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Marseille, le 20 septembre 2020, Aurelien Pradié, député LR de la 1er circonscription du Lot, secrétaire général des Républicains, entame son "tour de France de l'environnement" pour rencontrer, un an durant, élus, acteurs agricoles et associatifs. Photo Patrick Gherdoussi
Chargé d’évaluer l’application de la loi de décembre 2019 sur les violences conjugales, le député LR Aurélien Pradié livre à «Libération» un premier bilan des changements législatifs qu’il a initiés.
C’était leur moment. Face à une mobilisation grandissante contre les féminicides conjugaux, au nombre de 146 en France l’année dernière, il fallait se montrer présent, agir. Pourtant, en plein Grenelle gouvernemental des violences conjugales, à l’automne 2019, ce n’est pas la majorité qui a déposé le premier texte visant à mettre en place des mesures concrètes issues de ce grand raout. Elle s’est fait couper l’herbe sous le pied par le député Les Républicains du Lot Aurélien Pradié. Elle fut contrainte de soutenir cette proposition de loi émanant d’un jeune ambitieux volontiers dépeint en «poil à gratter». Lui s’assume en «emmerdeur» pour faire avancer la cause.
Dans l’hémicycle, il avait compté, lentement, jusqu’à 117 féminicides à déplorer à ce moment-là, puis égrené les prénoms de ces femmes, comme autant d’ébauches de ces histoires fracassées que Libération raconte chaque mois depuis le 1er janvier 2017. C’est dans sa proposition de loi, adoptée fin décembre 2019 au Parlement, que sont inscrits la généralisation du bracelet antirapprochement, le délai maximal de six jours pour délivrer une ordonnance de protection, l’amélioration de l’accès au «téléphone grave danger», ou encore la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale pour les conjoints condamnés pour un crime à l’égard de l’autre parent. Neuf mois plus tard, après avoir défouraillé contre un gouvernement qu’il accuse de «manque de volonté politique», «d’impuissance», ou encore de «baratin excessif», le député LR vient de conduire une mission de contrôle de l’application de son texte, conjointement avec le député LREM du Val-d’Oise Guillaume Vuilletet. Ont été auditionnés avocats, associations, ainsi que des représentants des ministères de la Justice, du Logement et de l’Egalité entre les femmes et les hommes. Il dresse pour Libération le bilan de ces travaux, conclus mercredi.
Après avoir été promis pour janvier, les premiers bracelets antirapprochement ont enfin été déployés la semaine dernière dans cinq juridictions. Satisfait ?
Chaque semaine perdue relève d’une faute politique. Au bout du compte, on parle de la vie ou la mort de dizaines de femmes. Notre pays a déjà largement fauté avec des lois d’expérimentation qui n’ont débouché sur rien. Aujourd’hui on y est, à ceci près que nous devrions avoir généralisé le bracelet antirapprochement. Or il n’est en vigueur que dans cinq territoires, soit 2 % des juridictions du pays.
La chancellerie promet un élargissement d’ici à la fin de l’année sur tout le territoire…
J’espère que cette promesse sera tenue. Dans les auditions que nous avons menées, la «fin d’année» a commencé à glisser sur le début d’année prochaine, même s’il a été promis que «tout serait fait» pour parvenir à l’objectif. Nous avons pris suffisamment de retard. Par ailleurs, il reste un point de vigilance sur le financement des bracelets : les marchés publics ont été passés pour trois ans, à hauteur de 7,4 millions d’euros par année pleine. Sur ce montant, 4,7 millions proviennent du budget de l’administration pénitentiaire, et 2,7 millions d’euros au titre du Fonds pour la transformation de l’action publique, qui est un fonds précaire. A la fin de cette année, lorsque sera de nouveau débattu le budget de l’Etat au Parlement, je vais donc demander que ces 7,4 millions d’euros soient sanctuarisés dans le budget.
Avez-vous des craintes sur la mise en œuvre de cette mesure ?
Je suis globalement rassuré. Néanmoins, j’ai une interrogation sur la manière dont on va guider les forces de l’ordre vers l’auteur potentiel de violences. Le procédé est le suivant : une femme dispose d’un récepteur, et l’homme d’un bracelet. Deux zones sont déterminées : un périmètre d’alerte, fixé par le magistrat, entre un et dix kilomètres, et un périmètre de «pré-alerte», équivalent au double. Dès lors que l’individu rentre dans le périmètre d’alerte, les forces de l’ordre sont prévenues par le centre de télésurveillance. A cet instant, se dessinent normalement deux niveaux d’intervention : l’une auprès de la victime, pour la protéger dans un délai moyen de cinq minutes, et l’autre pour maîtriser l’auteur potentiel. Je crains qu’il y ait des brigades dans lesquelles on ne puisse faire partir deux équipages en simultané. Par ailleurs, les forces de l’ordre n’ont pas accès au suivi GPS en direct de l’auteur, seuls les téléopérateurs ont ces informations. Or le guidage téléphonique vers une cible mouvante peut s’avérer laborieux, il reste donc un effort technique à fournir.
Des associations ont pointé la nécessité de proposer des plans massifs de formation aux magistrats pour s’assurer qu’ils s’emparent de ce nouvel outil. Avez-vous obtenu des garanties ?
Le bracelet antirapprochement ne doit pas être un gadget qui occulte le chantier profond de réformes que nous avons encore à mener pour protéger les femmes. La vraie révolution culturelle, c’est que ce bracelet pourra être mis en œuvre dès la phase pré-sentencielle [avant une éventuelle condamnation, par exemple lors d’une mise en examen, dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou en complément d’une ordonnance de protection, ndlr]. Au cours des auditions, plusieurs magistrats et avocats se sont montrés hostiles au bracelet, dont ils estiment qu’il s’agit d’un outil trop privatif de libertés pour quelqu’un qui n’est pas condamné. Or le bracelet peut n’être que l’application concrète d’une ordonnance de protection, qui interdit déjà l’accès à certains périmètres. On nous a assuré que des plans de formation sont prévus à destination des magistrats et des policiers et gendarmes. Aujourd’hui, la seule formation obligatoire dispensée aux magistrats l’est dans le cadre de changements d’affectation. Il y a une autre zone de fragilité : en 2010, la France a choisi de fonder la protection d’urgence des femmes sur un outil civil : l’ordonnance de protection.
En quoi est-ce un problème ?
On est en train de poser une charpente de plus en plus solide, notamment avec le bracelet antirapprochement, sur des fondations fragiles. Ce n’est pas dans la culture du juge civil de mettre en place une mesure aussi dure, mais nécessaire, que le bracelet. En Espagne ont été créés dès 2004 des tribunaux dédiés aux violences de genre, qui confèrent au juge pénal des pouvoirs civils, et non l’inverse. En France, on est restés au milieu du gué. Ces juridictions spécialisées, c’est un combat que je souhaite mener, un appel politique que je lance au garde des Sceaux. Il faut finir le travail.
Votre texte visait à réformer ces ordonnances de protection, en imposant qu’elles soient délivrées sous six jours maximum à compter de la fixation de la date d’audience, contre une quarantaine en moyenne actuellement. Délai tenu ?
Les juridictions audiencent désormais les affaires familiales plus souvent, jusqu’à deux fois par semaine, contre une fois par mois pour certaines auparavant. Le choc des six jours, qu’il nous a fallu passer au forceps, démontre à quel point la force de la loi peut transformer les choses. Il semblerait toutefois que certaines juridictions ont tendance à renvoyer leur décision au terme de ce délai de six jours. A Paris par exemple, c’est le cas d’un tiers des dossiers de demandes d’ordonnance de protection.
Dix ans après leur mise en place, la France délivre peu d’ordonnances de protection : en 2018, sur 3 332 saisines, seules 1 672 ont été accordées. Que faire ?
La même année, en Espagne, il en était délivré 40 000 ! Une fois de plus, une juridiction spécialisée serait une porte d’entrée facilitante. Notre pays a encore un travail colossal à faire. Ceci dit, selon la chancellerie, une évolution significative du nombre d’ordonnances demandées a été observée en 2020. Nous avons rappelé clairement dans la loi qu’il n’est pas nécessaire d’avoir déposé plainte pour en bénéficier, ce qui semble avoir un effet très positif. Il n’en reste pas moins qu’en 2018, 10 % des juridictions de France n’avaient jamais délivré une seule de ces ordonnances.
Votre loi prévoit d’aider les victimes qui souhaitent quitter le domicile conjugal à se reloger, via un système de prise en charge de leur caution locative et des premiers mois de loyers. Combien de femmes en ont bénéficié ?
Aucune. L’expérimentation n’a pas encore débuté. Un comité de pilotage aurait dû être mis en place dans les six mois suivant l’adoption du texte. Le gouvernement n’a pas respecté cet article de la loi. Au cours de la mission d’évaluation, le ministère du Logement a fini par assurer que le décret nécessaire à la mise en place de ce comité serait pris d’ici quinze jours. La reconstruction de ces femmes passe d’abord par là : dans nombre de cas de féminicides, le maintien auprès d’un compagnon violent a eu lieu faute de solution de logement. Et les solutions d’hébergement d’urgence sont souvent insuffisantes et inadaptées.
Désormais, l’exercice de l’autorité parentale en cas de crime sur l’autre parent sera suspendu. Combien de décisions de ce type ont été prononcées ?
Il est encore tôt pour avoir des retours. On sait, en revanche, qu’en correctionnelle, les magistrats se prononcent davantage sur la modulation de l’autorité parentale : on est passés de neuf décisions de retrait par mois sur tout le territoire avant la loi à 31 aujourd’hui.
Généralisé en 2013, le téléphone grave danger (TGD) a longtemps été sous-utilisé. Désormais, victimes et avocats peuvent le demander directement, sans avoir besoin de passer par une association. Est-il mieux employé ?
Oui. Préciser le circuit de son attribution, et notamment rappeler qu’il n’est pas conditionné à un dépôt de plainte, a facilité les choses. Il n’est plus nécessaire non plus que les deux membres du couple aient rompu tout contact pour en bénéficier. Selon le ministère de la Justice, en janvier, 1 153 TGD étaient en service, dont 793 attribués. En septembre, 1 560 TGD étaient en service, dont 1 153 attribués. Je me méfie des déclarations politiques tonitruantes sur l’augmentation du nombre de TGD en service. Ce qui compte, c’est qu’ils soient attribués.
Votre loi exigeait du gouvernement qu’il remette dans les trois mois au Parlement un rapport sur la faisabilité de développement d’une appli grand public pour signaler un danger imminent. Où en est-on ?
J’ai écrit au ministère de l’Intérieur, de la Justice, ainsi qu’au président de l’Assemblée. Aucune réponse. En audition, nous avons exigé que ce rapport soit rendu d’ici à la fin de l’année, dans le respect de la loi. Il faut que l’Etat certifie un ou plusieurs de ces outils, pour livrer des informations fiables aux femmes, sans les mettre en danger. Pour une femme sous emprise, accepter d’aller chercher de l’information, donc de se poser des questions, peut être très difficile. Lorsqu’elles sont bien faites, ces applis peuvent les amener à une prise de conscience. Il faut souvent des mois pour rompre avec un compagnon violent, déposer plainte. Pendant ce temps, elles endurent des violences. Lorsqu’elles déposent plainte ou qu’elles demandent une ordonnance de protection, ce qui peut faire la différence dans la procédure, c’est de pouvoir raconter. Avoir consigné les coups, les privations, les insultes dans une application cachée sur leur smartphone peut les aider.
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