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lundi 26 avril 2021

Alexander Nanau, documentariste : « Populisme, corruption et incompétence vont main dans la main et sont la mort de la démocratie »

Propos recueillis par m  Publié le 25 avril 2021

Premier film roumain nommé aux Oscars, le documentaire « L’Affaire Collective » évoque la corruption du système de santé mis au jour après l’incendie meurtrier d’une boîte de nuit à Bucarest en 2015. 

Le réalisateur roumain Alexander Nanau à Bucarest, le 12 avril.

L’Affaire Collective porte pour la première fois un film roumain aux Oscars, qui seront décernés dimanche 25 avril. Nommé dans les catégories « meilleur documentaire » et « meilleur film étranger », le film, qui prend le pouls d’une Roumanie ubuesque, nous concerne tous. Son point de départ est un fait divers. Le 30 octobre 2015, un incendie ravage le Colectiv Club, une boîte de nuit de Bucarest, dans lequel périssent une cinquantaine de personnes. Un nombre équivalent de blessés, théoriquement sortis d’affaire, décède dans les jours qui suivent à l’hôpital.

Le réalisateur se met alors dans les pas du journaliste Catalin Tolontan, dont l’enquête va révéler un réseau de corruption criminel et un scandale sanitaire de vaste ampleur.

Le ministre de la santé, qui appartient pourtant à un gouvernement réformiste nommé pour un an, est contraint à la démission. Celui qui lui succède a pour ambition de nettoyer les écuries d’Augias d’un système de santé pourri jusqu’à la moelle. Il n’aura pas le temps d’accomplir cette tâche. Lorsque le film se termine, les élections ont redonné la victoire au Parti social démocrate, corrompu et populiste. Retour à la case départ. Il reste au spectateur à se pincer pour savoir qu’il n’a pas rêvé.

Votre film est à proprement parler terrifiant. Il nous introduit dans un système, connu de longue date, où la corruption gangrène tout – y compris le système de santé – et tue littéralement les gens. Votre film montre par surcroît que la tentative de mettre sur pied une politique d’intégrité suite à ce scandale est finalement désavouée par les urnes. Pourquoi, selon vous, cette fatalité ?

Je pense que les perspectives d’amélioration d’une société sont beaucoup plus longues que celles d’un individu. La confiance en la politique est très dure à gagner et très facile à perdre. Il est presque impossible de solliciter la confiance pour un autre type de politique alors que la plupart des médias sont à la solde d’un pouvoir populiste et manipulent à longueur de journée l’opinion. C’est aussi pourquoi je pense que le bon journalisme qui cherche à établir et à vérifier la vérité des faits est à présent vital pour nos démocraties.

Dans le cas de la situation actuelle en Roumanie, je pense que la faute incombe à un gouvernement technocratique qui a promis la transparence et les réformes et qui non seulement n’a pas tenu ses promesses mais a embauché un ministre de la santé, lui-même directeur d’hôpital, qui a couvert le scandale du désinfectant dilué. C’est une leçon pour tous les gouvernements : tant que les politiques protégeront les privilégiés et les passe-droits, ils seront laminés dans les urnes par les populistes.

Vous choisissez d’exclure tout commentaire ou entretien. La réalité prend ici, de fait, un jour proprement fantastique. Est-ce bien cela que vous visiez ?

Oui. Depuis le début, je voulais raconter cette histoire dans le style du cinéma vérité, qui est ma façon de concevoir le documentaire. Cette forme nécessite de trouver les bonnes personnes qui seront en quelque sorte le principal vecteur de votre histoire.

Avant de rencontrer Catalin Tolontan, cet enquêteur pugnace et courageux, je n’étais pas du tout certain de l’angle d’attaque, ni que le film puisse marcher. Et même alors, je n’imaginais pas les événements fantastiques, comme vous dites, qui nous attendaient au cours de cette année de tournage à ses côtés.

Vous a-t-il été facile de trouver des partenaires pour produire le film ?

Cela a été facilité par le succès international de mon film précédent, Toto et ses sœurs. J’ai obtenu pour la première fois une aide du CNC roumain, et j’ai trouvé un très bon coproducteur du côté de Samsa Films au Luxembourg.

La globalisation facilite aujourd’hui le financement des films et la résistance à la pression politique. Mon film a bénéficié de fonds américains, allemands, suisses et israéliens.

Le film a-t-il été distribué en salle en Roumanie ? Quelles réactions a-t-il suscitées ?

Nous avons eu la chance d’être à l’affiche deux semaines avant le début de la pandémie et du confinement. Le film a attiré 25 000 spectateurs durant cette période, ce qui est un record pour un documentaire en Roumaine. Il n’y a pas de culture du documentaire dans ce pays et aucun n’avait dépassé 8 000 entrées jusqu’à ce jour. Il a également fait le meilleur score d’audience de l’année 2020 sur la plateforme HBO Roumanie.

Il semblerait que ce soit la jeune génération, entre 16 et 30 ans, qui s’en est emparée, tant au cinéma que sur la plateforme. Nous avons eu de formidables débats avec eux, et il est évident qu’ils se sentaient profondément concernés car c’est leur propre avenir qui est en jeu. Leur dilemme est très simple : « Vais-je devoir vivre dans ce pays corrompu et y gâcher ma vie comme mes parents l’ont fait ou bien le quitter et vivre dans une société plus démocratique ? » Par ailleurs, beaucoup de journalistes ont signalé que depuis la diffusion du film en Roumanie, le nombre de messages reçus de « lanceurs d’alerte » avait décuplé.

La question du scandale sanitaire confère au film une vertigineuse actualité. L’actuelle pandémie a révélé des manquements graves de certains gouvernements aux principes de précaution et de protection des populations. Qu’en pensez-vous ?

La pandémie a révélé en effet l’impréparation et le manque de responsabilité de nombreux gouvernements. Elle nous montre combien nos Etats sont devenus vulnérables en raison de l’incompétence des gens mis en place dans les institutions, notamment médicales, alors que dans le même temps les véritables professionnels en sont chassés.

Ce phénomène est patent dans des régimes populistes tels que les Etats-Unis jusqu’à il y a peu, l’Angleterre, le Brésil, la Roumanie etc. Populisme, corruption et incompétence vont main dans la main et sont la mort de la démocratie. Il y a quelques jours, en Roumanie, le premier ministre Florin Citu a renvoyé l’épidémiologiste en chef du ministère de la santé, Andreea Moldovan, parce qu’elle voulait calculer avec exactitude le taux d’incidence de la maladie en vue d’évaluer la nécessité d’un confinement total. Les populistes sont des psychopathes qui n’ont aucun respect pour la vie humaine.

On pense beaucoup en voyant votre film à la farce macabre de Cristi Puiu, « La Mort de Dante Lazarescu » (2005), l’histoire d’un vieil homme qui meurt abandonné sur un brancard après avoir fait le tour des hôpitaux de Bucarest – qui avait lancé la nouvelle génération cinématographique roumaine. Vous en sentez-vous partie prenante ?

Pas vraiment. J’ai grandi et me suis formé en Allemagne dans les années 1990, dans une culture totalement différente. Mais le réalisme de leurs films oblige d’une certaine manière le documentariste que je suis à plus d’authenticité encore.

Mais je crois que la nouvelle vague roumaine, qui continue remarquablement sur sa lancée, a indéniablement attiré l’attention internationale sur notre cinématographie, et je lui dois quelque part cette première nomination d’un film roumain aux Oscars.

Qu’est-ce qui vous a décidé à rentrer au pays ?

Je voulais être présent lorsque la Roumanie a rejoint l’Europe en 2007. Je voulais y éduquer mes enfants car c’est un des lieux les plus divers, créatifs et ouverts sur l’avenir en Europe.

Même si leurs parents préféreront toujours les éduquer dans un environnement stable et fonctionnel, je crois que c’est important que les enfants puissent grandir dans un lieu en pleine transformation, et qu’ils puissent y prendre part. C’est exactement ce qui s’est passé suite à l’incendie du Colectiv Club en 2015, les jeunes ont envahi les rues. Ils sont l’espoir de notre pays.



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