Par Nicolas Santolaria Publié le 12 février 2021
ENQUÊTE L’utilisation des outils de réunion à distance s’est généralisée en quelques mois. Et l’épidémie de « visiogags » est proportionnelle à ce succès foudroyant. Les accidents en direct sont presque devenus la norme.
Aujourd’hui, n’importe qui peut être trahi par l’arrière-plan de son écran. Ce n’est certainement pas Yvette Amos qui dira le contraire. Comme le relate le Daily Mail, le 26 janvier, cette habitante de la région de Cardiff apparaissait depuis chez elle dans l’émission de la BBC Wales Today, avec l’un de ces fameux outils de visioconférence auxquels 89 % des Français qui télétravaillent ont recours (étude Deskeo, 2020). Invitée à s’exprimer sur les difficultés d’accès à l’emploi durant la pandémie, Yvette s’est vite fait voler la vedette par l’arrière-plan de la vidéo, où l’on pouvait distinguer, dardant au milieu d’une bibliothèque encombrée de livres, de dossiers et de jeux de société, ce qui ressemblait de loin à un énorme sex-toy (ou à une sculpture phallique). Dans un tweet amusé, accompagné d’une capture d’écran, le journaliste Grant Tucker conseillait de « toujours vérifier ses étagères avant un direct », tout en saluant l’originalité d’un tel décor.
Après tout, il n’y a rien de si grave à avoir un vibro qui fait coucou par-dessus votre épaule. Devenue virale, la vidéo d’Yvette Amos a donné lieu à un nombre incroyable de spéculations (acte volontaire ? mauvaise blague d’un colocataire ? oubli ?), venant illustrer de manière emblématique un phénomène de société en constante expansion : les accidents de visio, également dénommés « Zoomfails ». S’il fallait trouver une figure tutélaire en la matière, ce serait incontestablement Robert E. Kelly. En mars 2017, alors qu’il donnait une interview par Skype à la BBC depuis son bureau personnel, ce professeur de sciences politiques avait soudain vu débouler dans son dos sa fille dodelinant, puis son bébé dans un trotteur et, enfin, sa femme en panique, surgissement lui conférant une célébrité mondiale dont il se serait bien passé.
Improbable combo caleçon-costume
Depuis, l’accident est presque devenu la norme. « C’est bien moi. Je ne suis pas un chat ! », s’est exclamé le 9 janvier 2021, en pleine audience à distance du tribunal judiciaire de Presidio (Texas), le procureur du comté Rod Ponton, car il n’arrivait pas à désactiver le filtre qui l’avait transformé en matou. Parce que l’usage des Google Meet, Zoom, Microsoft Teams et autres plates-formes de visioconférence s’est brutalement massifié sous l’effet de la pandémie, des publics inexpérimentés ont soudain eu à manipuler des outils qui transforment le moindre télétravailleur en Steven Spielberg d’appartement. Dans un sondage Deskeo réalisé à l’issue du premier confinement, 62 % des Français avouaient ainsi avoir du mal à se servir des logiciels de visioconférence. D’où une inflation de situations parfois cocasses, parfois dérangeantes, aux frontières du voyeurisme involontaire et de la culture « Vidéo Gag ».
Renvoyant à ses collègues une image fort peu proactive, l’auteur de ces lignes est, par exemple, apparu allongé sur son lit lors d’une réunion de travail, après avoir malencontreusement confondu le bouton du micro et celui de la caméra. Mais cela est un moindre mal comparé à tous ceux dont la vie professionnelle s’est assombrie depuis qu’un accident de visio a inopinément fait tomber leur masque social. C’est ce qui est arrivé au député irlandais Luke Flanagan qui, le 2 juin 2020, interpellait par écran interposé le commissaire européen à l’agriculture sur des problématiques budgétaires. Malgré une chemise bleu foncé du plus bel effet et des questions intéressantes, une orientation approximative de la caméra aura suffi à ruiner son intervention, le dévoilant assis sur son lit en slip, en train de se gratter les cuisses.
Ne sachant plus vraiment s’il est chez lui ou au bureau, le télétravailleur confiné est bien souvent un être à demi habillé, atteint d’une forme de schizophrénie vestimentaire.
Pareille mésaventure est également arrivée au ministre de la jeunesse et des sports roumain Ionut-Marian Stroe, lors d’une interview télévisée depuis chez lui, perturbée par la chute de son ordi qui a révélé à la face du monde des jambes nues et velues. « Attention de bien cadrer votre vidéo », conseillait à ce propos le journaliste américain Will Reeve, après s’être ridiculisé dans un improbable combo caleçon-veste de costume sur l’antenne de la chaîne ABC, lors d’un direct à domicile entaché par un plan un peu trop large. Ne sachant plus vraiment s’il est chez lui ou au bureau, le télétravailleur confiné est bien souvent un être à demi habillé, atteint d’une forme de schizophrénie vestimentaire.
Face à ces situations embarrassantes, la réaction de vos collègues peut varier du tout au tout. Après avoir emporté son laptop aux toilettes, puis l’avoir posé au sol, une salariée américaine est furtivement apparue sur le trône en pleine réunion, avant de vite occulter la caméra. « Oh mon dieu, Jennifer ! », s’exclamait une collègue horrifiée, quand un Bon Samaritain, à qui manifestement rien n’avait échappé, martelait : « Je n’ai rien vu, rien ! »
Politique de l’autruche
En la matière, la palme de la politique de l’autruche revient sans doute aux membres du conseil municipal de Rio de Janeiro. Lors d’une session Zoom consacrée aux questions d’alimentation des élèves de la ville, une des participantes est partie s’envoyer en l’air en arrière-plan, oubliant de couper sa caméra. Imperturbables face à ces ébats (bien qu’un poil rigolards), les édiles ont poursuivi les débats. Autre contexte politico-porno : surpris dans l’une des vignettes de la visio en train d’embrasser les seins de sa compagne, l’élu argentin Emilio Ameri a, quant à lui, provoqué une suspension de cette séance parlementaire, laquelle était par ailleurs diffusée sur grand écran.
Mais parfois, les conséquences sont bien plus fâcheuses. En pleine réunion de préparation de la présidentielle américaine, pensant ne pas être visible, Jeffrey Toobin, chroniqueur du prestigieux magazine The New Yorker, a été filmé en train de se masturber sur Zoom, avant d’être suspendu. « J’ai commis une erreur honteusement stupide, en croyant être hors champ, déclarait-il sur le site de Vice. Je présente mes excuses à ma femme, ma famille, mes amis et mes collègues. » A côté de ça, être accidentellement transformée en tubercule devant ses subalternes, comme l’Américaine Lizet Ocampo victime d’un filtre « patate », ou bien faire une homélie avec un casque d’extraterrestre virtuel sur la tête et des moustaches de chat tel don Paolo Longo, prêtre italien de la région de Salerne ayant activé malencontreusement la fonction effets spéciaux de l’appli de visioconférence, relève du moindre mal.
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