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jeudi 24 février 2022

Pour un contrôle légal de « la prescription des psychotropes »

Publié le 12 février 2022  

TRIBUNE

Collectif

Un collectif rassemblant notamment des professionnels de santé et des dirigeants associatifs s’inquiète, dans une tribune au « Monde », du large usage des médicaments des troubles psychiques, qui sont le domaine de prédilection de la manipulation marchande et le casse-tête récurrent des cliniciens qui en constatent l’inefficience et les dégâts.

La plupart des dysfonctionnements du marché des médicaments ont été bien identifiés au fil des scandales pharmaceutiques. Ils relèvent en grande partie d’un manque d’accès aux données des essais cliniques menés par les laboratoires.

Lorsque les dégâts subis par les patients sont de nature organique – malformations fœtales (thalidomide, Dépakine), valvulopathies (Mediator), accidents vasculaires (Vioxx, glitazones), cancer de la vessie (glitazones) –, la reconnaissance de l’imputabilité peut nécessiter plusieurs décennies. Lorsque la dégradation organique est lente, comme celle du rein par les anti-inflammatoires, il faut encore plus de temps pour obtenir la simple mention du risque.

Nosographie instable et méconnue

Lorsqu’il s’agit d’addictions, comme avec les opiacés et benzodiazépines, les produits sont maintenus sur le marché malgré l’identification du problème, car leur sevrage pose des problèmes cliniquement insolubles. Les dégâts provoqués par ces deux classes médicamenteuses constituent aujourd’hui un grave problème de santé publique.

Un degré de complexité supplémentaire survient lorsqu’il y a similitude entre les effets indésirables et les symptômes ayant motivé la prescription. Pour affirmer qu’un médicament prescrit pour des troubles de l’humeur provoque des troubles du comportement, ou qu’un médicament prescrit pour insomnie ou dépression aggrave ces dernières à long terme, le médecin ne peut se fier qu’à son propre jugement.

C’est pourquoi les médicaments des troubles psychiques sont le domaine de prédilection de la manipulation marchande et le casse-tête récurrent des cliniciens qui en constatent l’inefficience et les dégâts.

En plus de cumuler tous ces défauts, les antidépresseurs de type ISRS (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine) et les benzodiazépines sont prescrits au-delà de toute raison, pour des dépressions et troubles anxieux dont la nosographie [classification des maladies] est instable et méconnue par la plupart des prescripteurs. La dépression majeure (anciennement nommée mélancolie) représente moins de 10 % des diagnostics, alors que plus de 90 % des prescriptions concernent des formes réactionnelles dont la guérison est spontanée ou répond bien aux thérapies comportementales.

Aggravation et dépendance

La prescription de ces psychotropes pour des vicissitudes de la vie est un facteur d’aggravation conduisant à une dépendance souvent irréversible. Même lorsque le sevrage est possible, les patients se retrouvent dans un état clinique souvent plus grave que celui qui avait motivé la prescription initiale, ce qui est interprété comme une preuve de l’utilité du traitement. Comme si se sentir moins bien après l’arrêt du tabac était la preuve de ses bienfaits pour la santé !

Dans un autre registre, la prescription d’ISRS dans la maladie bipolaire est un facteur d’aggravation. Les ISRS ont commencé leur carrière par une dissimulation d’une ampleur historique. Une sélection d’essais montrant des modifications bénéfiques de l’humeur à court terme et cachant l’inefficacité à moyen et long terme. Les polémiques sur le risque de suicide ont été marquées par le scandale de l’étude 329, qui avait dissimulé un triplement de ce risque chez les adolescents.

L’imputabilité dans le suicide est toujours contestée en arguant qu’il est un événement probable des dépressions. Sur ce point délicat, contentons-nous pragmatiquement de constater que le taux de suicide de chaque pays évolue sans la moindre corrélation avec le volume de prescription des ISRS.

La bibliographie qui dénonce l’inefficacité et la dangerosité des ISRS est volumineuse, les transactions mettant fin à des actions en justice ont déjà coûté des milliards de dollars aux firmes.

Homicides et actes de barbarie

Mais il y a beaucoup plus grave que cet entre-soi de patients et cliniciens victimes de ce manque de transparence. Horriblement plus grave. Les ISRS ont été maintes fois suspectés de provoquer des homicides et actes de barbarie. Prescripteurs et autorités sanitaires n’étaient pas informés de ce risque, pourtant apparu lors des études mais également dissimulé.

Pardonnez-nous d’évoquer ici les enfants tués à coups de hache par leur père, les corps découpés en morceaux, les avions écrasés volontairement et autres tueries de masse que conflits familiaux, troubles psychiques ou idéologies ne suffisent pas à déclencher sans le catalyseur d’un psychotrope.

Cela déborde largement le cadre de la pathologie iatrogène [occasionnée par un traitement médical] issue de la méconnaissance de l’impact neurophysiologique de ces médicaments, puisque cela concerne des tiers. On a fini par doser l’alcool lors des infractions et accidents de la route pour arrêter le massacre des innocents. Il ne serait ni difficile ni coûteux de doser systématiquement les ISRS et autres psychotropes chez les auteurs d’homicides et de barbaries.

Certains estiment que 90 % des crimes de masse leur sont imputables. Il s’agit d’une allégation audacieuse qui demande à être confirmée, modulée ou infirmée. Il serait facile d’avoir une réponse par une étude rétrospective de pharmaco-épidémiologie consistant à croiser les données juridiques avec celles des prescriptions provenant de l’assurance-maladie (CPAM) et des programmes informatiques (PMSI). On peut aussi réaliser des études prospectives en exigeant un dosage immédiat des psychotropes dans le sang ou, plus tardivement, dans les cheveux des auteurs d’homicides.

Etonnant silence

Devant chaque acte de barbarie, la presse et les enquêteurs évoquent la radicalisation, les drames de l’enfance, le passé judiciaire, parfois le passé psychiatrique, jamais la prise de psychotropes.

Comment peut-on expliquer ce grand écart entre des données accablantes sur toute une classe pharmaceutique et l’étonnant silence des autorités, de la majorité des médecins et des médias ? Parmi ces raisons, l’une pourrait être la difficulté d’admettre que des médicaments remboursés par la Sécurité sociale puissent contribuer aux homicides et barbaries contre lesquels on lutte par ailleurs ostensiblement.

Nombre de cliniciens ont établi ces liens, et cela a fait l’objet de plusieurs ouvrages de lanceurs d’alerte. Mais cela ne suffit pas à obtenir le déremboursement des ISRS ou leur retrait du marché. C’est pourquoi notre association interdisciplinaire, l’Association pour le contrôle des psychotropes et l’aide aux victimes, a pour but d’obtenir des preuves cliniques et épidémiologiques solides avec l’aide du législateur.

Nous demandons donc que des analyses toxicologiques soient systématiquement pratiquées sur les personnes qui se rendent coupables de violences, d’homicides et de barbaries. Et que les données ainsi obtenues, après anonymisation, soient compilées dans une base de données accessible à tous.

Les violences et meurtres sous ISRS constituent un effet indésirable médicamenteux hors norme puisque les victimes se comptent aussi hors des patients. Plus qu’un énième scandale de la pharmacologie, c’est un grave sujet sociétal.

Liste des signataires : Pierre Biron, professeur de pharmacovigilance ; Mikkel Borch-Jacobsen, philosophe et historien ; Jean-Sébastien Borde, praticien hospitalier ; Rémy Boussageon,professeur de médecine générale ; Alain Braillon, médecin expert indépendant de l’industrie ; Ariane Denoyel, journaliste, autrice de « Génération zombie » (Fayard, 2021) ; Marc Deveaux, docteur en pharmacologie, toxicologue ; Sabine Duflo, psychologue et thérapeute familiale ; Peter Gotzsche, médecin, cofondateur de l’ONG Cochrane ; François Gueyffier, enseignant chercheur en pharmacologie ; Bruno Harlé, pédopsychiatre ; Xavier Langlois,avocat ; Patrick Lemoine, psychiatre, docteur en neurosciences, écrivain ; Marine Martin-Matheron, présidente de l’association Aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant ; Gérard Ostermann, professeur de thérapeutique et interniste ; Luc Perino, médecin, écrivain, essayiste, président de l’Association pour le contrôle des psychotropes et l’aide aux victimes ; Martin Winckler,médecin, écrivain.



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