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mercredi 23 septembre 2020

Le Syndicat de la magistrature s'inquiète de la "surpénalisation" de la maladie mentale

Caroline Cordier  Publié le 14/09/2020


Alors que le Gouvernement étudie une éventuelle réforme du dispositif d'irresponsabilité pénale, le Syndicat de la magistrature s'alarme, étude récente à l'appui, d'une "surpénalisation" pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques.

Lors du congrès* annuel de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), une table ronde a réuni le 11 septembre des représentants des magistrats, avocats, usagers de la psychiatrie et des psychiatres afin d'évoquer différentes problématiques actuelles liées aux restrictions des droits des personnes souffrant de troubles psychiques. À cette occasion, la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, Sarah Massoud, a notamment abordé la question de l'irresponsabilité pénale pour trouble mental, sur laquelle se penche actuellement une mission ministérielle (lire l'encadré). Auditionné tout récemment par cette mission, le syndicat — classé à gauche — a notamment évoqué une étude commandée par le ministère qui illustre la "surpénalisation" de la maladie mentale.

Impact de la notion de dangerosité

En préambule, la secrétaire nationale a précisé qu'elle est aussi — outre ses activités syndicales — juge des libertés et de la détention (JLD) au tribunal judiciaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis) après avoir été juge d'instruction. "Et avant, j'étais au parquet donc j'ai plutôt une formation pénaliste", a souligné Sarah Massoud. qui a parlé pour cette partie de son allocution "sous sa casquette de pénaliste et non de JLD". Depuis plusieurs années, un problème est "très préoccupant" aux yeux du syndicat, celui de "l'impact des logiques sécuritaires et des législations répressives sur les rapports entre justice et psychiatrie".

Plusieurs missions en parallèle

Annoncée en février 2020 lors d'un débat au Sénat par la ministre de la Justice de l'époque, Nicole Belloubet, une mission sur l'irresponsabilité pénale a été officiellement mise en place en juin dernier. Le ministère a annoncé en juin que leurs conclusions sont attendues "pour le mois de novembre prochain" mais la mission aurait pris quelque retard. Ces travaux s'inscrivent dans un contexte très sensible où, sur fond de différents faits divers largement médiatisés, des parlementaires ont interpellé à plusieurs reprises le Gouvernement pour appeler à une réforme. Par ailleurs, des travaux communs aux commissions des lois et des affaires sociales du Sénat ont été engagés à l'été 2019 sur l'expertise psychiatrique pénale. Leurs conclusions sont toujours attendues à ce jour.

C'est un mouvement "particulièrement saillant ces dernières années", a-t-elle poursuivi. Certains parlent de pénalisation de la santé mentale, "nous sommes au syndicat davantage sur un constat de "surpénalisation" de la maladie mentale". Elle a évoqué le développement d'un droit pénal du danger qui s'autonomise de plus en plus. "La notion de dangerosité vient percuter nos pratiques professionnelles, nous magistrats, mais aussi celles des experts psychiatres [...] de façon extrêmement violente", a confié Sarah Massoud.

Experts-psychiatres "en première ligne"

La magistrate a souligné que les experts psychiatres se retrouvent en première ligne, parce qu'ils "sont enjoints de manière de plus en plus précise, à maîtriser [une sorte] d'art divinatoire, qui est l'évaluation du risque de la récidive". Un climat qui vient jouer au détriment de la liberté des malades. "On est alors dans une logique d'enfermement et donc dans une logique de surincarcération des malades mentaux", a insisté Sarah Massoud, avant de rappeler la publication de travaux récents du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) montrant que le nombre de détenus souffrant de troubles psychiatriques est en "très forte hausse" ces dernières années.

Pour illustrer la montée en puissance de ce "droit pénal du danger", la magistrate a développé plusieurs exemples. Elle a notamment évoqué une étude officielle, commandée par le ministère de la Justice, qui analyse des cas empiriques sur une dizaine d'années. Cette étude met en évidence, à travers l'analyse de plusieurs dossiers — principalement criminels —, une évolution dans l'évaluation de cette notion de dangerosité, tant de la part des magistrats que des experts-psychiatres, a développé Sarah Massoud.

Sujet "qui va revenir dans le débat public"

Et ces "biais" ont conduit ces cinq dernières années "de manière exponentielle, à réduire complètement le champ de l'irresponsabilité pour cause de trouble mental". Aujourd'hui, a assuré Sarah Massoud, au regard de cette étude, il n'y a "quasiment plus de décisions d'abolition du discernement et très peu de décisions d'altération du discernement" qui conduisent à une relaxe ou un non-lieu et à l'hospitalisation sans consentement de l'auteur des faits plutôt qu'à l'emprisonnement. Il s'agit là d'une évolution "extrêmement inquiétante", a-t-elle insisté.

Les velléités politiques récentes de faire évoluer la procédure d'irresponsabilité, à la suite de "l'affaire Halimi" (lire notre article) sont l'écho d'un "populisme pénal très en vogue", a estimé la magistrate. Mais les conclusions de la mission ministérielle pourraient entraîner à l'avenir de nouvelles règles, qui concerneront potentiellement les experts-psychiatres : "C'est un sujet qui va revenir dans le débat public début 2021." Sur les causes de cette tendance à la "surpénalisation" analysées dans l'étude, Sarah Massoud a indiqué que certains experts ne se risquent plus à conclure à des abolitions-altérations en passant par des "stratégies de contournement", notamment par "des diagnostics composites" pour éviter d'en arriver à ces conclusions.
Une très forte tendance [consiste à] pénaliser [...] les "mauvais malades" qui n'auraient pas pris leur traitement"
Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature
L'étude signalerait aussi une "très forte tendance" en justice, celle de pénaliser les "mauvais comportements", c'est-à-dire les "mauvais malades" qui n'auraient pas pris leur traitement, alors que l’arrêt d’un traitement est motivé par un ensemble d’éléments complexes dont certains sont directement liés à la maladie, rappellent les psychiatres. Enfin, il existe aussi "une déviance" chez les juges assez expérimentés, a souligné Sarah Massoud, celle d'une tendance à choisir leur expert en fonction de la connaissance de "leur obédience", à savoir "s'il sont plutôt pro-irresponsabilité ou non". Une autre "tendance forte" chez les juges serait d'ordonner des contre-expertises lors qu'un premier expert conclut à l'abolition du discernement. Et Sarah Massoud de commenter : "Comme s'il fallait forcément contrebalancer la conclusion d'irresponsabilité, alors qu'a contrario [les juges n'ordonneraient pas] pas de nouvelle expertise lorsque l'expert a conclu à une "simple" altération."
* Ce congrès a été organisé du 11 au 13 septembre à Paris par l'Union syndicale de la psychiatrie (USP) sur le thème "La psychiatrie d'après".

 


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