par Alexandra Pichard publié le 9 février 2021
Mis en place fin 2020, le dispositif permet de géolocaliser une personne à protéger et un auteur de violences conjugales. Si elle s’est encore peu démocratisée, cette surveillance électronique vient combler la période délicate entre le moment où les faits sont signalés et celui où la justice se prononce.
Après sept ans de violences, elle s’était décidée à partir le jour où son conjoint l’avait frappée devant ses enfants. Plus la sortie de prison de son ex-compagnon approchait, plus la peur l’envahissait à nouveau. «Mais grâce au bracelet électronique antirapprochement, j’ai retrouvé une vie normale et sereine. Je suis moins stressée, moins angoissée : se sentir en sécurité change tout.» Depuis qu’Emma (1) a été équipée du dispositif, le 17 décembre, un petit boîtier GPS ne quitte jamais son sac. Un bracelet antirapprochement a été placé à la cheville de son ex-conjoint dès le lendemain. Un cran de protection au-dessus du téléphone grave danger (TGD) dont elle disposait déjà. Géolocalisé en permanence, il ne peut pas s’approcher à moins de six kilomètres d’elle – la zone de pré-alerte –, sous peine d’être rappelé à l’ordre par le téléopérateur. S’il franchit la limite des trois kilomètres, une alerte est envoyée à Emma et la police intervient pour la mettre en sécurité et interpeller l’ancien compagnon.
«Il aurait été capable de se cacher dans une rue, de me tendre un guet-apens. Une fois qu’il est face à moi c’est trop tard pour déclencher le TGD, confie-t-elle à Libération. Avec le bracelet, je suis sûre qu’il ne peut pas s’approcher de moi et de mes enfants ou alors que j’aurai le temps de m’enfermer chez moi.» Pour l’instant, elles sont seulement une vingtaine à avoir été équipées du dispositif, déployé fin septembre dans cinq juridictions pilotes, étendu à une trentaine en novembre, puis à toute la France le 14 décembre. Un lancement timide mais prometteur, alors que les signalements pour violences conjugales ont augmenté de 60 % lors du deuxième confinement, a rappelé dimanche Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, dans un entretien au Parisien. Une hausse qu’elle attribue à «la crise économique et sociale qui se profile» et à «un niveau de tension extrêmement fort depuis cet automne».
«C’était soit le bracelet, soit la prison»
La mesure, inspirée de l’Espagne où elle a fait ses preuves, a vu le jour dans le sillage du Grenelle des violences conjugales, avec une loi adoptée en décembre 2019. Un millier de bracelets antirapprochement (BAR) sont désormais disponibles sur tout le territoire : chaque juridiction en a été dotée de trois. La justice a pour l’instant prononcé leur usage dans 27 cas. Six d’entre eux ont déjà été retirés et autant seront posés à la sortie de prison des auteurs concernés. «Il n’y a aucun plafond : à chaque fois qu’un bracelet est attribué, un autre est commandé par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), pour avoir un stock constant», assure la chancellerie à Libération. Rappelant toutefois que le bracelet n’a «pas vocation à être prononcé dans chaque hypothèse de violences conjugales» mais de «façon subsidiaire, si toutes les autres mesures de protection des victimes ne sont pas suffisantes».
En matière pénale, la mesure peut être utilisée en aménagement de peine par le juge d’application des peines. C’est le cas pour l’ex-conjoint d’Emma. «Il avait été condamné pour violences conjugales et s’apprêtait à sortir de prison, avec un sursis probatoire et interdiction d’entrer en relation avec son ex-conjointe. Au cours d’une audience, il a proféré des menaces de mort contre elle. On craignait donc qu’il ne viole cette interdiction : il fallait aller plus loin en matière de protection de la victime», dit à Libération Baptiste Porcher, procureur de Limoges. «Elle était paniquée car il avait gardé un fort ressentiment et voulait reprendre contact», explique Catherine Boisseau, présidente de l’association France Victimes 87, qui a remis le dispositif à la trentenaire et assure son suivi. La vulnérabilité de la victime et la dangerosité de l’auteur sont les critères pour préconiser le bracelet dans l’«évaluation victime»réalisée par les associations à la demande du parquet. «Il n’y aura pas d’autocensure dans l’attribution du dispositif comme cela pouvait être le cas avec les TGD», estime Baptiste Porcher.
Plus d’une dizaine de BAR ont été ordonnés en tant que peine par le tribunal correctionnel mais beaucoup se sont vu prononcés en pré-sentenciel, dans le cadre de contrôles judiciaires. C’est le cas à Douai (Nord), où une plainte a été déposée pour des violences remontant à une dizaine d’années. Les faits n’ont pas été jugés en comparution immédiate. «En attendant l’audience, l’emprise du conjoint pouvait laisser croire que l’homme mis en cause cherche à la voir, à faire pression sur elle pour qu’elle retire sa plainte ou à se venger. On craignait que la garde à vue ne soit pas suffisante pour protéger la victime», souffle Frédéric Teillet, procureur de Douai. Tout est allé très vite : la victime a été équipée du boîtier le 28 novembre et son conjoint dès le 30 novembre, cinq jours après le début de sa garde à vue. «C’était soit le bracelet, soit la prison. Donc c’était dans son intérêt d’y consentir. Il l’a vraiment vécu comme une dernière chance : la possibilité de garder son travail et rester inséré même si les faits sont très graves», estime Laurence Marchandin, directrice d’insertion et de probation dans la ville, chargée de poser le bracelet au conjoint violent et du suivi de l’auteur. Côté victime, c’est le soulagement : «Depuis sa plainte et jusqu’à ce qu’on pose le bracelet à son ex-conjoint, elle ne sortait plus de chez elle, pas même pour aller travailler : c’était la seule solution face à la menace qui pesait sur sa vie. Désormais, elle a pu reprendre le travail», affirme son avocate, Sarah Bensaber.
Dans des affaires précédentes, le dispositif lui aurait d’ailleurs permis de convaincre certaines clientes de continuer le processus judiciaire. «Beaucoup ont préféré retirer leur plainte ou ne même pas la déposer parce qu’elles avaient peur des représailles et n’avaient aucune garantie de protection, regrette maître Bensaber. Avant, je ne pouvais rien leur proposer pour garantir leur sécurité. Maintenant, j’ai une solution concrète à faire valoir jusqu’à ce que l’auteur comparaisse devant le tribunal correctionnel.» Elle entend aussi proposer le dispositif à ses clients violents : «Certains n’ont pas respecté leur contrôle judiciaire ou sursis probatoire, mais c’était leur parole contre celle de la victime. Il n’y avait pas cette épée de Damoclès pour les y contraindre.» La question se pose particulièrement pour l’un d’entre eux, en récidive, qui n’a pas été placé en détention «uniquement pour des raisons procédurales». «Il m’a dit que ce dispositif le rassurerait presque car il ne pouvait pas s’empêcher de contacter sa concubine, c’était presque maladif. Le bracelet persuade de ne pas braver l’interdiction et freine la récidive», estime-t-elle.
«Monter en puissance»
Pour l’instant, le dispositif démontre son efficacité préventive : aucune intervention de police ou de gendarmerie n’a été menée. Mis à part un test à blanc à Douai qui a permis de toucher du doigt les limites de la théorie (l’opérateur conseillait à la victime de se réfugier dans un commerce… fermé pour cause de Covid-19) et où les forces de l’ordre sont arrivées sur place en quelques minutes. «Tous les auteurs se sont conformés à leurs obligations, affirme Dominique Tanguy, directeur des Spip du Val-d’Oise, qui a déjà remis plusieurs bracelets. C’est la vertu d’un dispositif qui, techniquement parlant, est une vraie plus-value : contrairement aux autres mesures de contrôle, on peut savoir irréfutablement si l’intéressé s’est approché de la victime. S’il nie, on en a la preuve. Le bracelet est un adjuvant, une corde supplémentaire à notre arc pour consolider la prise en charge et le suivi des auteurs.»
A Pontoise, six bracelets ont été prononcés dans «des cas graves, où ils représentaient une alternative à l’incarcération», indique le procureur de Pontoise, Eric Corbaux. La juridiction, en pointe dans la lutte contre les violences conjugales, réclamait depuis longtemps le dispositif. Elle mène une «politique volontariste» en la matière, mais prône une «finesse» dans l’appréciation des cas. «Ce n’est pas généralisable facilement car il faut prendre en compte beaucoup de paramètres : que les lieux de résidence, voire de travail, soient très distincts, pour éviter les croisements et déclenchements intempestifs. D’autant plus en Ile-de-France où on peut se croiser facilement dans les transports en commun», explique-t-il. Un des porteurs du bracelet dans la juridiction passe quotidiennement dans la zone de pré-alerte, à moins de 4 kilomètres de la victime, quand il prend l’autoroute pour aller travailler. «A nous alors de faire les médiateurs pour modifier son parcours ou modifier l’ordonnance pour ajuster la distance», explique Dominique Tanguy.
La véritable révolution de la loi de 2019 est que le bracelet peut être ordonné au civil, à titre préventif, par un juge aux affaires familiales dans le cadre d’une ordonnance de protection et sous réserve du consentement du conjoint violent. Aucun tribunal ne l’a pourtant prononcé pour l’instant. «Ce dispositif privatif de libertés trouve plus naturellement son application pénale et est moins évident au civil. Si les juges aux affaires familiales n’ont pas prononcé de bracelets, c’est parce qu’ils n’ont pas été saisis de demandes en ce sens. Ce rôle revient aux avocats, notamment des victimes», rappelle le procureur de Pontoise. D’où la nécessité de sensibiliser tous les acteurs de la chaîne judiciaire pour faire entrer le bracelet dans les mœurs civiles.
La juridiction parisienne est d’ailleurs plutôt frileuse à adopter le BAR avant que la peine ne soit prononcée. Dans un courrier interne dévoilé par le Point, le président du tribunal judiciaire de Paris, Stéphane Noël, écrivait aux magistrats : «Compte tenu de la disponibilité du dispositif (3 bracelets) et des contraintes de mise en œuvre, il apparaît judicieux de réserver cette nouvelle mesure à l’instruction et au service de l’application des peines et de ne pas le déployer au JAF [juge des affaires familiales, ndlr], au JLD [juge des libertés ou de la détention] ou en correctionnelle.» Pas d’opposition de principe des JAF et JLD, rassure Stéphane Noël : «Les juges d’application des peines seront pilotes en la matière pour partager leur expérience et savoir-faire. Il faut du temps pour que les acteurs s’approprient ce dispositif et pour que l’opinion s’y familiarise aussi. Il va falloir que le BAR entre dans les mœurs.» «La dépêche du garde des Sceaux pour généraliser le bracelet avait notamment pour objet de rappeler tous les cadres dans lesquels la pose du bracelet antirapprochement peut être prononcée, y compris au civil, réagit la chancellerie. Aucune nécessité de brider des services plus que d’autres. C’est une mesure qui va monter en puissance progressivement.»
«Ecart entre la communication et les actes»
Aurélien Pradié, député LR qui a porté la loi, ne masque pas son agacement face à un déploiement qu’il juge trop timide. «Mettre en place le BAR dans une poignée de juridiction, avec huit mois de retard : le gouvernement n’a pas de quoi fanfaronner. Le bracelet est une étape nécessaire sur laquelle la France avait déjà un terrible retard et la généralisation aurait dû avoir lieu le 1er janvier 2020 comme l’indiquait la loi.» Il pointe le manque de sensibilisation des forces de l’ordre, en première ligne en cas de signalement, mais surtout le financement insuffisant de la mesure : 7,4 millions d’euros pour l’année. «Il aurait fallu au moins un million d’euros supplémentaire, que le garde des Sceaux a refusé d’accorder, déplore Aurélien Pradié. Il y a un vrai doute sur l’écart entre la communication abondante sur le sujet et les actes.»
Le député s’inquiète aussi de la réticence des juges civils à s’emparer de la mesure. «C’est surtout utile dans le cadre d’une ordonnance de protection, en préventif et je ne suis pas certain que les juges des affaires familiales délivrent des BAR - une mesure privative de liberté - sans rechigner. Si les juges refusent de les utiliser, avoir les meilleurs outils du monde est inutile», se désole le député. On ne passera selon lui à la généralisation du bracelet antirapprochement seulement si des juridictions spécialisées dans les violences conjugales sont créées, associant les compétences du juge civil et pénal, comme le demandent de nombreuses associations : «Sinon, on aura des centaines de bracelets, mais ils resteront dans les placards.»
(1) Le prénom a été modifié.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire