Le bracelet est disponible dans cinq juridictions.
Photo Renaud Bouchez. Signatures
Neuf mois après l’adoption du projet de loi visant à protéger les personnes menacées, un millier d’outils de surveillance électroniques vont être déployés dès ce vendredi.
C’est l’une des mesures phares du grenelle des violences conjugales, organisé à l’automne dernier par le gouvernement. Neuf mois après avoir été validés par le Parlement, les bracelets électroniques antirapprochement (BAR), à destination des conjoints ou anciens conjoints violents, vont enfin pouvoir être déployés dès ce vendredi dans l’Hexagone. Un millier de ces bracelets sont d’ores et déjà disponibles, dans cinq juridictions d’abord : Aix-en-Provence, Douai, Bobigny, Angoulême et Pontoise.
Le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, s’est rendu jeudi au tribunal judiciaire de Pontoise (Val-d’Oise), qui réclamait depuis près de dix-huit mois d’être équipé. «D’ici à la fin de l’année, toutes les juridictions seront en mesure d’appliquer cette mesure visant à garder à l’écart le conjoint», a promis jeudi la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno. Selon le ministère de la Justice, le coût de la mesure est évalué à 3 millions d’euros pour 2020, et 7,4 millions pour 2021. L’objectif est clair : réduire le nombre de féminicides conjugaux sur le territoire. Selon les dernières statistiques gouvernementales, publiées en août, 146 femmes ont été tuées par leur conjoint ou leur ex en 2019.
Protection
Les bracelets antirapprochement sont destinés à éviter qu’un certain périmètre géographique ne soit franchi entre une femme victime de violences et l’auteur de celles-ci. Plusieurs cas de figure sont prévus par la loi : au pénal, avant une possible condamnation, un magistrat peut ordonner qu’un homme mis en examen et faisant l’objet d’un contrôle judiciaire jusqu’à son procès soit équipé d’un bracelet ; le port du dispositif peut aussi être prononcé dans le cadre d’une condamnation ou d’un aménagement de peine, pour six mois renouvelables trois fois maximum.
Enfin, au civil, un juge aux affaires familiales pourra lui aussi proposer un bracelet antirapprochement dans le cadre d’une ordonnance de protection, pour six mois maximum, éventuellement renouvelable si une procédure de divorce ou un contentieux autour de la garde des enfants est en cours. Différence majeure : dans le cadre d’une procédure civile, le consentement des deux parties est nécessaire pour que soit mise en place la mesure, afin d’éviter tout risque d’inconstitutionnalité, puisqu’il ne s’agit pas d’une condamnation mais d’une mesure de protection. «Il s’agit d’une révolution intellectuelle, presque matricielle. On passe d’une logique de sanction à une logique de protection», expliquait à Libération le 4 septembre Gwenola Joly-Coz, présidente du tribunal judiciaire de Pontoise.
A chaque fois qu’un magistrat décide d’imposer un bracelet antirapprochement, il définit un périmètre que l’auteur de violences ne peut franchir autour de sa victime, compris entre 1 et 10 kilomètres, ainsi qu’une «zone tampon», équivalente au double de distance. La victime se voit ensuite remettre, au bureau d’aide aux victimes du tribunal et par une association agréée, un boîtier semblable à un gros téléphone portable. Il permet de la géolocaliser, via une technologie GPS qui s’appuie sur les réseaux de l’ensemble des opérateurs, pour réduire tout risque de dysfonctionnement en zone blanche. Son conjoint, lui, est équipé par les services pénitentiaires d’insertion et de probation d’un anneau posé à sa cheville et d’un boîtier de géolocalisation qu’il doit toujours garder avec lui et penser à recharger.
Pour chapeauter le tout, c’est un opérateur privé de télésurveillance, Allianz, qui veille au respect des distances préétablies, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. A la chancellerie, on précise que cet opérateur, déjà en charge des téléphones grave danger (un millier de ces appareils sont en circulation, fournis aux femmes victimes de violences conjugales pour donner l’alerte en cas de péril immédiat), dispose d’une «expérience en matière d’aide aux victimes». A tout moment, la personne peut demander à être rappelée, envoyer des SMS préenregistrés, joindre les opérateurs ou déclencher un signal d’urgence, via un appui prolongé sur une touche dédiée.
«Zone tampon»
L’auteur, lui, peut aussi être contacté par téléphone ou par SMS par l’entreprise de télésurveillance, ou l’appeler de lui-même, par exemple pour s’expliquer sur l’un de ses déplacements. Si le périmètre à risque de la «zone tampon» est franchi, l’intéressé est contacté par les opérateurs. En cas de non-réponse ou de refus d’obtempérer, les forces de l’ordre sont alertées pour que soit envoyée la patrouille la plus proche, ainsi que la victime, pour «l’aider à se mettre en sécurité», explique la chancellerie. Le magistrat en charge du dossier est alors alerté en cas d’abus, et «prend les mesures nécessaires» (révocation du contrôle judiciaire, incarcération…), précise-t-on au ministère de la Justice.
Ces dernières semaines, nombre de partisans de cette mesure très attendue n’avaient pas caché leur impatience, voire leur agacement, face à des délais d’application jugés trop longs, à l’image du député Aurélien Pradié (LR), à l’origine de la proposition de loi sur le sujet, qui n’hésitait pas à fustiger un «manque de volonté politique». Jeudi, alors que venait d’être publié au Journal officiel le décret tant attendu détaillant les conditions d’application de la mesure, la chancellerie a au contraire vanté une «performance» dans le développement, en quelques mois, d’un dispositif «tout à fait novateur», inspiré de l’Espagne. Déployés dans ce pays depuis 2009, les bracelets antirapprochement semblent porter leurs fruits, puisque le nombre de femmes tuées par leur conjoint ou leur ex est passé de 71 en 2003 à 47 en 2018. A ce jour, aucun homme espagnol équipé d’un bracelet n’a tué sa conjointe ou son ex.
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