par Anaïs Moran publié le 22 février 2022
Elles incarnent, à l’image des 80 ans et plus, le point de faiblesse de la politique de vaccination contre le Covid-19 en France. Les personnes souffrant de troubles psychiatriques représentent, aujourd’hui, l’une des catégories de population aux couvertures vaccinales les moins abouties, alors même que leur vulnérabilité les met particulièrement en danger face à la maladie. L’alerte a été émise ce mois-ci après la publication de données par l’Assurance maladie. «Nous avons un message à faire passer à ces populations-là, à leurs proches et aux professionnels de santé qui les suivent, pour qu’il y ait une réelle mobilisation», a réagi le ministère de la Santé, lors d’un point presse le 1er février.
«Il est plus que jamais indispensable d’accroître le taux de couverture vaccinale des populations à risque de formes sévères de Covid-19, et donc des personnes souffrant de maladies psychiatriques», a alerté de son côté la fondation FondaMental, dans un communiqué le 7 février. «Les pouvoirs publics doivent vite agir. Il faut communiquer fort autour de cet enjeu pour remobiliser les équipes médicales, mais aussi sensibiliser les personnes elles-mêmes, ainsi que leurs proches»,complète auprès de Libération sa directrice, cheffe du service de psychiatrie à l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil.
«Faire de l’accompagnement sur-mesure»
Ainsi, selon ces chiffres publiés par l’Assurance maladie, les femmes et hommes souffrant de troubles psychiatriques enregistrent des taux de vaccination bien plus faibles que la moyenne nationale, qu’il s’agisse des primo-injections comme des doses de rappel. Ainsi, selon l’Assurance maladie, presque 95% des Français âgés de plus de 18 ans ont reçu au moins une dose de vaccin, tandis que les adultes «atteints de démence» étaient 88% au début du mois, les malades présentant des «troubles psychiatriques ayant débuté dans l’enfance» 85%, les individus touchés par «des troubles liés à l’usage de l’alcool» 86%, et les personnes dépendantes aux opioïdes, 72%. Concernant la campagne de rappel, l’écart est encore plus important. Au 17 février, 73% des adultes avaient reçu leur nouvelle injection dans la population générale. Un taux bien au-dessus de celui constaté, par exemple, chez les majeurs atteints de troubles psychiatriques ayant débuté dans l’enfance (57%), des troubles liés à l’alcool (61%) ou encore de dépendances aux opioïdes (37%).
«C’est une population très, très hétérogène. Il faut absolument individualiser la prise en charge de la vaccination, faire de l’accompagnement sur-mesure, sans cela on atteindra difficilement les mêmes données que la moyenne nationale, avertit Radoine Haoui, médecin psychiatre et coordonnateur du groupe opérationnel du Conseil national professionnel de psychiatrie. Certains des patients que nous suivons sont tout à fait en capacité d’intégrer les recommandations nationales mais peuvent avoir des difficultés pour planifier leur tâche, d’autres ont des troubles cognitifs trop importants pour comprendre l’enjeu. Il y a aussi les personnes qui souffrent de délires chroniques, assez sensibles à l’air du temps, perméables aux fake news, avec qui il faut discuter et être patient, poursuit ce professionnel exerçant au centre hospitalier Gérard-Marchant, à Toulouse. Notre talon d’Achille, ce sont les personnes qu’on voit seulement en ambulatoire et les personnes hors de tout parcours de soins. Les personnes précaires, isolées, les migrants. Il faut savoir que la moitié des personnes souffrant de psychoses n’ont jamais désigné de médecins traitants. Pour sensibiliser à la vaccination, c’est pourtant un échelon primordial.»
«Un très lourd tribut»
Si le sujet semble être pris au sérieux par le ministère de la Santé, qui affirme réfléchir à un «plan d’action», c’est parce que cette population est exposée à un «surrisque d’hospitalisation et de décès liés à une infection au Covid-19», explique le professeur d’épidémiologie Mahmoud Zureik, directeur d’Epi-phare, ce groupement de scientifiques de l’Assurance maladie et de l’Agence nationale de sécurité du médicament. En étudiant les données de la première et deuxième vague, périodes durant lesquelles le vaccin n’était pas disponible, l’équipe de Mahmoud Zureik s’est aperçue que le risque de décès était «près de sept fois plus élevé chez les personnes atteintes de retard mental».
Aussi, les «personnes atteintes de troubles psychotiques et de démence étaient deux fois plus susceptibles» de mourir à l’hôpital. «Cette population a payé un très lourd tribut avant l’arrivée de la vaccination, rembobine le chercheur. Aujourd’hui, il demeure un risque résiduel, mais non négligeable, puisque leur couverture vaccinale n’est pas achevée. Bien sûr, cela est sans commune mesure avec les surrisques toujours encourus par les personnes immunodéprimées. Mais il faut se saisir de cet enjeu, car à la différence des personnes immunodéprimées chez lesquelles l’efficacité des vaccins est moindre, la vaccination fonctionne sur ces individus, il faut seulement qu’elle arrive jusqu’à eux.»
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