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jeudi 1 octobre 2020

Covid-19 : un fragment d’ADN hérité de Néandertal favorise les formes graves de la maladie

 

Un segment de chromosome provenant de notre cousin disparu et porté par 50 % de la population en Asie du Sud et 16 % en Europe multiplie par trois les risques de développer une forme sévère de détresse respiratoire.

Par  Publié le 30 septembre 2020

Reconstitution d’un homme de Néandertal dans des vêtements actuels, au musée de Néandertal, à Mettmann (Allemagne), le 3 juillet 2019.

Une part de notre héritage génétique provenant de l’homme de Néandertal pourrait expliquer certaines formes graves de Covid-19. C’est l’hypothèse avancée dans la revue Nature, mercredi 30 septembre, par le « pape » des génomes anciens, Svante Pääbo (Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste, Leipzig) et de son collègue Hugo Zeberg (Institut Karolinska, Stockholm). Selon eux, les porteurs d’un fragment chromosomique identique à celui trouvé sur plusieurs fossiles néandertaliens ont un risque multiplié par trois de faire une forme grave de détresse respiratoire induite par le SARS-CoV-2. Ce variant est présent dans 50 % de la population d’Asie du Sud, chez 16 % des Européens, mais est quasiment absent en Afrique.

Pour parvenir à ces conclusions, les deux chercheurs se sont appuyés sur deux études récentes visant à identifier les facteurs de risques génétiques associés aux formes sévères de Covid-19. La première, publiée le 19 juin dans le New England Journal of Medicine était une étude dite d’association pangénomique (« genome wide association study »). Le principe est, pour un trait donné, de déduire de la comparaison d’un grand nombre de génomes des variations au sein de ceux-ci qui sont le plus souvent associées à ce caractère. En l’occurrence, David Ellinghaus (université de Kiel - Schleswig-Holstein en Allemagne) et ses collègues avaient constaté que des variants particuliers de régions des chromosomes n° 3 et 9 (sur les 23 paires que compte notre patrimoine génétique) étaient plus présents chez les malades ayant fait des formes sévères de Covid-19.

La seconde étude, signée de la Covid-19 Host Genetics Initiative, une vaste coopération internationale visant elle aussi à élucider le rôle de facteurs génétiques chez l’homme (et non chez le virus) dans la susceptibilité et la sévérité de l’infection au SARS-CoV-2, a permis d’affiner cette observation. En combinant les résultats de huit études totalisant 3 199 cas et 897 488 témoins, l’Intiative a écarté la région du chromosome 9, responsable des groupes sanguins, initialement suspectée. En revanche, elle a conforté le rôle d’une région du chromosome trois englobant six gènes.

Croisements anciens

C’est sur ce « cluster » de gènes que Svante Pääbo et Hugo Zeberg se sont concentrés, en se demandant s’il ne proviendrait pas de Néandertal ou de l’homme de Denisova, un autre de nos cousins disparus. Si ce variant « aggravant » n’a pas été retrouvé sur les Dénisoviens, il était bien présent en deux exemplaires dans le génome du fossile néandertalien Vindija 33.19, qui a vécu dans l’actuelle Croatie il y a 50 000 ans.

Ils ont aussi trouvé ces variants, bien que sous une forme un peu différente, chez deux autres Néandertaliens, « Altai » et Chagyrskaya, originaires tous deux du sud de la Sibérie et vieux respectivement de 120 000 et 50 000 ans. Ces variants proviennent-ils de l’ancêtre commun à Homo sapiens, notre espèce, et à l’homme de Néandertal, qui ont bifurqué il y a plus de 500 000 ans ? Leur analyse l’exclut : c’est bien Néandertal qui a légué ce fragment de chromosome à l’homme moderne quand celui-ci l’a croisé après sa sortie d’Afrique il y a 60 000 ans.

Ces croisements anciens ont laissé des traces dans notre génome, à des degrés divers selon les populations considérées. Si l’héritage néandertalien est très faible voire inexistant dans les populations africaines actuelles, il est visible dans le reste du monde, avec des gradients allant de 1 à 4 % du génome.

Qu’en est-il pour le variant aggravant le Covid-19 ? En s’appuyant sur la vaste base de données génétiques du 1 000 Genome Project, les chercheurs de Leipzig ont, sans surprise, constaté qu’il était presque complètement absent en Afrique, mais qu’il se trouvait chez un Européen sur 6 et une personne sur deux originaire d’Asie du Sud. C’est au Bengladesh que la proportion de porteurs est la plus forte : 63 % de la population possède au moins une copie du variant à risque, et 13 % deux exemplaires, sur la paire de chromosomes 3. Une étude récente de Public Health England a de fait constaté que les personnes originaires du Bangladesh hospitalisées en Grande-Bretagne pour Covid-19 avaient deux fois plus de chance d’en mourir que la population générale. Et les spéculations vont bon train sur la faible mortalité par Covid-19 constatée en Afrique…

« Compromis évolutif »

Pääbo et Zeberg soulignent une autre observation « frappante » à leurs yeux : alors que le variant néandertalien atteint une incidence de 30 % dans la population d’Asie du Sud, il est presque absent en extrême orient. « Une telle différence est inhabituelle, notent-ils, et pourrait indiquer qu’elle ait été affectée par un phénomène de sélection par le passé. » S’il est présent à un niveau aussi élevé au Bangladesh, c’est peut-être parce que ce variant a conféré une protection particulière à ses porteurs. A l’inverse, en Asie orientale, il aurait été quasi éliminé à la faveur de zoonose ancienne, « peut-être par des coronavirus ou d’autres pathogènes », avancent-ils.

« Si vous êtes porteur d’une copie du variant néandertalien, c’est un peu comme si vous aviez dix ans de plus que votre âge réel, et vingt ans de plus avec deux copies », Svante Pääbo, expert des génomes anciens

Ce type d’étude s’inscrit dans la recherche de marqueurs génétiques ou immunologiques de risque de Covid-19 aggravé. Il y a quelques jours, dans Science, une étude mettait ainsi en évidence un variant génétique lié à la production d’interférons (des antivirus naturels). « Le risque pour le porteur est alors huit fois plus élevé de faire une forme grave », indique Laurent Abel (Institut Imagine, Paris), qui a travaillé à la mise en évidence de ce variant génique qui serait impliqué dans 3,5 % des formes graves.

« L’âge reste le facteur de risque principal de gravité du Covid-19, précise Svante Pääbo. Pour mettre les risques en perspective, si vous êtes porteur d’une copie du variant néandertalien, c’est un peu comme si vous aviez dix ans de plus que votre âge réel, et vingt ans de plus avec deux copies. »

« Cette étude dans nature est très intéressante et stimulante », commente Lluis Quintana Murci (Collège de France, Institut Pasteur), qui a lui-même publié des travaux sur l’impact de l’héritage néandertalien sur la santé humaine. « Nos études montrent que ce qui a été sélectionné par le passé n’est plus forcément protecteur aujourd’hui », rappelle-t-il. C’est ainsi qu’une partie de notre immunité innée héritée de Néandertal favorise désormais, dans un environnement différent, les allergies.

Les habitants du sous-continent indien en feraient-ils aujourd’hui les frais ? « Dans le cas du Covid, cela évoque un compromis évolutif : un système immunitaire extrêmement réactif par le passé qui se retourne aujourd’hui contre nous », avance Lluis Quintana-Murci, ajoutant que cette hypothèse de l’« arme à double tranchant » que se révèle être parfois la sélection naturelle mérite en l’espèce d’être testée : « dès demain, nous allons néandertaliser des cellules humaines pour étudier les effets fonctionnels de ce variant », indique-t-il.

De fait, on ignore encore ce qui dans cette région du génome est responsable de l’aggravation du Covid-19, notent Sant Pääbo et son collègue, et quel rôle elle a joué chez notre cousin disparu et ses descendants. « Cependant, en ce qui concerne la pandémie actuelle, concluent-ils, il est clair que le flux de gène provenant des Néandertaliens a des conséquences tragiques. »



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