par Philippe Tinber, haut fonctionnaire, Sarah Kerrich, avocate, Adrien Madec, responsable des publications d'Hémisphère gauche et Caroline Boyer, avocate pénaliste
Une des raisons de la défiance des Français envers leur système judiciaire réside dans son manque d’efficacité pour les protéger. Malgré un droit de plus en plus répressif, qui accroît les délits pouvant faire l’objet d’une peine d’emprisonnement, ni les chiffres de la délinquance ni le sentiment d’insécurité n’ont vu l’effet de ces politiques répressives. A rebours du projet de loi présenté en Conseil des ministres le 14 avril et des récentes annonces de création de nouvelles places de prison, rétablir la confiance dans la justice passerait par une politique pénale qui protège efficacement et qui lutte contre le dogmatisme de la peine de prison.
Facteur aggravant de récidive
Evidemment, la prison est indispensable pour isoler de la société les personnes les plus dangereuses, les plus susceptibles de commettre à nouveau un fait grave. Et il est nécessaire que des sanctions, parfois lourdes, soient adressées à l’égard d’individus qui contreviennent au bon ordre, à la tranquillité de tous, et au respect de chacun à une vie paisible.
Pourtant, bien loin de protéger les Français, le dogmatisme carcéral accorde à la peine de prison une place exorbitante dans l’échelle des peines. Or, en réalité, elle constitue souvent un facteur aggravant de récidive et tend à contribuer à l’insécurité vécue ou crainte par des millions de nos concitoyens. Surpopulation, violences exacerbées, ruptures des liens avec la société et les proches, pertes de son logement, de son emploi… Au final, malgré le formidable travail des personnes et associations, les conséquences d’un passage en prison, en particulier pour les courtes peines – la durée de détention étant en moyenne d’environ dix mois – sont parfois plus dangereuses que le mal que l’on cherche à éviter ou punir. En l’état, 59% des personnes qui sortent de prison réitèrent un acte délictuel ou criminel par la suite. On expose ainsi la société à des violences nouvelles, à des violences que nos institutions contribuent à produire.
Juxtaposer des mesures techniques
Loin de traiter ce sujet, le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire dit «Dupond-Moretti», présenté en Conseil des ministres le 14 avril, se contente de juxtaposer des mesures techniques, dont certaines sont utiles. Pourtant, les ambitions apparaissent bien maigres ; les effets pervers, importants. Ainsi, la mesure des réductions de peines risque de faire progresser de 10 000 personnes le nombre de détenus selon le ministère de la Justice lui-même !
Dans ce contexte, une politique pénale de gauche, qui garantit une protection effective et sort d’une fausse logique répressive inefficace pourrait s’articuler autour de trois grands axes, que nous avons détaillés dans la note «Service public pénitentiaire : réinsérer plutôt que punir», publiée par Hémisphère gauche.
D’abord, elle rendrait impossible une mesure de détention provisoire, sauf exception clairement identifiée dans la loi. Aujourd’hui, les prisons françaises, surpeuplées à 105 %, sont remplies au tiers par des personnes présumées innocentes. Or, les peines les plus courtes affectent gravement la socialisation et sont les plus propices à la récidive. Comment envisager un travail de réinsertion dans une telle précarité ?
Une offre mobilisable immédiatement
En fléchant, ensuite, partout sur le territoire, une partie des moyens consacrés à la construction de nouveaux établissements pénitentiaires vers les services proposant les peines alternatives. Pour qu’une peine alternative ou un aménagement soit prononcé par le juge, il faut des services et une offre mobilisable immédiatement. Faute de quoi, le juge sera tenté de prononcer la peine de prison.
Ambitieuse, enfin, elle s’attaquerait à la réforme de notre échelle des peines afin de rendre la mesure de détention possible uniquement si elle est strictement nécessaire. La peine de prison existe depuis près de deux cent cinquante ans dans notre droit. Alors que nos sociétés ont évolué, cette peine, malgré les évidentes évolutions des structures pénitentiaires, reste la même dans sa philosophie : sanctionner en retirant temporairement de la société des individus. Qu’est-ce qui justifie encore que de nouvelles peines, plus modernes et peut-être plus fortes et efficaces, ne soient pas déployées ?
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