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lundi 26 avril 2021

Les nouvelles femmes au foyer loin des clichés

Par   Publié le 23 avril 2021

Le confinement a mis en lumière le quotidien de ces femmes de l’ombre qui ont pour activité de s’occuper de leurs enfants. Si elles sont beaucoup moins nombreuses qu’il y a quelques décennies, leur profil a évolué et certaines revendiquent leur féminisme.

Pendant de longues années, les femmes au foyer ont veillé à ce que leurs maris soient confortablement installés au coin du feu, ont concocté pour eux des mets frais et variés adaptés à la saison et ont remercié le ciel de leur avoir donné de merveilleux enfants… Aussi souriantes que dévouées, elles ont accepté leur sort sans se plaindre. « Elle est parfaite, estimait, en 1988, le chanteur Carlos à propos de la huitième épouse de son ami Eddie Barclay, dans l’émission “Villa de star”. Elle ne l’ouvre pas comme toutes les autres… »

Hélène Bonhomme, créatrice du blog Fabuleuses au foyer, avec trois de ses quatre enfants, Adelin, Romain et Victoire, à Bordeaux, le 20 avril.

Aujourd’hui, les femmes au foyer « l’ouvrent », en particulier sur Instagram où elles documentent leurs vies, entre panières à linge et petits pots pour bébé. Par exemple, Liedamour : « Je ne cherche pas à évoluer. Juste à satisfaire. Je travaille dans l’ombre. (…)J’aimerais que ce choix soit respecté, mais surtout valorisé. » Ou bien Laurine Cbt : « Les femmes qui restent à la maison pour voir grandir leurs enfants sont des guerrières !!! » Avec le premier confinement, au printemps 2020, ces femmes de l’ombre ont soudain été mises en pleine lumière. « Et, d’un seul coup, plus personne ne demanda aux mères au foyer ce qu’elles faisaient de leur journée », postait sur son compte l’actrice américaine de 53 ans et mère de deux enfants Halle Berry.

Plaisir coupable

Selon la dernière étude de l’Insee sur le sujet, la France comptait, en 2013, 2,1 millions de femmes inactives (non étudiantes et pas au chômage) vivant en couple, entre 20 et 59 ans, soit 14 % du genre… 10 millions de moins qu’en 1957. « En réalité, depuis que le travail salarié est devenu l’horizon mental de notre société, la femme au foyer est devenue une catégorie beaucoup plus compliquée à définir, plus large aussi, explique le sociologue François de Singly, auteur de L’Injustice ménagère (Armand Colin, 2007). Elle peut être chômeuse, active à temps partiel ou encore en congé parental. » Ce dernier choix est fréquent. Malgré une réforme en 2015, les pères restent aux abonnés absents dans ce domaine : ils sont moins de 1 % à prendre un congé parental à temps plein après la naissance de leur enfant, contre près de 14 % des mères, selon une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques, publiée le 7 avril.

Partagées entre le bonheur de pouponner du matin au soir et la crainte de voir leurs carrières sombrer, tiraillées entre l’espoir de prendre du temps pour elles et l’effroi de passer pour des Pénélope oisives, les femmes au foyer d’aujourd’hui éprouvent un plaisir coupable. « Comment voulez-vous qu’elles le vivent bien alors que nous avons érigé en exemple l’infatigable femme d’affaires Clara Gaymard, également haut fonctionnaire, ou Mercedes Erra, présidente exécutive d’Havas Worldwide, respectivement mères de neuf et cinq enfants ? », interroge Corinne Hirsch, experte sur l’égalité professionnelle, vice-présidente du Laboratoire de l’égalité.

« Finalement, les femmes au foyer qui s’assument le mieux appartiennent souvent aux milieux traditionalistes, analyse Anne Rothenbühler, docteure en histoire contemporaine, autrice de Le Baluchon et le Jupon (Alphil, 2015). Encensées par leurs maris, elles sont convaincues du schéma où chacun a sa place. » Par exemple, Brigitte Jacquelin, mère de sept enfants nés entre 1982 et 1994, aujourd’hui installée dans le Morbihan : « J’ai donné ma démission pour la simple et bonne raison que le travail de mon mari était plus enrichissant que le mien. Il a ainsi pu bénéficier d’une certaine tranquillité d’esprit… Et si l’on se fie à une étude américaine, publiée il y a une dizaine d’années, mon choix lui a sans doute permis de progresser plus vite professionnellement. Il m’a toujours renvoyé l’ascenseur au centuple. » 

« Incomprise, je subis même les remarques de mon conjoint qui trouve que je n’en fais pas assez… Pourtant, je suis plus fatiguée que lorsque je faisais les trois-huit à la SNCF » – Cécilia, 31 ans

Passé les petites contrariétés du début – « Lors d’un repas, quand j’ai dit que j’étais femme au foyer, mon voisin s’est détourné vers sa voisine de gauche… » –, Mme Jacquelin s’est épanouie au gré des mutations de son époux : épaulée pour le ménage par une personne de l’Aide à domicile en milieu rural (ADMR), elle a tenu bénévolement une chronique radiophonique intitulée « Le Bonheur en famille », en Lorraine, et a obtenu un diplôme d’enseignement des religions à la faculté de Strasbourg, avant d’apprendre à lire et écrire six cents sinogrammes, en Chine.

Forte de son expérience, elle conseille à ses congénères de ne plus se cantonner au train-train de la maison et de sortir de l’isolement social : « Magique : allez sonner chez la voisine qui vous paraît sympathique pour lui emprunter les œufs qui manquent pour votre gâteau. Apportez-lui une part quand il sera cuit, et quand vous lui rendrez les œufs, ce sera l’occasion de l’inviter à prendre un café pour faire connaissance », écrit-elle dans son Petit Manuel de la femme au foyer, publié en 2017, aux éditions du Centurion fondées par les pères assomptionnistes, en 1945. Faut-il encore que la voisine reçoive au beau milieu de l’après-midi. Et que l’on ait envie de cuisiner.

Si Mme Jacquelin a tiré un maximum de satisfaction de sa condition, la plupart des femmes au foyer – « presque un gros mot aujourd’hui ! » s’accordent-elles – préfèrent se présenter comme des « mères de famille », des « nouvelles mamans », des « super mamans », ou le très en vue « maman à temps plein ». « Le terme n’est pas juste non plus, car personne n’est maman à temps plein et c’est un jugement pour les femmes qui travaillent… », réplique Anne Rothenbühler. Mais à l’époque de l’hyper-maternité où il est fort conseillé d’allaiter sa progéniture jusqu’à l’âge de 6 mois (soit trois mois et demi de plus que le congé maternité), de pratiquer le co-dodo, de servir des mets faits maison sans lactose ni gluten, de se convertir à la « diversification menée par l’enfant » (qui implique de préparer quantité de légumes en morceaux et de laisser l’enfant choisir), de suivre les devoirs tout en laissant les enfants se développer tels qu’ils sont, les mères au foyer seraient plus fréquemment victimes de dépression que leurs homologues « actives », qui accepteraient mieux le constat qu’elles ne peuvent pas tout faire, reconnaissait une étude américaine publiée en 2011 dans le Journal of Family Psychology.

« D’astreinte constamment »

À 31 ans, Cécilia Margarido, installée dans les Yvelines avec son compagnon Romain, conducteur du RER A, et leurs trois enfants, entame sa troisième année de congé parental et ne s’est jamais sentie « aussi mal en tant que femme. Rabaissée, incomprise, confie-t-elle. Je subis même les remarques de mon conjoint qui trouve que je n’en fais pas assez… Pourtant je suis plus fatiguée que lorsque je faisais les trois-huit à la SNCF. Je suis d’astreinte constamment : lever 8 heures, je dépose Léana à l’école avec les deux petits dans la voiture, je leur prépare à manger, je passe l’aspirateur, je fais le linge, je raconte des histoires à Ilian pendant la sieste car il ne dort pas et ça ne s’arrête plus jusqu’au soir. Je n’ai même pas le temps de faire les lits, de me raser les jambes ni d’aller chez le coiffeur… Et tout ça pour quoi ? Pour que les enfants réclament leur père à longueur de journée ». 

Un portrait de famille loin du cliché véhiculé sur les réseaux sociaux par les femmes de footballeurs, d’écrivains à succès ou d’hommes d’affaires en vue, qui partagent un goût prononcé pour la décoration crème et les enfants mignons. « Au XIXe siècle, la revendication de la femme au foyer s’est faite dans la bourgeoisie… Aidée par des bonnes, elle pouvait prendre ses jours pour recevoir ses amies, c’était une forme de luxe ostentatoire, avance François de Singly. Mais dans les années 1920, quand le modèle est descendu socialement parmi les classes moyennes, la femme au foyer est devenue une domestique. » 

Un deux poids, deux mesures encore d’actualité… L’an dernier, Cécilia Margarido, victime d’un burn-out (une expression pourtant liée au monde professionnel), a claqué la porte : « J’en étais venue à mettre des sacs-poubelles aux petits pour éviter qu’ils ne se salissent en mangeant. A force de me fâcher, j’ai craqué, admet-elle. Partout, on lit que hausser le ton, c’est de la violence psychologique, que c’est punissable par la loi, que les enfants auront des séquelles, mais on ne parle pas de la surcharge mentale »

« A quel père demande-t-on s’il va assurer au travail après la naissance de son enfant ? Est-ce que ça valait la peine de reprendre mon emploi après mon congé maternité ? » – Manal, 25 ans

De nos jours, la majorité des femmes au foyer semble tout de même s’être soulagée d’une tâche substantielle : la bonne épouse… « Moi, je suis en jogging toute la journée, donc je ne peux pas dire que je fasse un effort particulier pour mon homme… », admet Cécilia Margarido. Excepté le mouvement marginal des tradwives, sous la coupe de l’influenceuse britannique Alena Kate Pettitt, à la tête du blog « The Darling Academy », qui jouent sur une image fifties de la femme parfaite et soumise, avec tablier à carreaux, gants latex et jupe midi, la plupart revendiquent un rapport de couple égalitaire. Il ne viendrait plus à l’esprit d’aucun homme de fredonner les couplets de Claude Nougaro à côté du plan de travail : « Mieux encore que dans la chambre, j’t’aime dans la cuisine/Rien n’est plus beau que les mains d’une femme dans la farine »… Par ailleurs, si la femme au foyer n’est pas toujours en train de mitonner un bœuf en daube, elle n’est pas systématiquement hétérosexuelle non plus.

Vivre au foyer en féministe, à distance des clichés, c’est possible, selon les intéressées. « Au moins à 90 %, nuancent-elles, parce que c’est notre choix, même si c’est difficile. » Mais ce choix en est-il vraiment un quand 80 % des femmes s’impliquent tous les jours dans les tâches domestiques, contre 36 % des hommes, selon les données 2016 de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes ? Quand des millions d’internautes suivent la routine domestique de la « cleanfluencer » britannique Mrs Hinch sponsorisée par Cif et Canard W-C. ?

« Par ailleurs, tant qu’on emploiera les mots assistant maternel ou école maternelle à la place d’“assistant parental ou école préélémentaire, la petite enfance restera associée à la mère et il sera difficile de penser le foyer de manière féministe », souligne François de Singly qui souhaiterait faire bouger les lignes au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA). Sur ce point, Corinne Hirsch défend le concept de la double inclusion : « Les femmes sont rentrées massivement sur le marché du travail il y a cinquante ans, mais on a oublié de faire rentrer les hommes dans la sphère domestique et familiale… Au Laboratoire de l’égalité, on demande que, dès le premier enfant, le congé parental soit raccourci, mieux rémunéré et égalitaire, six mois par conjoint, pour que chaque parent puisse entrer dans sa parentalité. »

A Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, Manal Assebbane, 25 ans, licenciée en langues étrangères et mariée, avoue avoir quitté son emploi à la naissance de sa petite Sherihane, surnommée Sherinette, faute de perspective d’évolution. « Je travaillais en CDI chez Swarovski à la Défense, en tant que conseillère de vente. Quand je suis tombée enceinte, ma nouvelle responsable m’a demandé de rester à la caisse et ne m’a plus fait remplir de fiches d’évaluation, me mettant clairement à l’écart, explique-t-elle. Franchement, à quel père demande-t-on s’il va assurer au travail après la naissance de son enfant ? Dans ces conditions, est-ce que ça valait la peine de reprendre mon emploi après mon congé maternité ? J’ai opté pour une rupture conventionnelle. » Rappelons que l’écart de salaire net annuel moyen est de 17,5 % en faveur des hommes, selon l’Insee, en 2020.

Reprendre son indépendance

Depuis, la jeune femme a acquis des compétences au sein de la sphère domestique : gestion de l’entreprise familiale, relations publiques avec la crèche, ressources humaines pour le recrutement des aides et soignants, organisation des plannings et du budget, mise aux normes de sécurité (la bonne idée des cache-prises ourson)… Selon une étude réalisée en 2019 par le site ProntoPro, un portail de mise en relation avec des professionnels de services à la personne, cette charge de travail correspondrait à un salaire de 6 400 euros net par mois… Conscientes de développer une expertise dans l’univers impitoyable du foyer et soucieuses de retrouver une autonomie financière, elles sont de plus en plus nombreuses à tirer profit de leur position sur le modèle de Bree van de Kamp, la cuisinière hors pair de Desperate Housewives, qui finissait par monter dans sa cuisine un service traiteur.

Hélène Bonhomme, avec deux de ses quatre enfants, Romain et Adelin, à Bordeaux, le 20 avril, dans les nouveaux locaux où s’est installée l’équipe de son blog, Fabuleuses au foyer.

A Bordeaux, Hélène Bonhomme, 34 ans, mère de quatre enfants, a fondé en 2014 le site Fabuleuses au foyer, qui emploie six permanents. Forte de son expérience, elle « donne des outils aux femmes pour leur permettre de reprendre leur indépendance à la maison, résume-t-elle. Car nous sommes toutes, à un moment donné ou l’autre de la journée ou de la vie, au foyer… ». Sa newsletter motive tous les matins cent mille maîtresses de maison qui sortent de leur isolement en écumant les réseaux sociaux.

« Si j’avais été mère au foyer il y a quarante ans, j’aurais déprimé, avoue Manal Assebbane. Je passe au moins trois heures par jour sur Insta. » Suivie par près de sept mille abonnés sur Instagram, la jeune femme vante les mérites de marques aussi diverses que Carrefour ou L’Oréal… « C’est en suivant la Niçoise @mamanpipelette que j’ai décidé de m’y mettre, dit-elle. Je ne suis pas encore rémunérée mais les enseignes m’envoient leurs produits. Ma fille est devenue l’ambassadrice de Twistshake, une marque suédoise de vêtements pour bébé. » Le 15 février, la jeune femme a commencé une formation en marketing digital. Son projet ? Créer une entreprise qui lui permettrait de travailler à la maison pour s’occuper de sa fille.

« Microentreprise, télétravail… Notre génération a les moyens de se réinventer, explique Hélène Bonhomme. Lorsqu’on me demande ce que je fais dans la vie, j’explique qu’en plus de faire en sorte que mon conjoint et mes enfants aient un stock suffisant de slips propres, je gère une communauté en ligne de mamans. Du point de vue de l’Insee, je ne suis pas inactive. Pourtant, idéologiquement, je me sens femme au foyer. J’ai organisé ma vie professionnelle pour être à la maison… Je ne veux pas choisir. Les Fabuleuses au foyer ont un bureau mais je squatte souvent la table de ma cuisine. En fait, j’ai voulu simplifier ma vie en coupant la poire en deux, en réalité, je l’ai complexifiée… », dit-elle dans un sourire, avec en fond sonore les gazouillis de sa petite Victoire âgée de 6 semaines.

Le guide de la « parfaite » épouse

« Ne commettez pas l’erreur répandue de vous plaindre de la monotonie de vos tâches ménagères. Ne monopolisez pas la conversation. Gardez à l’esprit que les maris adorent que l’on fasse grand cas de leur existence. » Dispensés par le guide britannique Do’s and Don’t for Wives, publié en 1936 (Universal Publications Ltd.), ces pieux conseils destinés aux femmes mariées prêtent aujourd’hui à sourire.

Traduit en français en 2017, sous le titre Comment être une bonne épouse (Ed. des Equateurs), ce petit ouvrage, devenu une curiosité, connaît un certain succès. « Dans le genre ironique… c’est un cadeau sympa que les gens aiment faire pour les mariages, explique sa traductrice, Elisa Rodriguez. Et puis cela montre bien le chemin parcouru même s’il en reste encore beaucoup à faire… Rien que dans les années 2000, on pouvait encore trouver des enseignements du même genre dans les magazines pour adolescentes. »

En cours de réimpression (en stock, dès le 27 avril), le guide a aussi son pendant masculin, Comment être un bon époux, avec ce conseil qui pourrait fort bien apparaître au chapitre thérapie de couple des livres de développement personnel : « Ne vous mettez pas en colère en même temps que votre épouse. Cela ne ferait qu’empirer les choses. De manière générale, ne lui criez jamais dessus, sauf si la maison est en feu. »



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