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mercredi 19 août 2020

Racisme dans la relation médecin/patient : toutes les armes se justifient-elles ?





« Le Dr. J. Marion Sims avec Anarcha » par Robert Thom. Courtesy of Southern Illinois University School of Medicine, Pearson Museum. Le racisme systémique a bien existé dans la médecine, notamment aux Etats-Unis
Paris, le samedi 3 août 2020 – Nous avons évoqué cette semaine comment la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) avait sévèrement condamné l’initiative d’un groupe de professionnels de santé (baptisé Globule Noir) proposant des listes de médecins ou infirmiers qualifiés de "racisés", en réponse à la demande de certains patients. « La folie identitaire conduit à cela : choisir son médecin en fonction de la couleur de son épiderme et publier des listes de médecins noirs » a déploré la LICRA. L’infirmier à l’origine de l’alerte, Vincent Lautard, membre du Printemps Républicain est revenu dans une tribune publiée par Marianne sur les motivations de son action. « On est clairement ici dans de la discrimination professionnelle basée sur la couleur de peau. Les infirmières considérées comme blanches sont donc exclues de ce processus de recherche de professionnels de santé. Après que j’ai dénoncé leur tweet, leur compte Twitter qui comptait plus de 2900 abonnés a été désactivé. On retrouve quand même des publications sur leur compte Instagram. On peut constater qu’elles ont participé en 2017, au camp d’été décolonial, un camp interdit aux blancs. (…) Ces deux exemples sont certes minoritaires dans le secteur de la santé, mais symbolisent une lame de fond identitaire qui touche l’ensemble de notre société. Nous ne pouvons plus nous voiler la face et laisser les identitaires de gauche comme de droite s’emparer du politique et imposer leur agenda. Nous devons défendre le pacte républicain » s’insurge-t-il.

La position de Vincent Lautard est pourtant loin d’être unanimement partagée au sein de la communauté médicale. Nous l’avons dit, le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG) a publiquement vivement regretté les attaques contre l’association Globule Noir et la disparition de ses comptes Twitter et Facebook. Dans le sillage du SNJMG, de nombreux médecins ont considéré une telle initiative comme doublement légitime. D’une part, parce qu’elle serait expliquée par un racisme considéré comme « systémique » du monde médical, expression reprise par le SNJMG. D’autre part, parce que le libre choix de son praticien par le patient est inaliénable. Ainsi, le docteur Martin Winckler a insisté sur le caractère fondamental de cette liberté, tout en rappelant l’existence de discriminations liées à l’origine, à la couleur de peau ou encore à l’orientation sexuelle chez certains médecins. « Parmi toutes les décisions que nous devons prendre, aucune n'est plus cruciale que le choix de la professionnelle* de santé à qui nous demanderons des conseils, un soutien, des soins. La liberté pour chaque citoyenne de choisir son médecin est écrite en toutes lettres, et au tout début du Code de déontologie, lui-même issu du code de la Santé publique. (…) De ce principe découle une règle simple (et pourtant très souvent enfreinte) : une personne n'a pas à justifier de son choix. Si je préfère être soignée par une femme plutôt que par un homme, c'est mon droit le plus strict. Si je préfère avoir affaire à une professionnelle dont la peau est de la même couleur que la mienne, c'est mon droit le plus strict. Cela ne sera pas toujours possible, certes, mais ce droit est, en lui-même, indiscutable » insiste-t-il. « A l'ère de l'internet et des réseaux sociaux, quoi de plus logique alors que de mettre en commun des noms, pour en faire des annuaires de soignantes bienveillantes, gay et lesbian-friendly, non grossophobes, non transphobes, non racistes - et pourquoi pas des soignantes gay et lesbiennes, en surpoids, transgenres et racisées ? » observe-t-il. Ainsi à ses yeux, ceux qui s’offusquent de l’existence des listes de médecins noirs ont pour volonté implicite de mettre à mal la liberté fondamentale de choix de son médecin.

Une limite ténue entre le choix et la discrimination

Cette démonstration du docteur Winckler est en effet parfaitement applicable aux listes qui existent effectivement sur internet, tendant à recenser les professionnels de santé « bienveillants » (ou au contraire « maltraitants ») avec telle ou telle catégorie de patients. Même si l’on peut reprocher à ces recensements de se baser principalement sur un "ressenti" qui n’est pas parfaitement objectivable, le critère de jugement ici n’est pas la couleur de peau ou l’orientation sexuelle mais bien une pratique. La situation apparaît différente quand il s’agit de ne retenir que la couleur de la peau ou l’âge ou le sexe. « Oui le patient peut choisir son soignant c’est la loi. Cependant la discrimination et le racisme sont punis par la loi. Donc un patient ne peut pas choisir son professionnel de santé sur des motifs discriminatoires ou racistes. Certains de la gauche identitaire voudraient donc que des patients noirs puissent être soignés par des médecins ou infirmiers noirs, c’est la porte ouverte à toutes les dérives, c’est une sorte d’apartheid en version soit disant progressiste. Imaginez-vous un patient blanc raciste qui refuse les soignants noirs, ça serait scandaleux. Mais selon les théories de la gauche identitaire, ça serait donc acceptable ! » objecte sur Twitter Vincent Lautard.

Disparition de l’éloge de la différence

Par ailleurs, légitimer la nécessité d’établir des listes de médecins de telle ou telle origine (dans le but direct de faciliter le choix des patients et non pas uniquement de constituer des groupes d’entraides entre praticiens) sous-entend que pour un soin plus juste et de meilleure qualité, il serait indispensable de se retourner vers une personne nous ressemblant. Bien que cette idée aille à l’encontre du discours tendant à vouloir se concentrer sur ce qui rassemble les êtres plutôt que sur ce qui les différencie, Martin Winckler semble l’assumer : « C'est d'autant plus logique que (ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les psycho-sociologues) on soigne plus volontiers, plus facilement et avec plus de bienveillance, les personnes qui nous ressemblent que celles qui sont très différentes de nous ». Ainsi, rappelle-t-il qu’en dépit de leur serment, les médecins sont influencés par leurs origines et leurs caractéristiques personnelles quand ils soignent, ce qui est évidemment inévitable. Cependant, dans la très grande majorité des cas les praticiens dépassent ces considérations pour apporter des soins de même qualité à tous ; tandis que les agissements manifestement discriminants sont punissables par la loi (même si les sanctions, il est vrai, peuvent être trop rares). Une telle conception consiste qui plus est à rapidement nier que des phénomènes de rejet peuvent exister entre des personnes ayant a priori la même couleur de peau ou la même origine. La militante pour la laïcité Fatiha Agag-Boudjahlat revenant sur l’affaire Globule Noir remarque ainsi : « Avoir le même sexe que son médecin et a fortiori la même couleur que lui ne préjuge de rien, ne protège de rien, ne garantit rien » et préfère retenir : « Un bon médecin, outre l’expertise scientifique, c’est celui qui prend le temps, qui met assez à l’aise pour que ses patients osent lui confier ce qu’ils n’osent dire à autrui ». En outre, la justification des listes de médecins noirs ou asiatiques exclut la possibilité d’un racisme de la part de ces praticiens. Or, Vincent Lautard rappelle : « Malheureusement, nous le savons très bien le racisme est répandu partout et la couleur de peau ne donne pas un totem d’immunité qui permettrait à l’individu de déverser des propos haineux et racistes en toute impunité ». Enfin l’infirmier note que ces recensements posent la question délicate du consentement des professionnels de santé ainsi épinglés.

Où est le privilège blanc ?

Cependant, les défenseurs de cette méthode la justifient en mettant en avant, nous l’avons dit, un racisme qui serait "institutionnalisé" de la communauté médicale en France. A l’instar de ce qui prévaut pour de très nombreux secteurs (justice, police, éducation…), la question est particulièrement délicate à trancher. Les partisans d’une telle thèse se concentrent notamment sur les failles de la formation médicale. Par ailleurs, ils fondent leur argumentation sur les nombreux exemples de défaut de prise en charge ou d’une santé de moins bonne qualité de ceux qui ne sont pas blancs.

Ainsi, sur Twitter a par exemple été signalé que les noirs ont été aux Etats-Unis les premières victimes de l’épidémie de Covid-19. Néanmoins, on peut ici s’interroger si bien plus que le fait d’être noir, c’est le fait d’être pauvre qui représentait ici le premier facteur de risque. Cette observation rappelle comment certains analystes, aux Etats-Unis, s’inquiètent que la question "raciale" ne prenne le pas dans les combats pour l’amélioration des droits humains et l’égalité sur la question "sociale". La mise en garde de plusieurs universitaires américains est notamment commentée dans un récent article de Slate.

Ainsi, alors que récemment la mort d’une jeune caissière blanche, Hannah Fizer, probablement victime de violence policière est loin d’avoir eu le même retentissement que celle de Georges Floyd, « dans la revue Dissent, deux universitaires évoquaient (…) le cas de Fizer pour pointer les problèmes du discours sur le "privilège blanc" dans un contexte où la classe ouvrière dans son ensemble aux Etats-Unis est affectée par des "niveaux d’inégalité obscène". L’article évoque notamment la baisse de l’espérance de vie de la population blanche non diplômée causée par les suicides, l’addiction aux opiacés et les problèmes de santé liées à l’alcoolisme (ce que deux économistes ont appelé les "morts de désespoir") ». Cette analyse met bien en évidence comment les premiers facteurs de difficultés d’accès aux soins ne sont pas nécessairement ethniques, mais également sociaux. Si en France, le système de couverture sociale amoindrit ce phénomène, on ne peut ignorer qu’une partie des obstacles et certains motifs de discrimination éventuelle par le monde de la santé sont liés à la question sociale. Ainsi, ces éléments de lecture suggèrent d’éviter des conclusions trop radicales et de préférer une approche plus complexe des interactions en jeu.

Que l’on veuille ou non considérer qu’il existerait dans la communauté médicale un racisme (ethnique et/ou social) systémique, l’affaire de Globule Noir n’en reste pas moins un révélateur de la tentation communautariste qui s’installe dans notre pays. Est-ce que le monde de la santé peut se satisfaire de telles méthodes ? Est-ce que les propositions d’un praticien tel que Martin Winckler peuvent être acceptées sans remettre en cause des idéaux d’universalisme proches de la philosophie du soin ?

On tentera de se construire une perception en relisant :

La tribune de Vincent Lautard
Le blog de Martin Winckler
Le fil twitter de Vincent Lautard
Le fil Twitter de Fatiha Agag-Boudjahlat



*Martin Winckler a fait le choix pour désigner une personne quelle que soit son genre d’utiliser systématiquement la forme féminine

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