par Jean-Christophe Muller, avocat général à la cour d'appel de Paris et David Senat, avocat général à la cour d'appel de Toulouse
publié le 27 avril 2021
A l’instar de l’Italie, des Etats-Unis ou du Royaume-Uni, la responsabilité pénale doit être maintenue lorsque le trouble psychique de l’auteur d’un crime provient d’une consommation volontaire de produits toxiques.
[Cette tribune a été modifiée pour être précisée mercredi 28.04.21 à 14:00] Les dernières semaines ont vu s’intensifier la réflexion concernant les conséquences du trouble mental sur la responsabilité pénale. Depuis l’affaire Vacher (reprise par Bertrand Tavernier dans son film le Juge et l’Assassin) à la fin du XIXe siècle, le thème de la «folie criminelle» retient l’attention de l’opinion selon la manière dont la justice prend en compte ces situations qui inquiètent. Par les progrès réalisés par la justice et la psychiatrie, l’alternative ancienne entre, d’une part, l’irresponsabilité donnant lieu à des soins (sous forme d’internement) et, d’autre part, la responsabilité conduisant à la prison a vite été dépassée. La loi a ensuite conduit, en 1994, à distinguer entre l’abolition pure et simple du discernement, soustrayant le «fou criminel» à la responsabilité pénale et à l’action de la justice, et l’altération du discernement, permettant de retenir une responsabilité atténuée et de juger le criminel mais avec une diminution de la peine de prison encourue. Puis, sous la pression de la société, l’évolution a conduit à mettre fin au «non-lieu psychiatrique» par lequel la justice s’empressait d’escamoter au plus vite ces dossiers, au profit d’une procédure de déclaration judiciaire d’irresponsabilité pénale créée en 2008 et donnant lieu, le plus souvent à huis clos, à un débat entre experts et avocats au terme duquel la personne mise en cause est reconnue comme auteur matériel des faits avant d’être astreinte à une mesure d’hospitalisation contrainte.
Mais ce statu quo même était devenu trop fragile. D’abord en raison de la judiciarisation des mesures d’hospitalisation sous contrainte, qui conduit le juge à devoir arbitrer le bien-fondé de la mesure sur la base de certificats médicaux aussi souvent qu’une personne internée sous contrainte de l’autorité publique fait une demande pour sortir de ce régime. Ensuite, comme l’illustre parfaitement l’affaire Sarah Halimi, en raison d’un possible déclenchement volontaire ou d’une aggravation du trouble psychique de l’auteur d’un crime par la surconsommation préalable de stupéfiants ou autre substance toxique. Et ce constat a une portée sociale plus inquiétante encore si l’on considère que les faits criminels reposant sur le trouble mental peuvent être de nature terroriste, comme le suggère le coordonnateur national du Renseignement à propos de l’auteur de l’attentat du commissariat de Rambouillet.
S‘interroger sur l’origine du trouble mental
Ainsi posé, le débat ruine la caricature simpliste le réduisant à une prétendue volonté de «juger les fous». Nul ne l’a jamais envisagé, ce qui ne doit pas empêcher de s’interroger sur l’origine du trouble mental, sur la manière pour la justice de prendre des décisions dans ces dossiers et sur le suivi au long cours des personnes concernées. Autant d’axes souhaitables du futur projet de loi annoncé par le président Macron.
Sur l’ambiguïté de l’origine du trouble mental, l’affaire Halimi est, hélas, éclairante. Un premier expert psychiatre avait estimé que la dégradation de l’état psychique de l’auteur résultait de sa consommation massive de cannabis. Il concluait que sa responsabilité pénale devait donc être retenue, mais en tenant compte du fait que la nature des troubles psychiques avait largement dépassé les effets attendus. Si ces conclusions avaient été suivies, le meurtrier de Sarah Halimi aurait pu être jugé par une cour d’assises, encourant une peine maximum de trente ans de prison du fait de l’altération du discernement (ces faits étant sinon punis de la réclusion criminelle à perpétuité). Deux collèges d’experts sont ensuite intervenus. Un premier concluait à l’irresponsabilité pénale au motif que la consommation de cannabis n’avait fait qu’aggraver un trouble préexistant. Un dernier collège d’experts concluait de manière plus ambiguë à l’existence d’une bouffée délirante «d’origine exotoxique orientant plutôt classiquement vers une abolition du discernement». Mais comme la loi actuelle ne précise pas ce que recouvre exactement la notion de trouble mental, l’affaire Sarah Halimi montre qu’il est indispensable qu’elle en distingue les causes.
C’est ce que font de nombreux pays (Royaume-Uni, USA, Italie) et ce devrait être le premier axe de la réforme annoncée, en posant le principe que la responsabilité pénale de l’auteur devrait être maintenue, même atténuée, lorsque le trouble psychique de l’auteur d’un crime trouve son origine ou son aggravation dans la consommation volontaire de produits toxiques.
Mais les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale est appréciée par la justice méritent aussi d’être revues. Le code de procédure pénale prévoit actuellement que les débats devant la chambre de l’instruction en matière d’irresponsabilité pénale se déroulent en audience publique sauf si la publicité est dangereuse pour l’ordre public ou les mœurs. La publicité des débats n’est donc pas systématique et de surcroit elle est peu effective en pratique puisque que les audiences de la chambre de l’instruction ne sont pas annoncées de manière préalable et publique, comme s’est en revanche le cas pour les cours d’assises. Par ailleurs, la procédure devant la chambre de l’instruction est écrite, ce qui limite la portée de la publicité, aucune circonstance liée aux débats ne pouvant modifier les données acquise du dossier écrit. Ce fonctionnement actuel, souvent à huis clos, entre professionnels (psychiatres, magistrats et avocats) ne répond plus à l’exigence de contradictoire lorsqu’il s’agit d’arbitrer entre des experts dont les conclusions sont souvent opposées. Le fondement démocratique de la justice, la confiance qui doit être celle qu’elle inspire aux Français, devraient conduire le législateur à faire en sorte qu’en l’absence d’unanimité des experts, la question soit tranchée non plus par la chambre de l’instruction, mais bien par une cour d’assises associant magistrats et jurés populaires, qui dispose seule d’une légitimité incontestable pour assumer le poids d’une décision aux enjeux multiples.
Enfin, la réforme envisagée ne serait complète que si elle intégrait une modification du régime du contrôle des mesures d’hospitalisation sous contrainte de l’autorité publique. Actuellement, le préfet et le juge des libertés, décideurs en la matière, ordonnent le maintien ou non d’une mesure sur la seule base de certificats médicaux dont l’objet est d’évaluer une situation thérapeutique. Une évaluation pluridisciplinaire (associant médecins, professionnels de l’insertion, criminologues, juristes) serait plus éclairante. Une telle instance pluridisciplinaire existe déjà pour le suivi des mesures de sûreté ; il conviendrait d’en étendre le champ d’action aux hospitalisations administratives.
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