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mercredi 23 septembre 2020

Pour les professionnels de santé, faire un signalement judiciaire est un dilemme et parfois un danger

 

Morgane Nauwelaers, psychologue de 33 ans, a été tuée en Haute-Savoie par un homme qu’elle s’apprêtait à signaler à la justice.

Par  Publié le 22 septembre 2020

A la cour d’appel de Rennes, le 14 mai.

Une marche blanche aura lieu jeudi 24 septembre, à Annecy, en mémoire de Morgane Nauwelaers, tuée d’une balle dans la tête le 26 août. Diplômée en 2010 de l’Ecole de psychologues praticiens, cette psychologue de 33 ans exerçait dans la ville de Haute-Savoie, dans un cabinet qu’elle partageait avec son conjoint. Le couple avait un bébé de 18 mois.

Mercredi 26 août, vers 11 heures, alors qu’elle est en pleine consultation, un homme armé d’un fusil de chasse fait irruption dans son cabinet. Il a 75 ans et vient de la ville voisine de Chambéry. Il n’est pas un patient de Morgane Nauwelaers, mais cette dernière a eu connaissance de « faits de nature sexuelle commis par le septuagénaire sur mineure de 15 ans dans le cadre familial », explique la procureure d’Annecy, Véronique Denizot.

La psychologue s’apprête à signaler ces agissements aux autorités. Elle n’en aura pas le temps : à peine entré, le septuagénaire lui tire dessus, avant de s’enfuir. Il est rapidement interpellé dans le parking d’un centre commercial. Grièvement blessée, Morgane Nauwelaers décède quelques heures plus tard à l’hôpital d’Annecy.

Le tireur, qui n’a aucun antécédent judiciaire, « reconnaît la préméditation. Il dit qu’il a voulu récupérer les éléments en lien avec les révélations faites à la psychologue, mais nie l’intention de tuer », précise au Monde la procureure, qui salue le courage de Morgane Nauwelaers : « Professionnellement, éthiquement, elle a fait ce qu’elle devait faire dans un cadre professionnel. Elle a coché toutes les cases qu’il faut pour protéger une mineure. » Un professionnalisme qui lui a coûté la vie.

Secret professionnel

L’histoire a choqué toute la profession. « Ce triste et terrible événement nous rappelle combien la profession (…) est aussi exposée à des actes de violence », notait dans un communiqué, le 27 août, le Syndicat national des psychologues. « C’est une obligation déontologique et désormais au niveau du code pénal, on doit dénoncer tout risque de crime pouvant être commis, sachant que c’est quelque chose qu’il faut parvenir à faire sans se mettre en danger. Mais on ne mesure pas toujours le danger », regrette Jacques Borgy, secrétaire de la commission déontologie du Syndicat national des psychologues et lui-même psychologue en libéral.

Les psychologues, comme la plupart des professionnels de santé, sont soumis au secret professionnel par l’article 226-13 du code pénal. Mais ce secret professionnel doit être levé dans certains cas, notamment les « atteintes ou mutilations sexuelles (…) infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ».

Depuis juillet, cette exception a été étendue aux « violences exercées au sein du couple », si elles « mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences ».

Si la loi recommande d’obtenir l’accord de la victime, le signalement doit être fait, même si cette dernière ne le souhaite pas. « Il ne s’agit pas de dévoiler des informations secrètes, mais de prendre soin de quelqu’un, c’est déontologiquement obligatoire », insiste M. Borgy. Mais il reconnaît le danger que peut représenter un signalement, d’autant plus pour un praticien isolé dans un cabinet de ville : « Le risque zéro n’existe pas, à partir du moment où l’on reçoit une victime de quelqu’un de violent, cette violence existe et peut se retourner contre le thérapeute. »

« Il faudrait un système discret »

Pour le médecin-psychiatre Maurice Bensoussan, président du Syndicat des psychiatres français, « le signalement est un risque » et ces situations sont par essence « complexes, difficiles » : « On s’efforce d’obtenir l’adhésion ou l’accord du jeune ou des familles, mais ce n’est pas toujours possible. »

Au-delà de l’obligation légale, le praticien doit parvenir à établir la réalité des faits, leur gravité, la nécessité d’une action judiciaire. « Souvent, les soignants recueillent des confidences. Vous imaginez la complexité qu’il y a à trahir une parole reçue sous le sceau du secret. On est tout seul face à une décision qui n’est pas sans conséquences », poursuit M. Bensoussan.

Au-delà des psychologues et des psychiatres, les médecins sont également confrontés à la question, particulièrement pour les cas de violences conjugales, confirme le docteur Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux : « Lorsque le conjoint est violent, alcoolique, souffre de troubles divers, si la police ou la justice va voir cette personne suite à un signalement et ne l’incarcère pas, il y a un grand risque de la voir arriver au cabinet pour se venger. »

Comment mieux protéger les soignants qui opèrent un signalement judiciaire ? S’agissant des mineurs, depuis 2007, ont été mises en place des cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (CRIP), chargées de rassembler les signalements, et qui peuvent saisir le parquet le cas échéant. Mais si la discrétion est recommandée, surtout vis-à-vis de l’auteur présumé des faits délictueux, elle est en pratique difficile à garantir. L’anonymat est « vite éventé dans un cadre familial », note Maurice Bensoussan. « Il faudrait un système discret, pouvoir prévenir les associations, plutôt que la police », estime M. Vermesch.

La tragédie d’Annecy doit servir de leçon, estiment ces professionnels. « Il y a une réflexion à engager sur la manière de mieux protéger les soignants, pour ne pas les transformer en simples auxiliaires de police », estime M. Bensoussan.


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