par Benjamin Delille publié le 10 février 2021
Au centre d’accueil du Samu social parisien, de nombreux sans-abri viennent se réchauffer en journée. Le plan grand froid a été déclenché mardi par la préfecture pour débloquer des hébergements supplémentaires.
Au-dessus du périphérique, un vent glacial souffle et serre la mâchoire comme si les trottoirs glissants ne suffisaient pas déjà. Il faut traverser le XIIe arrondissement de Paris pour arriver au centre d’accueil historique du Samu social de la capitale. Il s’agit de l’ancien hospice Saint-Michel, un beau bâtiment de la fin du XIXe siècle que l’organisation occupe depuis 1996. «Les lieux n’ont donc pas changé de vocation : ils servent toujours à accueillir ceux qui sont dans le besoin», souligne Matthieu Mirta, responsable du site. Ici, les personnes sans domicile fixe trouvent de tout : des douches, des casiers, mais aussi une assistance médicale et juridique pour ne pas s’enfoncer dans l’exclusion.
Dans la grande cour blanche de neige on se rassemble autour d’un café qui fume sous le ciel bleu. Seuls quelques coups de pelle viennent troubler une chanson de Bob Marley. Pour profiter de vrais radiateurs, il y a aussi un barnum de 120 m², qui trône en plein milieu du jardin depuis l’automne. «On l’a installé à cause de la crise sanitaire et des règles de distanciation sociale, on ne pouvait plus accueillir suffisamment de monde à l’intérieur», explique Matthieu Mirta.
«Pas plus de monde que d’habitude»
A l’intérieur, plusieurs personnes se réchauffent, l’air las, comme Basile, un Polonais de 46 ans qui a passé la nuit sous une tente. «C’était horrible, il a fait très froid, j’ai les baskets trempées, le pantalon aussi», dit-il avant de montrer ses mains, encore rougies par cette nuit difficile. L’occasion d’une pique un peu moqueuse, à son voisin de table Arnold, lui aussi habitué des lieux depuis plusieurs mois. «Pourquoi je ne reste pas ici comme lui ?» Arnold fait partie des quinze personnes qui peuvent passer la nuit dans les locaux. «Parce que moi je fais partie des meubles, rigole-t-il. Et puis c’est pas l’hôtel non plus !»
«On a mis en place une halte de nuit, précise Matthieu Mirta. Il n’y a pas de lits, c’est juste pour qu’ils soient au chaud, avec un animateur et une infirmière.» Quatre places supplémentaires sont réservées aux personnes orientées par les maraudes nocturnes. Avec à chaque fois une liberté totale d’aller et venir. «Si l’un d’eux veut partir à 2 heures du matin et revenir à 4 heures, il peut.» Pour la vague de froid, le site a décidé d’ouvrir les week-ends et de proposer des collations chaudes le midi et de quoi grignoter au goûter. «Honnêtement, on ne voit pas tellement plus de monde que d’habitude», tempère Matthieu Mirta. Mais ses hôtes, des habitués pour la plupart, sont heureux de pouvoir venir se réchauffer.
«C’est un des seuls endroits où je peux boire un café chaud, sortir de mon confinement», se réjouit Marie-Cécile, dont le RSA ne permet que de payer une chambre d’hôtel «de marchand de sommeil». «Rester toute la journée là-dedans, c’est l’enfer», explique-t-elle tout en gardant son sourire bienveillant. Mamadou, un sans-papiers ivoirien de 37 ans, a lui aussi pu dormir dans un foyer cette nuit. «Mais c’est presque pire de rester dans le froid la journée que la nuit,témoigne-t-il en montrant ses baskets usées. Heureusement qu’on peut venir ici.»
Tisser du lien
«On fait de l’accueil et on tisse du lien», explique Abdoulaye, un vacataire en charge ce mercredi du barnum. Cet ancien steward a l’accueil dans la peau. «Il est trop gentil», glisse Basile avec un regard affectueux. «J’entends dire qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, philosophe Abdoulaye. C’est vrai, mais on peut l’alléger un peu.» Un constat que partage Aurora, une autre vacataire qui note les passages, plus de 2 000 par mois en 2020. «Ce qui est agréable ici, c’est qu’on ne fait pas que du suivi social, on partage des moments de vie, et c’est super important pour des personnes exclues.»
Autour d’elle, une bataille de boules de neige s’engage. Preuve que les conditions météo peuvent aussi faire sourire. «Franchement le froid, ce n’est qu’une composante de plus quand on vit dans la rue», estime Matthieu Mirta. Avec l’activation du plan grand froid, la préfecture de Paris a débloqué mardi 938 places d’hébergement d’urgence supplémentaires. «L’une des bonnes nouvelles du Covid, c’est qu’ils ont pu mobiliser des hôtels, se réjouit Sébastien, un des salariés du site. En revanche dès que c’est fini, tout le monde retournera dans la rue…» Dans sa voix, une pointe d’amertume.«C’est bien de parler des sans-abri quand il fait froid. Mais finalement, l’hiver, on trouve des places pour qu’ils ne meurent pas. L’été par contre, quand ils meurent de déshydratation, il n’y a plus personne.»
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