Par Camille Labro Publié le 22 janvier 2021
Dès mes premiers travaux, je me suis penchée sur les frontières entre l’homme et l’animal, les origines de la vie, les manipulations de l’homme sur le vivant. C’est ainsi que sont nés les « dîners procréatifs », en 2009. L’idée était un menu en quatre temps, 100 % végétarien, conçu sous la supervision d’un scientifique et réalisé par un chef étoilé, autour du thème de la procréation assistée et de la sélection de l’humain. Pourquoi un repas ? Parce que manger, c’est l’acte le plus intime qui soit : on met des aliments à l’intérieur de soi, il faut une grande confiance pour ça.
Le cocktail évoquait la fécondation in vitro, les invités allaient au « bar à sperme » et au « bar à ovules » pour élaborer leur boisson. En entrée, il y avait des « embryons congelés », trios de boules de glace aux goûts variés. Le plat principal portait sur le thème de l’amniocentèse, il s’agissait d’un œuf d’autruche garni d’un risotto sauce bleue ou rose.
La dernière étape du menu évoquait l’« allaitement au sein ou au biberon » par un dessert en bouteille ou une pannacotta avec un téton en pâte d’amande, moulé sur mon sein. Ce que je ne savais pas alors, c’est que sept ans plus tard j’allais perdre ce téton à cause du cancer. J’ignorais aussi qu’en traversant la maladie, je ferais prélever mes œufs en prévision de la chimiothérapie.
Lorsque, en 2016, le cancer s’est déclaré, j’ai décidé de tourner la caméra sur moi, car même si je n’aime pas ça, j’ai senti que ce processus de transmission me permettait d’être proactive dans la maladie, de transformer la fatalité en instrument d’expression. Cela a donné le long-métrage Serendipity (2019). La notion de « sérendipité », que j’affectionne particulièrement, est pour moi la rencontre du hasard et de l’intuition, la capacité à s’écouter pour tirer le meilleur de l’inconnu et de l’imprévu. On retrouve cela aussi bien dans la recherche scientifique que dans la création artistique ou dans la cuisine. Trois domaines qui sont finalement très liés, et très présents dans mon travail.
« Le cancer m’a amenée à faire plus attention à mon alimentation. Ce sont souvent les crises, globales ou intimes, qui provoquent les grands changements. »
Je suis née en France, je vis aujourd’hui entre New York et Paris. J’ai été nourrie par une mère qui passait du temps aux fourneaux, pour le dîner. Le midi, on mangeait des plats surgelés, j’avais une passion pour les croquettes de poisson et les pommes dauphines. L’une des spécialités de ma mère, c’était le chili con carne, plat qu’elle a cessé de faire au moment de la vache folle.
Quant à moi, c’est le cancer qui m’a amenée à faire plus attention à mon alimentation. Ce sont souvent les crises, globales ou intimes, qui provoquent les grands changements. En me documentant, j’ai réalisé à quel point tout est interdépendant, qu’en mangeant on affecte son corps mais aussi son esprit et le monde qui nous entoure.
Je me suis mise à cuisiner régulièrement, en incorporant des produits et des méthodes « anticancer » inspirées des livres de David Servan-Schreiber : thé vert, moins de gras saturés, moins de sucre (mais quand même du plaisir), céréales complètes, huile d’olive, cuissons douces, curcuma, légumes frais, brocolis, artichauts… Aujourd’hui, l’un des plats que je prépare souvent, c’est le clafoutis salé, à adapter aux saisons et à l’humeur, en utilisant des restes de légumes, et plein d’épices bénéfiques. C’est une recette simple et saine, à la portée de tous.
« L’amazone érogène », installation au Bon Marché Rive Gauche, Paris 7e. Jusqu’au 21 février. prunenourry.com.
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