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Bien des philosophes, de Spinoza à Clément Rosset, semblent avoir prêté à la joie un pouvoir presque magique. Mais n’est-ce pas une simple croyance optimiste ? Et que penser de ceux qui, comme l’explique Frédéric Schiffter dans ce récit personnel, vivent plus spontanément dans le compagnonnage de la tristesse et de la mélancolie ?
Lors d’un été à Majorque, je rendis visite à Clément Rosset dans le pueblode montagne où il possédait une maison. J’arrivai, comme prévu, à l’heure du déjeuner. D’autres amis étaient déjà là. Une table avait été réservée à la terrasse ombragée de l’auberge du lieu. La patronne et sa fille nous servaient. Les plats défilaient lentement. Arrosée d’un vin catalan, la conversation allait sans but. Nous parlions de la jota majorquine, de plages, de balades, d’autres villages de l’île, beaux et peu courus. Quelqu’un demanda à Clément Rosset de bien vouloir raconter sa noyade et sa résurrection (lire Récit d’un noyé, Éditions de Minuit, 2012). « C’est très simple : je me suis endormi en nageant comme on s’endort au volant. » Au café, l’échange prit un tour plus philosophique. À un moment, m’entendant tenir je ne sais plus quel propos désabusé qui dut l’agacer, Clément Rosset s’exclama : « Ah ! Le pessimiste chic parle ! » Rires de la tablée. Par le passé, à une autre occasion, j’avais eu droit à la pique. Jean Lorrain aurait dit : « Arrête de nous enschopenhauerder ! » « Pessimiste chic ? Ça me va ! », ai-je répondu en levant ma copita de hierbas, un digestif local.
Ce « pessimisme chic », dont Clément Rosset me faisait souvent grief, était à ses yeux une pose où entrait plus de dandysme que de philosophie, une façon de parader mon désenchantement à la boutonnière, un parti pris affecté pour la mélancolie. Je crois surtout que ce qui irritait le philosophe était la perplexité dans laquelle me laissait son nietzschéisme.
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