Question posée par Jack le 15/09/2020

Difficile d’être davantage à contre-courant. Alors que les autorités sanitaires alertent depuis des semaines sur le regain épidémique, et que des mesures supplémentaires viennent d’être prises, notamment à Paris et dans les Bouches-du-Rhône, Laurent Toubiana, chef de file du camp des «rassuristes», continue d’affirmer, sur de nombreux plateaux télé ou radios, que l’épidémie de Covid-19 touche à sa fin. Et sur un ton très tranché: «Le flot de bêtises qu’on entend à longueur de journée est insupportable […]»tonnait l’épidémiologiste de l’Inserm sur Radio Classique, le 19 septembre. Sa thèse : «ça crève les yeux, le virus ne circule pas». Le virus ne circule pas, voire il régresse. L’épidémie «a eu son histoire naturelle», a touché ceux qu’elle «devait toucher», et ne provoque désormais plus de malades, et encore moins de décès. Quant au confinement, il n’aurait pas permis aux pays qui y ont eu recours de s’en sortir mieux que les autres, et aurait peut-être même aggravé la situation. Petit tour des principales positions défendues par ce chercheur (1), et de ses réponses face aux éléments qui les contredisent.

«Une partie énorme de la population a déjà été exposée»

C’est le préalable à sa théorie selon laquelle il n’y a aucune raison de craindre une seconde vague dans les semaines à venir : le virus a déjà «touché une grande partie de la population qu’il devait toucher au moment de la première vague, c’est-à-dire entre mars et mai», expliquait le scientifique sur Radio Classique. Autrement dit, «une partie énorme de la population a été exposée à ce virus, et a fait une forme faible, voire asymptomatique. Ces gens-là […], ils ont une utilité tout de même : ils forment une espèce de barrière».

S’il est difficile de déterminer la part de la population confrontée au Sars-Cov-2 lors de la première vague, les rares études ou projections qui s’y sont essayées ne vont, a priori, pas dans le sens de Laurent Toubiana. L’évaluation rétrospective réalisée par l’institut Pasteur, sur la base des hospitalisations et des décès, considère que seuls 3,5 millions de personnes ont rencontré le virus à la date du déconfinement, le 11 mai, soit 5,3% de la population française (11,9% en Ile-de-France et 10,9% dans le Grand Est). Les projections de l’équipe «Evolution théorique et expérimentale» (CNRS, IRD, université de Montpellier) sont encore plus faibles, évoquant deux millions de personnes seulement, soit 3,2% de la population.

Des estimations ont également été réalisées sur la base d’enquêtes de séroprévalence, c’est-à-dire de recherche d’anticorps contre le Sars-Cov-2. La dernière en date, conduite du 4 mai au 24 juin par l’Inserm, a été publiée le 18 septembre sur le site Medrxiv. Elle conclue à la présence d’anticorps chez 10% de la population d’Ile-de-France, 9% du Grand Est et seulement 3% de Nouvelle-Aquitaine.

Interrogé par CheckNews sur ces chiffres, Laurent Toubiana ne les considère pas contradictoires avec sa thèse, et explique parler d’une autre forme d’«exposition» «Quand je dis que la très grande majorité de la population a déjà rencontré le virus, c’est sans déclencher le système immunitaire secondaire, donc sans que cela soit visible, par exemple, dans les études de séroprévalence.» Pour ces millions de personnes – sur qui «le virus a glissé» – seule l’immunité primaire, la toute première barrière située dans la partie ORL, aurait été sollicitée, mais sans laisser de traces.

Il y aurait eu, in fine, «deux millions de formes cliniques, un peu comme pour la grippe chaque année», et que l’on retrouverait dans les études sérologiques, tandis que les autres auraient été confrontés au sars-Cov-2, mais de façon «invisible», donc. Soit une catégorie de la population que l’épidémie ne touche pas. «C’est pareil pour toutes les épidémies», insiste Laurent Toubiana, toutes les personnes ne sont pas «susceptibles». Avec des «gens pour lesquels le virus n’est pas actif, qui peuvent être exposés mais qui ne réagissent pas».

Impossible, cependant, d’en évaluer le nombre, selon lui. Mais une chose est sûre, «le virus circulait depuis longtemps en France. Il faisait des formes assez peu graves en majorité, dont une partie a été comptabilisée comme grippe», affirme-t-il. Une position là aussi à contre-courant de certains de ses collègues, comme le biologiste et chercheur au CNRS Samuel Alizon qui, en dehors de quelques cas potentiels sans conséquence à l’automne 2019, ne croit pas à une introduction déterminante du virus en France avant la deuxième partie de janvier.

La thèse selon laquelle la population française a déjà été massivement confrontée au virus suppose aussi une propagation homogène dans le pays… alors que de nombreux indices suggèrent au contraire une diffusion variable selon les territoires. Selon les données hospitalières (entrées en réanimation, décès…), certaines régions, comme la Nouvelle-Aquitaine ou la Bretagne, ont été quasi épargnées lors de la première vague, quand d’autres comme l’Ile-de-France ou le Grand Est ont été violemment touchées. Toubiana réfute l’argument, sans donner toutefois d’explication : «les régions ont été exposées, a priori, de la même manière. Une partie de la population parisienne alors très touchée est même allée dans ces régions au moment du confinement. Certes, l’incidence des "formes graves" était plus faible… Et je n’ai pas d’explication. Si ces régions avaient été moins touchées, lors du déconfinement, j’ai craint que ces régions "repartent", signe d’une moindre contamination. Mais tel n’a pas été le cas.»

Le nombre de nouveaux cas stagne ou «décroît»

Autre preuve qu’il n’y aura pas de seconde vague, selon Laurent Toubiana : la courbe des nouveaux cas stagne, voire régresse. Le virus ne circule plus, répète-t-il, dénonçant la thèse d’une hausse exponentielle, portée par certains de ses pairs ou journalistes. Quitte à baser parfois sa démonstration sur des données douteuses. Sur RT-France, le 10 septembre, il expliquait ainsi : «Ce nombre de cas, on nous le donne toujours lorsqu’il est important, mais lorsqu’il n’est pas important, par exemple il y a trois jours (il s’interrompt, ndlr)… Le nombre qu’on donne aujourd’hui, c’est 8 577, il y a quatre jours, c’était 3 287. Pourquoi on ne nous a pas donné ce chiffre-là ? Il y a trois jours, il était à 1 239. Pourquoi ne nous a-t-on pas prévenus qu’il n’y avait pas une croissance exponentielle, mais au contraire que la courbe avait descendu ? Donc vous voyez, depuis trois semaines on nous dit que la croissance est exponentielle. Une exponentielle, c’est une courbe monotone croissante, là elle décroît.»

Mais Laurent Toubiana omet de dire que les chiffres cités, ceux du 5 et du 6 septembre, correspondent, respectivement, à un samedi et à un dimanche. Or depuis de nombreuses semaines déjà, un effondrement des résultats est observé le week-end. La raison en est simple, et n’a rien à voir avec le recul de l’épidémie : le samedi, certains labos privés sont fermés, et ne font donc pas de tests. Pire encore pour le dimanche, où la quasi-totalité des labos privés tirent le rideau.

Il suffit ainsi d’observer le suivi des cas (graphique ci-dessous) pour constater le même recul chaque week-end. Et si on neutralise ces à-coups statistiques en effectuant la moyenne sur sept jours (ligne rouge), on constate bien une augmentation tendancielle de nouveaux cas. Même si celle-ci est liée, mais en partie seulement, à l’augmentation du nombre de tests.

Ce qui est vrai, en revanche, c’est que cette hausse ralentit. Ainsi, le temps de doublement de l’épidémie, c’est-à-dire le temps de doublement du nombre de nouveaux cas quotidiens, est passé de 10 jours le 21 août à 20 jours le 15 septembre (il était de 3 ou 4 jours lors de la première vague).

Auprès de CheckNews, Laurent Toubiana concède qu’il existe une augmentation mais la juge non préoccupante, car «extrêmement faible» : «Quand vous passez de 10 à 20, par exemple, vous augmentez de 100%, mais vous restez sur des données très basses». Si l’épidémie n’était pas derrière nous, estime-t-il, «on assisterait alors à une explosion du nombre de contaminations, ce qui n’est pas du tout ce que l’on observe».

Grâce au masque et aux gestes barrières, peut-être ? «Non. Lier les deux est une erreur de logique. Ce n’est pas parce que deux choses se passent en même temps que l’une est la cause de l’autre. Ce n’est pas parce que mettez en place des mesures que la deuxième vague n’arrive pas». Mais bien, encore une fois, «parce que l’épidémie est derrière nous». Dans sa logique, il ne faut d’ailleurs «protéger que les personnes à risque, et laisser vivre normalement celles qui ne risquent rien, avec les précautions d’hygiène élémentaires».

97% des gens testés sont négatifs, «une République bananière»

Autre «raison», selon Toubiana, qui explique que le virus «ne circule pas»: «Lorsqu’on prend un échantillon de 7,5 millions de gens et qu’on obtient 97% de gens négatifs: pour moi, globalement, ça veut dire que le virus ne circule pas. Les 3% restants sont de l’ordre de l’erreur. Donc quand vous faites un sondage et que quelqu’un obtient 97% des suffrages, on vous dit que vous êtes dans une République bannière, on ne peut pas y croire».

Laurent Toubiana fait ici référence au taux de positivité, c’est-à-dire au pourcentage de tests positifs par rapport au nombre de tests réalisés, et ce, sur un nombre cumulé de tests sur les dernières semaines (7,5 millions de diagnostics). Et effectivement, une immense majorité des tests réalisés sont actuellement négatifs. Ce chiffre n’est pas forcément étonnant, dans la mesure où le virus, même s’il reprend de la vigueur, ne circule évidemment pas dans les mêmes proportions qu’en février-mars, comme nous l’avons déjà expliqué dans un précédent article. Alors que les contaminations se comptent aujourd’hui en milliers par jour, elles se dénombraient, au moment du pic de la mi-mars (c’est-à-dire avant le confinement), en centaines de milliers, selon certaines projections.

Le nombre et le profil des personnes diagnostiquées actuellement n’ont, par ailleurs, rien à voir avec ceux de la première phase de l’épidémie. Réalisés à hauteur de seulement quelques milliers par semaine à l’époque, les tests étaient de surcroît réservés aux personnes symptomatiques ou aux soignants, ce qui faisait bondir le taux de positivité (45% par exemple le 22 mars). De plus d’un million par semaine, ils sont aujourd’hui ouverts à tous, et notamment aux personnes sans symptômes (65% des personnes testées du 7 au 13 septembre). Ce qui, mathématiquement, fait chuter le taux de positivité.

Le taux de positivité, surtout, n’est pas figé. Il progresse d’un jour à l’autre, en fonction de l’évolution de l’épidémie. Les personnes négatives une semaine peuvent devenir positives la semaine suivante. Ainsi, et même s’il est encore à un niveau faible, ce taux est déjà passé de 1,1% (point bas du 7 au 13 juillet) à 6,9% du 16 au 22 septembre. Là encore, cette progression, étant donné la faiblesse du taux en valeur absolue, n’est «absolument pas préoccupante», selon lui.

Les nouveaux positifs «ne sont pas des gens malades»

C’est un autre argument de ce «rassuriste» : non seulement les nouveaux cas positifs seraient rares, mais ils ne seraient pas malades non plus: «il ne s’agit pas de nouveaux cas, il s’agit de nouveaux individus testés positifs. Ces nouveaux individus testés positifs ne sont pas des gens malades, ce sont simplement des gens qui ont une trace du virus». Laurent Toubiana fait ici référence au fait qu’un test RT-TCR, comme nous l’expliquions dans une prédécente réponse, ne permet pas forcément de savoir si le virus est vivant ou mort, ni même si les personnes testées positives sont encore contagieuses.

S’il est vrai que certaines personnes ne sont peut-être plus contagieuses ou malades lorsqu’elles obtiennent un résultat RT-PCR positif, rien ne permet toutefois de conclure à un phénomène général, comme le fait Toubiana, en déclarant que «les nouveaux individus testés positifs ne sont pas des gens malades»

La hausse du nombre de nouveaux cas, depuis cet été, a bien été suivie, après un temps de décalage, par une hausse − certes moins importante mais cependant bien réelle − du nombre de nouvelles personnes hospitalisées ou entrées en réanimation. Donc de personnes tombées malades.

Ainsi, entre le 1er et le 22 août, le nombre de nouveaux cas quotidiens est passé, en moyenne sur 7 jours, de 1100 à 3900, soit une multiplication par 3,5.

Or trois semaines plus tard, à compter du 22 août et pendant les trois semaines suivantes, le nombre d’hospitalisations, toujours en moyenne quotidienne sur sept jours, va bien progresser, même si c’est de manière plus modeste (de 155 à 347, soit une multiplication par 2,2). Ces derniers jours, les hospitalisations quotidiennes atteignent même le demi-millier.

Les entrées en réanimation, de leur côté, ont progressé de 24 à 60 par jour (en moyenne sur 7 jours), entre le 22 août et le 12 septembre, soit une multiplication par 2,5. Et atteignent désormais plus de 80 par jour.

A noter que pour appuyer sa thèse d’une absence de malades, il arrive également à Laurent Toubiana de produire parfois des données de manière trompeuse. Dans cette autre émission de RT-France (à partir de 13’50), diffusée le 24 août, le scientifique brandit un graphique (ci-dessous), avec ce commentaire : « quand vous voyez ici la courbe en rouge, c’est la courbe des malades… Et ce que l’on voit ici en face [il montre la partie droite de la courbe rouge, ndlr], eh bien, c’est qu’il n’y a pas de malade».

Problème, le graphique rouge n’est pas celui des malades, mais celui des décès, qui à l’époque n’augmentaient guère. Les courbes des hospitalisations quotidiennes ou des entrées en réanimations, comme on l’a vu plus haut, ne sont pas plates.

Interrogé sur la hausse des hospitalisations, Laurent Toubiana répond de la même manière que pour les cas positifs, ou le taux de positivité : les chiffres sont trop faibles pour être significatifs, ils sont les «cas sporadiques» qu’on trouve toujours dans les queues d’épidémie : «Quand vous rapportez le nombre de gens hospitalisés au nombre total de gens testés, vous arrivez à 99,7% de gens qui sont soit négatifs soit en dehors de l’hôpital ! ». Et sur les 2 millions de personnes ayant présenté des signes cliniquedepuis le début de l’épidémie, «seules 100 000 ont été, à un moment ou à un autre, hospitalisées». Bref, «cette épidémie n’est pas grave ! »

Une épidémie sans morts

Peu de malades, donc, et pas de mort non plus, ou quasi plus, pour Laurent Toubiana, qui l’expliquait sur LCI le 11 septembre (à 12’29)«Qu’est-ce qu’une épidémie ? Une épidémie ça fait des morts et des malades graves, c’est ça, sinon une épidémie de rhume, excusez-moi, […] pour moi c’est pas grave». Sur RT-France, même chose : «Nous sommes face à une épidémie où il y a des gens porteurs, asymptomatiques, mais il n’y a pas de malades, il n’y a pas de mort. Donc une épidémie sans malade et sans morts, c’est un petit peu compliqué à comprendre, mais en tout cas ça fait très très peur».

Pas de morts lors de cette nouvelle phase de l’épidémie, commencée au milieu de l’été ? Le nombre de décès durant cette nouvelle période est effectivement faible, d’autant plus que la moyenne sur 7 jours (ligne rouge), est influencée par un «accident» le 18 septembre: ce jour-là, un hôpital francilien, qui avait oublié pendant plusieurs semaines de remonter ses données, a rajouté d’un coup plusieurs décès dans les statistiques.

Reste que malgré ce bug et un niveau de décès, en valeur absolue, très inférieur à la première vague, la tendance est bien à la hausse, même légère. Par ailleurs, outre le décalage temporel des décès par rapport aux infections (trois semaines à un mois), la moindre mortalité s’expliquerait aussi par les progrès que les médecins ont fait dans la prise en charge des patients atteints par le nouveau coronavirus. «Nous n’avons toujours pas d’antiviraux efficaces contre le Covid-19. En revanche, on a appris depuis mars/avril. On sait désormais quand et quel corticoïde donner. On a un petit arsenal de molécules qui permet d’amoindrir les signes cliniques et une meilleure stratégie en réanimation, expliquait Bruno Lina, professeur en virologie à l’université Lyon-1, dans une précédente réponseTout ceci permet de faire diminuer la mortalité : un patient qui aujourd’hui entre en réanimation a un pronostic de survie nettement meilleur qu’en mars. Et ce changement, on l’observe déjà depuis la fin mai.»

Le confinement a été inutile, la preuve par la Suède

En plus de contester les mesures prises face à la menace d’une seconde vague, et la réalité de cette dernière, Laurent Toubiana va aussi frontalement à l’encontre de l’avis majoritaire en relativisant, voire démentant, l’efficacité du confinement. Dans la même émission sur RT-France (à partir de 26'), il expliquait: «On s’aperçoit que cette épidémie se propage exactement de la même manière partout, et notamment, une chose très remarquable, [elle se propage] indépendamment des mesures prises. […] Lorsque l’on regarde […] ce qu’il s’est passé pour la Suède − parce que la Suède est un exemple incroyable: tout le monde avait choisi le confinement, la Suède ne l’a pas choisi. Eh bien on s’aperçoit que la dynamique de la courbe de mortalité [de la Suède] est rigoureusement la même que partout ailleurs». Le confinement, selon lui, aurait même aggravé les choses, en «favorisant les contaminations intrafamiliales».

Premier point : l’épidémie ne s’est pas du tout propagée de la même manière partout. Alors qu’elle a déjà fait 952 morts par million d’habitants au Pérou (pays le plus endeuillé pour l’instant, en termes de morts par million d'habitants), elle n’en a provoqué que 8 par million d’habitants en Corée du Sud, soit 119 fois moins. Et pour cause : la Corée du Sud, échaudée par le Sras de 2003, avait très vite pris des mesures de prévention quand le Sars-Cov-2 a émergé chez son voisin chinois. Et à l’intérieur même des Etats, la propagation du virus a été hétérogène. Pour reprendre l’exemple de la France, le Sars-cov-2 n’aurait infecté que 3% des habitants de Nouvelle-Aquitaine, contre 10% de ceux d’Ile-de-France.

Quant à la Suède, si elle n’a pas connu de confinement strict comme la France, elle n’en a pas moins réduit drastiquement ses contacts sociaux. «La Suède a confiné, mais de manière participative, en faisant confiance à sa population, expliquait ainsi l’épidémiologiste Antoine Flahault, dans cette même émission. Parce que la population suédoise est une population qui a un très haut niveau de santé publique. […] La Suède a confiance en son gouvernement et quand son gouvernement dit "restez à la maison", les Suédois restent à la maison.»

Mais sa mortalité, surtout, n’est pas du tout «rigoureusement la même que partout ailleurs». Elle affiche ainsi le pire taux de mortalité des pays scandinaves, avec 580 morts par million d’habitants, quand la Norvège a connu 49 morts par million d’habitants et la Finlande, 62. Soit près de dix fois plus que ces pays qui ont eu un confinement plus strict. L’Hexagone, de son côté, affiche 480 morts par million d’habitants.

Ajoutons que pour la France, l’examen des courbes des données hospitalières suggère un effet immédiat du confinement, puisqu’elles chutent fortement après la mi-mars (quinze jours après pour les hospitalisations, trois semaines pour les décès). Mais le lien entre les mesures de lutte contre la propagation de l’épidémie et la chute de cette dernière relève d’une erreur d’interprétation, pour Laurent Toubiana : «Si le confinement avait été efficace, alors dix jours après sa mise en place, la chute de l’épidémie, que l’on pouvait voir par exemple au travers des hospitalisations, aurait été radicale. Or, la baisse a été beaucoup plus progressive. C’est l’épidémie qui terminait son histoire, mais de façon naturelle». Ce qui renvoie à son postulat de départ, selon lequel les gens qui devaient être touchés par le virus l’avaient déjà été dès la mi-mars.

Interrogé, enfin, sur son isolement par rapport à ses pairs, qui dressent pour la plupart un diagnostic radicalement inverse, l’homme dénonce la «facilité» de ce discours majoritaire : «les alarmistes ne prennent pas de risques. Si ce qu’ils ont prévu se produit, ils peuvent dire "je vous l’avais bien dit". Et si ça ne se produit pas, ils disent que c’est grâce aux mesures prises. Il n’y a aucun risque à être alarmiste, on gagne à tous les coups. Moi, à l’inverse, comme tous ceux qui portent une parole positive, j’en prends beaucoup» 

(1) Docteur en physique, chercheur à l’Inserm, où il dirige l’équipe SCEPID (Système Complexes et Epidémiologie) au sein du LIMICS (Laboratoire d’informatique Médicale et d’Ingénierie des Connaissances).