il soit un descendant d’Omicron, comme Omicron n’est pas un descendant de Delta. De plus, beaucoup de personnes auront été infectées par Omicron et auront donc une protection spécifique contre lui, il peut être plus judicieux d’opter pour une autre cible afin d’élargir le spectre. »
Les industriels, qui l’ont bien compris, ne se contentent pas de viser le variant dominant du moment. Faute de pouvoir prédirel’avenir, ils mettent au point différents vaccins dits monovalents, centrés chacun sur une des formes dominantes connues du SARS-CoV-2 (souche d’origine, Alpha, Beta, Delta, Omicron…) et plus précisément sur leur protéine spike, qui permet au virus de pénétrer dans les cellules humaines. Si rien ne perce de leurs travaux actuels, nul doute qu’ils testent chacun d’eux sur l’ensemble des variants pour tenter de trouver le plus polyvalent.
Dans un article publié le 31 janvier en preprint, une équipe de Taïwan a fourni un premier élément. Elle a conçu deux vaccins à ARN messager « adaptés chacun à un des deux principaux variants actuels », à savoir Delta et Omicron. Et a comparé leurs performances respectives. Chacun d’entre eux s’est montré très efficace pour produire des anticorps adaptés à leur cible première. Mais le vaccin Omicron s’est montré incapable de protéger contre le variant Delta. A l’inverse, les anticorps générés par la version Delta ont neutralisé non seulement Omicron, mais les autres variants connus. Le résultat ne vaut que pour le prototype taïwanais et n’a pas encore été reproduit. Toutefois, il n’a échappé à personne dans le monde de la vaccination. Pas plus qu’un autre constat : un vaccin « bivalent » conçu par l’équipe taïwanaise, visant simultanément Omicron et Delta, offrirait lui aussi de très bonnes performances.
Créer des vaccins multivalents
C’est une seconde voie suivie tant par les industriels que par des équipes de recherche universitaire à travers le monde. L’idée consiste à viser non pas une mais plusieurs cibles. Les producteurs de vaccins antigrippaux y sont habitués, mais appliquer la méthode aux coronavirus n’a rien d’une évidence. « Pour l’ARN messager, le risque est de se heurter à un problème de tolérabilité,redoute Marie-Paule Kieny. Ces vaccins sont déjà très réactogènes, on ne peut pas doubler la dose. Si à l’inverse on conserve la même dose et qu’on la partage sur deux ou trois antigènes différents, conservera-t-on la même efficacité ? »
A côté des essais orientés sur la protéine spike d’Omicron, Moderna a annoncé s’être lancé sur ce terrain de la polyvalence. Mais plutôt que de présenter les deux antigènes indépendamment, la biotech américaine va les fusionner. Elle teste ainsi actuellement un nouvel antigène qui n’intègre que les mutations communes aux protéines spike des deux variants Omicron et Beta. Une troisième option est aussi à l’étude, qui ne retient cette fois que les évolutions observées tout à la fois sur Omicron, Beta et Delta. Si l’union fait habituellement la force, qu’en sera-t-il de l’intersection ? Autrement dit, les anticorps nés de ces spike métisses conserveront-ils tout leur pouvoir neutralisant ?
Les essais précliniques seraient encourageants. Du reste, plusieurs équipes universitaires américaines ont livré l’an dernier des résultats s’appuyant sur de telles constructions. Dans la revue Science, l’une d’elles, coordonnée par l’université de Caroline du Nord, a montré en août 2021 qu’un vaccin à ARNm produisant une protéine spike « chimérique » permettait de neutraliser, chez des souris, le virus d’origine mais aussi les variants Alpha et Beta… et même d’autres coronavirus.
A ce jeu du toujours plus, l’Institut Walter Reed, le principal centre de recherche médicale de l’armée américaine, a conçu un système battant tous les records. Les spike y sont installées sur une protéine en forme de ballon de football à vingt-quatre faces. De quoi arroser largement le terrain. Les essais précliniques, réalisés pendant la première moitié de 2021, ont montré une bonne protection des singes contre tous les variants existants jusqu’alors mais aussi contre le SARS-CoV-1 de 2003. Les résultats des essais cliniques de phase 1, bouclés en décembre, devraient être publiés prochainement, avec des résultats positifs, selon le site Defenseone.com.
Cibler le cœur du virus
Dès l’annonce des premiers vaccins, la question a été posée : fallait-il cibler exclusivement la spike ? Cette protéine de surface du virus, aussi appelée protéine S, assure le contact entre le pathogène et les cellules humaines. Par conséquent elle est tout à la fois indispensable au virus et directement accessible aux anticorps du système immunitaire. C’est donc vers cette protéine de l’enveloppe virale que se sont précipités les développeurs de vaccins. Avec succès. Mais cette visibilité expose la protéine S à une forte pression de sélection. Si bien qu’elle concentre l’essentiel des mutations observées sur les variants.
A l’inverse, protégée par l’enveloppe, la nucléocapside (composée de l’ARN viral et de la protéine N) apparaît beaucoup plus stable. De nombreuses équipes à travers le monde explorent donc désormais cette voie. En France, la biotech lyonnaise Osivax s’est inspirée de ses recherches sur la grippe pour mettre au point un vaccin à base de protéines recombinantes qui ciblent ce que son fondateur, Alexandre Le Vert, nomme « le cœur du virus ». L’équipe a optimisé la structure de l’antigène présenté au système immunitaire afin d’en augmenter la réponse. « Les essais précliniques ont été très encourageants, souligne-t-il. La réponse T à spectre large que nous produisons permet bien de viser les différents variants actuels et très probablement futurs. »
« Réponse T », autrement dit les lymphocytes T, ces cellules tueuses qui constituent notre deuxième ligne de défense contre les pathogènes. Contrairement aux anticorps, elles ne reconnaissent pas directement le virus mais les cellules infectées, où se réplique le pathogène. Avec la nucléocapside dans le viseur, cette immunité cellulaire devient notre seule arme. Car si des anticorps sont produits par le vaccin, il leur est impossible d’accéder à leur cible, dissimulée par l’enveloppe du virus. A l’inverse, dans les cellules infectées, différents fragments de la nucléocapside sont exposés à la surface et deviennent accessibles.Ces vaccins, a priori très efficaces pour éviter les formes graves, ne peuvent néanmoins pas protéger contre l’infection.
C’est pourquoi l’Institut de recherche vaccinale (VRI), à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, a mis au point un vaccin protéinique bivalent ciblant tout à la fois les protéines S et N. S’inspirant d’un projet développé contre le VIH, « il s’adresse directement aux cellules dendritiques, celles qui initient le système immunitaire »,souligne Yves Lévy, son coordinateur. Sur les singes, le cocktail, utilisé en rappel, a généré « une réponse durable tout à la fois anticorps et cellulaire », poursuit-il, avec, dans ces deux lignes, des « cellules mémoires » susceptibles d’éviter l’affaiblissement de la défense. Un résultat que l’équipe va tenter de confirmer dans un essai clinique, réalisé avec deux partenaires industriels, le suisse Lonza et le français GTP. Mais cela sera-t-il suffisant pour empêcher véritablement l’infection ?
Vers un vaccin nasal
Le principe tient en une phrase, avancé par Stéphane Paul, professeur d’immunologie au CHU de Saint-Etienne et membre du Comité vaccin Covid-19 : « Neutraliser le virus là où il nous attaque. » Or chacun connaît aujourd’hui la porte d’entrée du SARS-CoV-2, son premier site de prolifération : le système respiratoire supérieur, la gorge et surtout le nez. « Pour empêcher l’infection, a priori, c’est là qu’il faut agir, poursuit l’immunologue.Produire des anticorps au niveau des muqueuses. Or les vaccins actuels en génèrent peu à cet endroit. » Pas assez, et surtout pas les bons. Après les injections, on retrouve certes pendant quelque temps des anticorps IgG. Mais leurs cousins, les IgA, tout à la fois les plus sensibles et les plus prompts à agir, sont presque indétectables. Or l’équipe de Jennifer Gommerman, de l’université de Toronto, a établi un lien direct, chez les personnes vaccinées, entre la présence d’IgA et la protection contre une nouvelle infection.
Le vaccin nasal est ainsi devenu le nouveau Graal. Une vingtaine d’essais cliniques ont d’ores et déjà été lancés ou autorisés à travers le monde. ARN messager, vecteur viral, protéines, virus atténué ou inactivé : l’ensemble des stratégies sont dans la course. Avec, aux avant-postes, des laboratoires indiens, iraniens et chinois, qui sont déjà en phase 3. En France, les quelques groupes qui arpentent cette voie ont achevé des essais pré-cliniques qu’ils estiment très prometteurs. Pierre Charneau, président de la biotech TheraVectys, née à l’Institut Pasteur, voit dans l’administration intranasale de son vaccin à vecteur lentiviral « un booster idéal pour déclencher une réponse à la fois locale et systémique, anticorps et cellulaire, et durable ». Mais pas d’essai clinique en vue, « faute de financement », regrette-t-il. A l’université de Tours, Mathieu Epardaud, immunologiste dans l’équipe BioMap, reste plus prudent. Certes, le vaccin multiprotéinique nasal développé sur place depuis près d’un an a montré « 100 % d’efficacité sur le modèle hamster. Il bloque la contagion sur tous les variants jusqu’à Delta, avec des anticorps neutralisants dans les muqueuses comme dans le sang. Mais il reste à faire des essais de rappels, des mesures des IgG et des IgA, à opposer le vaccin à Omicron et à vérifier la durabilité de tout ça. » Et enfin, à vérifier que tout cela fonctionne bien chez l’humain.
Car pour l’heure, un seul vaccin nasal, le Flumist d’AstraZeneca, est commercialisé dans le monde, contre la grippe saisonnière. Et encore, aux Etats-Unis seulement et juste sur les enfants. Car avec le temps, la muqueuse nasale devient capricieuse. « Soumise constamment à des agressions virales ou bactériennes, elle ne peut accumuler de mémoire immunitaire contre tout ce qu’elle rencontre », rappelle Alain Fischer. A l’inverse, « sensible et proche du cerveau, elle risque de ne pas supporter une dose trop importante d’antigène », ajoute Stéphane Paul. Le vaccin idéal n’est pas encore pour demain.
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