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jeudi 1 octobre 2020

Peut-on aimer les maths pour elles-mêmes ?

 

Octave Larmagnac-Matheron publié le  

Gracie Cunningham © Gracie Cunningham. Alexandre Koyré © MP/Leemage.

« Je voulais juste vous dire que je ne pense pas que les mathématiques soient réelles. » La formule, lancée au détour d’une vidéo de maquillage publiée sur TikTok, aura suffit à faire de l’influenceuse make up américaine Gracie Cunningham la risée d’internet. À raison ? Plusieurs scientifiques, comme la doctorante Kareem Carr, ont apporté leur soutien à la jeune femme, soulignant qu’elle soulevait une question épistémologique fondamentale – et toujours non résolue. Et Carr d’expliquer sur Twitter que, dans certains cas, 2 plus 2 peuvent faire 5. « Arrêtez vos conneries », a rétorqué dans la foulée Yascha Mounk. Pour le politologue, déréaliser les maths conduit à ébranler « la confiance publique dans les experts et les scientifiques. »

La polémique, qui a pris des proportions considérables en l’espace de quelques jours, n’a pourtant pas grand-chose à voir avec le sens que Cunnigham donne à sa formule dans la suite de la vidéo« Je sais ce que vous allez dire : et Pythagore ? » La TikTokeuse ne remet pas en question la vérité du plus célèbre des théorèmes, car sa question est tout autre : « Comment ? Comment en est-il arrivé là ? Comment commence-t-on à réfléchir à l’algèbre ? Pour quoi en avait-il besoin ? » Et de souligner qu’en dépit de leurs connaissances mathématiques raffinées, le niveau technologique des Grecs n’avait rien de remarquable. Pas de « plomberie », imaginez ! Incompréhensible à notre époque où science et technique sont plus intriquées que jamais. Alors, peut-on vraiment « aimer les mathématiques pour elles-mêmes », comme le disait Stendhal, sans leur chercher d’applications concrètes ?

  • Le philosophe français d’origine russe Alexandre Koyré (1892-1964) a posé avec une particulière acuité cette question de l’absence de but de l’activité théorique. Dans son article « Perspectives sur l’histoire des sciences » (1961), il affirme que nous faisons fausse route si nous considérons que les développements scientifiques sont motivés par des impératifs techniques : « L’interaction entre la théorie et la pratique, la pénétration de la seconde par la première et vice versa, l’élaboration théorique de la solution des problèmes pratiques […] me semble être un phénomène essentiellement moderne. » Selon l’épistémologue, la technique des Grecs anciens, relativement rudimentaire, est tout autre chose qu’une « science appliquée ». Et réciproquement la théorie, telle qu’elle s’est inventée notamment à Athènes, est une activité gratuite, désintéressée. Elle « a, et a toujours eu, une vie propre », indépendante des exigences de résultat. Ce qui explique qu’en dépit de leurs connaissances théoriques poussées, les Grecs n’aient pas été de grands techniciens.
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