Caroline Cordier
Publié le 21/09/20
Des échanges entre des psychiatres et une avocate impliquée dans la défense des droits des patients en soins sans consentement ont mis en lumière les problématiques que peuvent soulever les mainlevées de mesures. Près de dix ans après la loi de 2011, les enjeux à la fois sanitaires et éthiques des mainlevées restent d'une grande actualité.
La nécessité de questionnements partagés et d'échanges entre le champ médical et
le champ judiciaire reste d'actualité, près de dix ans après la loi du 5 juillet 2011.(Tetra/BSIP)
À l'occasion du congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française organisé à Lille (Nord), des professionnels de la psychiatrie et du droit ont échangé le 18 septembre sur les problématiques posées par les mainlevées de soins sans consentement. Près de dix ans après l'instauration dans la loi du contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD) des mesures de soins sans consentement, les enjeux sanitaires et éthiques en la matière restent en effet très présents. L'actualité de ces questionnements partagés entre le champ médical et le champ judiciaire est d'autant plus prégnante que se profile une nouvelle réforme, qui doit conduire à un contrôle par le juge des mesures d'isolement et de contention (lire notre article).
Des points de vue "irréconciliables" ?
En introduction des présentations et débats, le président de la session, le Dr Thomas Fovet, psychiatre à l'unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Seclin (Nord), a regretté que n'aient pu être présents des représentants des magistrats et des usagers. "Mais nous avons la chance d'avoir une psychiatre et une avocate, qui ont peut-être les points de vue les plus "irréconciliables" dans ces problématiques de soins sans consentement", a-t-il souligné, provoquant quelques sourires dans l'auditoire. On peut en effet imaginer, a priori et en schématisant à grands traits — même si la réalité est évidemment plus complexe — que l'objectif premier de l'avocat est d'obtenir une mainlevée pour son client (c'est-à-dire la fin de son hospitalisation) alors que le psychiatre souhaite garder son patient hospitalisé tant que son état de santé le nécessite.
Après avoir brossé en préambule le cadre juridique actuel, le Dr Mathilde Horn, psychiatre au CHU de Lille, longtemps responsable* de l'unité dédiée aux soins sans consentement, a rappelé études à l'appui que la proportion de mainlevées dans le cadre du contrôle obligatoire par le JLD représentent environ 8% de l'ensemble des mesures de soins sans consentement — soit quelque 6 000 mainlevées en 2015 (lire notre article). C'est un chiffre relativement stable au cours du temps, a-t-elle signalé. Or il arrive que des mesures soient levées pour des vices de forme ou de procédure. Les trois motifs sur lesquels reposent la majorité des mainlevées étant, selon ces études, des critères d'admission non remplis, le défaut d'information du patient et des délais de procédure écoulés.
Sorties non préparées
Les mainlevées vont "poser pour nous deux grands types de questions", a souligné le Dr Mathilde Horn. D'une part, "on va voir sortir des services des patients qui présentent encore des symptômes aigus qui selon les psychiatres relèveraient d'une prise en charge hospitalière", ce qui fait "courir des risques" à ces patients et leur entourage. D'autre part, "les sorties [dans ces cas-là] ne sont pas préparées". Le matin, le patient peut être présenté devant le juge et sortir dans la foulée. Dans certains cas, la mainlevée prend effet dans les 24 heures — ce qui peut laisser le temps de mettre en place un programme de soins — mais parfois elle est à effet immédiat, ce qui est "évidemment un délai beaucoup trop court pour préparer la suite, que ce soit sur l'organisation du relais des soins, mais aussi sur le plan des traitements à donner" — car ces traitements nécessitent une adaptation, selon s'ils sont pris dans un cadre hospitalier ou en ambulatoire.
Ces mainlevées "immédiates" seraient de l'ordre de 30% de l'ensemble des mainlevées. "Normalement, la mainlevée ne devrait aboutir que s'il en résulte une atteinte aux droits de la personne qui en fait l'objet ; je pense que c'est vraiment sur cette question que nous nous interrogeons le plus", a commenté la psychiatre. Est-ce qu'une procédure qui n'est pas respectée peut de principe constituer une atteinte aux droits des personnes ? Est-ce qu'un certificat qui est rédigé dans un délai de 24 heures et 30 minutes au lieu du délai légal de 24 heures porte vraiment atteinte aux droits de la personne ?
Réhospitalisations fréquentes
"Tous les juges ne répondent pas de la même manière à cette question", a poursuivi le Dr Mathilde Horn. D'un point de vue médical, "en tout cas, il est très difficile de visualiser et comprendre l'atteinte aux droits" sur ce genre d'exemple. Pour illustrer les enjeux sanitaires des sorties non préparées, elle a ensuite cité une étude sur les mainlevées menée à partir de plus de 140 mesures visant des patients hospitalisés au CHU de Lille, montrant que la moitié des patients ont à plus ou moins court terme été réhospitalisés en soins sans consentement. Et un tiers des patients a été réhospitalisé dans le mois suivant la mainlevée.
En conclusion, le Dr Mathilde Horn a estimé que la question essentielle à se poser est celle de l'intérêt du patient, du respect de ses droits et de vérifier que la privation de liberté est adaptée à son état de santé. Mais s'assurer que le patient bénéficie de soins est "agir dans l'intérêt du patient" et le priver de ces soins est "aussi une atteinte à ses droits". Elle a estimé en conclusion que les médecins avaient "un effort à faire sur le respect de la loi et la qualité de l'information" aux patients. "Notre objectif est finalement le même [que les avocats] celui de l'intérêt du patient, car je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de psychiatres qui aient envie de garder des personnes hospitalisées dans leur service qui n'auraient rien à y faire", a-t-elle ajouté, soulignant que les échanges professionnels sont des temps importants pour avancer dans cette réflexion.
Stratégies différentes des barreaux
Au barreau de Lille, a expliqué Me Julie Paternoster, avocate spécialisée en droit médical, les professionnels ont décidé d'intervenir pour "porter la parole du patient". "Notre déontologie à Lille, dans le groupe commission personnes vulnérables qui intervient dans ce type de contentieux, est d'aller dans le sens de ce que veut la personne que l'on représente, on ne va certainement pas demander une mainlevée si le patient n'en veut pas", a-t-elle développé.
Cette position n'est pas la même partout car dans les barreaux de certaines grandes villes, a-t-elle indiqué, le petit groupe d'avocats qui s'est emparé de cette matière "a fait le choix de ne plaider que des mainlevées, même quand le patient dit à son conseil qu'il ne souhaite pas sortir". Ces avocats disent qu'ils sont dans leur rôle en soulevant toutes les irrégularités possibles et que c'est au juge de décider au final.
L'avocate est alors revenue sur tout le travail de réflexion effectué par le barreau lillois, en lien avec des psychiatres, lorsque la loi a institué le contrôle des mesures par le JLD, qui a abouti à leurs positions déontologiques. "Cela n'allait pas de soi, nous nous sommes posé beaucoup de questions. Sur la teneur du mandat, ce que souhaite le "patient-client", l'avocat pourrait se dire "est-ce que je vais plaider une mainlevée comme le patient le demande alors qu'il n'a vraiment pas l'air d'aller bien ?", explique Me Julie Paternoster. Les avocats ont alors fait un parallèle avec leurs interventions en matière de tutelle et curatelle. "Finalement, nous intervenons pour porter la parole de cette personne devant le juge, et heureusement, sinon qui va la porter ?", a-t-elle souligné. Et d'ajouter que le défenseur n'est pas psychiatre et n'a pas à juger de l'état de santé, et n'est pas non plus le juge chargé d'estimer le bien-fondé et la nécessité de la mesure.
* Le Dr Mathilde Horn est aujourd'hui psychiatre de liaison au CHU de Lille et responsable d'un centre expert sur les dépressions résistantes.
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