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jeudi 11 février 2021

Au Japon, le sexisme de Yoshiro Mori, symbole d’un machisme enraciné

Par   Publié le 12 février 2021

Le sexisme n’est pas seulement discriminatoire, il conduit aussi à des drames dont témoigne la recrudescence des suicides chez les femmes.

Le président du comité d’organisation des Jeux olympiques de Tokyo, Yoshiro Mori, au siège du Parti libéral-démocrate à Tokyo, le 2 février.

LETTRE DE TOKYO

Sous le feu des critiques suscitées par ses propos sexistes, le président du comité d’organisation des Jeux olympiques de Tokyo, Yoshiro Mori, devait annoncer vendredi 12 février qu’il démissionnait de ses fonctions. Selon cet ancien premier ministre (2000-2001), les interventions qu’il jugeait interminables des femmes au cours de réunions des instances sportives retarderaient les débats. Cette sortie avait provoqué l’indignation tant à l’étranger qu’au Japon, où circulaient des pétitions et s’organisaient des manifestations. La polémique avait pris de telles proportions que les annonceurs aux JO commençaient à songer à réduire la voilure – moins sans doute par conviction que pour ne pas compromettre leur image.

Evolution de l’opinion

Les propos sexistes de M. Mori ne relèvent pas du simple dérapage verbal d’un octogénaire déphasé par rapport à son époque. Les gérontes du monde politique sont coutumiers de commentaires témoignant d’un machisme enraciné. Le vice-premier ministre et ministre des finances, Taro Aso (lui aussi octogénaire) n’est pas avare en remarques de la même veine : il y a deux ans, il mettait ainsi sur le compte des Japonaises la chute de la natalité dans l’Archipel. Selon Yayo Okano, politologue et professeure à l’université Doshisha, « M. Mori n’a fait que jeter du sel sur plaie ouverte ».

Les commentaires à caractère sexiste de dirigeants politiques, fussent-ils anodins en apparence et souvent proférés sur le ton de la plaisanterie mais répercutés avec complaisance par les médias, ne sont en rien des « gaffes » mais plutôt le symptôme de la persistance d’un état d’esprit qui entretient, sinon renforce, une discrimination à l’égard des femmes. En dépit de la poudre aux yeux lancée en 2014 par le précédent premier ministre, Shinzo Abe, promettant de « faire briller les femmes », le Japon demeure six ans plus tard au 121e rang (sur 153 pays) en matière d’égalité hommes-femmes selon le Forum économique mondial.

Les réactions aux propos de M. Mori témoignent de l’évolution de l’opinion. C’est la première fois qu’un tel poids lourd du parti libéral démocrate au pouvoir est contraint à démissionner pour des remarques sexistes. Ce changement dans les mentalités tardait à se transformer en une mobilisation citoyenne dépassant l’indignation afin de faire reculer le seuil de tolérance à ces « maladresses ». « La même chose se reproduira si vous n’admettez pas vos préjugés et ne prenez pas de mesures pour y remédier »,avait tweeté la footballeuse Shiho Shimoyamada, première sportive professionnelle ouvertement lesbienne, au lendemain des déclarations de M. Mori, pour sa part, discrètement mais avec un bel ensemble par ses paires.

Hausse du nombre de suicides chez les femmes

Cette démission est d’autant plus significative qu’elle intervient alors que la pandémie jette une lumière crue sur les effets tragiques du sexisme, assumé ou rampant, du Japon du XXIsiècle. En 2020, l’Archipel, qui a enregistré un niveau d’infection au Covid-19 bien inférieur à celui des Etats-Unis et de l’Europe, a vu en revanche augmenter (+ 3,7 %) le nombre de morts par suicide – bien supérieur à celui des décès dus à la pandémie (20 919 contre 3 459). La tendance à la diminution du nombre des suicides entre 2009 et 2019 s’est inversée à la suite de la mise en place du premier état d’urgence (7 avril-25 mai 2020). Et ce sont des femmes plus que des hommes qui se sont donné la mort.

Selon Michiko Ueda, professeure associée en sciences politiques à l’université Waseda et spécialiste de ce phénomène, « le nombre des morts par suicide a augmenté de 14,5 % en 2020 pour les femmes alors que la progression est négative chez les hommes (– 1 %). Jusqu’à présent, la courbe des femmes qui se donnaient la mort était pratiquement plate. Elle a brutalement grimpé depuis avril et a connu un pic en octobre. Les plus touchées par cette vague suicidaire sont les femmes de moins de 40 ans »« Les morts par suicide sont dues à des causes multiples qui souvent se cumulent, poursuit MmeUeda, mais en 2020, la pandémie a été un élément majeur dans le cas des femmes en raison de l’aggravation de l’anxiété générale et surtout des pertes d’emploi. »

Un manifestant appelle Yoshiro Mori à démissionner, à Tokyo, le 11 février.

La majorité des femmes qui travaillent émargent sur le marché des emplois précaires (40 % des actifs des deux sexes). Elles constituent le gros des effectifs dans les secteurs les plus touchés par la pandémie : hôtellerie, restauration, tourisme, monde du divertissement. Selon l’institut de recherches Nomura en décembre 2020, 900 000 femmes employées à temps partiel ont perdu leur emploi ou vu leurs heures de présence réduites de moitié sans indemnisation.

Selon les organismes de consultation des personnes dépressives ou suicidaires, de 70 % à 80 % des appels proviennent de femmes. La perte d’un emploi, la raréfaction des contacts personnels, l’effet mimétique du suicide de célébrités, l’anxiété ou les violences conjugales ont conduit 6 976 femmes à cette extrémité (+ 885 par rapport à 2019), le plus souvent par pendaison.

Précaires, seules, mères célibataires sans ressources en raison des difficultés à obtenir des aides sociales, beaucoup de jeunes Japonaises vivent sur la corde raide avec un revenu annuel inférieur à la moitié du salaire médian (moins de l’équivalent de 16 000 euros). Un Japonais ou Japonaise sur dix est dans ce cas. Selon des bénévoles d’organisations de soutien aux personnes dans le besoin, on voit désormais des femmes avec un enfant aux distributions alimentaires.

La recrudescence de suicides de jeunes femmes pourrait se poursuivre, estime Mme Ueda. C’est un signal d’alarme : la complaisance pour le sexisme, dont les propos de M. Mori sont une expression, entretient une discrimination dont les effets peuvent être dramatiques.


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