Par Pierre Barthélémy Publié le 27 janvier 2021
Le philosophe et historien Thomas Lepeltier relève les nombreuses failles de la théorie du Big Bang, modèle dominant mais pas rigoureusement scientifique de la cosmologie moderne.
Le livre. Voilà un livre qui réjouira et exaspérera les cosmologistes. Les réjouira car il parle de leur communauté, de l’histoire de leur discipline, de leurs travaux et de leurs débats. Les exaspérera parce que les questions qu’il pose sont un brin provocatrices (ne serait-ce que par son titre, L’Univers existe-t-il ?) et parce que son auteur, Thomas Lepeltier, prend un malin plaisir, à peine dissimulé, à mettre le doigt dans les failles du modèle dominant de la cosmologie moderne. Cet historien et philosophe des sciences ne fait en cela que prolonger la réflexion qu’il avait conduite, avec l’astrophysicien Jean-Marc Bonnet-Bidaud, dans l’ouvrage collectif qu’ils avaient codirigé en 2012, Un autre cosmos ? (Vuibert).
Il n’est pas incongru qu’un philosophe mène l’enquête sur ce domaine dont l’ambition gigantesque – penser et expliquer l’Univers dans sa totalité – a historiquement été portée par des penseurs comme Aristote, René Descartes ou Emmanuel Kant. Même après que la cosmologie eut acquis quelques lettres de scientificité, la conception philosophique que l’on se faisait du monde influait sur le choix de tel ou tel modèle par les chercheurs. Ainsi, Albert Einstein lui-même, qui concevait le cosmos comme statique et immuable, ajouta-t-il à ses équations un paramètre, la constante cosmologique, pour atteindre cet équilibre, erreur qu’il regretta amèrement par la suite.
Des rustines
Thomas Lepeltier décrit le moment de bascule du microcosme de la cosmologie, moment qui intervint dans les années 1960 après la mise en évidence du rayonnement fossile qui baigne tout l’espace. Cette découverte accréditait le modèle du Big Bang et écartait son concurrent, celui de l’Univers stationnaire, sans commencement. Le premier est donc devenu le modèle dit « standard » mais ses problèmes n’en ont pas été réglés pour autant. L’auteur insiste sur les rustines qu’il a fallu lui coller pour qu’il tienne jusqu’à ce jour : la mystérieuse matière noire que l’on soupèse sans jamais la voir ni connaître sa nature, la théorie de l’inflation qui met en scène une inimaginablement monstrueuse et foudroyante dilatation du cosmos à ses premiers instants, et la non moins énigmatique énergie noire qui accélère l’expansion de l’Univers. Au bout du compte, les cosmologistes ne connaissent que 5 % du contenu du monde…
Fort de ce constat, Thomas Lepeltier émet une question pleine de poil à gratter : la théorie du Big Bang peut-elle garder le label « scientifique » « si elle s’immunise contre toute nouvelle observation, c’est-à-dire si elle trouve des moyens, par exemple en ajoutant des hypothèses ad hoc, de toujours retomber sur ses pieds à chaque fois qu’elle est mise à mal par des observations » ? Le philosophe, qui ne fait pas mystère de son scepticisme vis-à-vis du modèle standard, reconnaît néanmoins que, pour qu’on l’abandonne, il faudrait qu’émerge une théorie disposant d’« un pouvoir explicatif aussi important ». Or, pour l’instant, cet efficace modèle de rechange n’existe pas.
« L’Univers existe-t-il ? », de Thomas Lepeltier, PUF, 176 p.
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