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jeudi 20 août 2020

Frankenstein, Hyde, Génessier… Savants fous, docteurs meurtriers ou pervers hantent les salles obscures

« Le médecin au cinéma » (3/6). Dans des films d’horreur ou fantastiques, le noble personnage du soignant peut devenir un monstre, à l’image de l’illuminé docteur Frankenstein ou du double maléfique de Jekyll.
Par  Publié le 19 août 2020
L’innommable pourrait-il entrer dans une aussi noble vocation que la médecine ? La réalité nous a montré que oui. Le cinéma aussi. Quelques noms : Frankenstein (Frankenstein, de James Whale, 1931) ; Jekyll (Dr. Jekyll and Mr. Hyde, de Rouben Mamoulian, 1931) ; Moreau (L’Ile du docteur Moreau – Island of Lost Souls –, d’Erle C. Kenton, 1932) ; Génessier (Les Yeux sans visage, de Georges Franju, 1960). Autant de profils qui ne disposent pas à l’ovation de 20 heures.
Tirant le médecin vers le type du « savant fou », ces films exposent le rêve prométhéen, tourné cauchemar, de forcer par l’expérience scientifique l’ordre de la nature. Souvent adaptés de classiques de la science-fiction (Mary Shelley, Robert Louis Stevenson, H. G. Wells…), remodelant ces récits dans l’imaginaire collectif, ils résonnent aujourd’hui avec une vigueur nouvelle, à l’heure où les progrès de la science rendent envisageable ce qui fut longtemps tenu pour élucubrations. Consécutive à la crise de 1929, contemporaine de la montée du nazisme, une efflorescence post-expressionniste, sadique, paranoïaque, s’empare du cinéma de genre américain, qui se met à produire des monstres à tire-larigot.
Ce n’est un mystère pour personne, au moins depuis Baudelaire et Lautréamont, que de la plus vive cruauté peut naître la plus suave poésie
Ce n’est un mystère pour personne, au moins depuis Baudelaire et Lautréamont, que de la plus vive cruauté peut naître la plus suave poésie. Que de l’encagement du fantasme puisse s’extraire la plus enivrante des addictions. C’est à ce registre qu’appartiennent les meilleurs d’entre ces films. Il s’y agit toujours d’un transvasement immaîtrisable de la science dans la pulsion, de l’ordre dans le chaos, de la raison positive dans la folie. Extralucidité du cinéma : n’était-ce pas ce déchaînement qui menaçait le monde dans les années 1930 ? A cet égard, comme la caractérisation des personnages y invite dans le film de James Whale, le déplacement du chirurgien à sa créature dans l’usage courant qu’on fait du nom de Frankenstein en dit long. Le docteur, illuminé falot, s’efface devant le monstre, sensible, qui n’est que la projection d’un autre lui-même.
Ainsi en va-t-il du docteur Jekyll – autre mythe, adapté plus de vingt fois au cinéma depuis 1908 – qui dispose, dans un seul et même personnage considéré comme salvateur (le médecin), le retour organique de l’abjection et de la mort. Placé sous le signe éminemment cinématographique de la dualité et de la transformation, le récit a séduit John Barrymore, Fredric March, Spencer Tracy, Terence Fisher, Jean-Louis Barrault, Anthony Perkins, Isabelle Huppert, autant de vedettes – et non d’acteurs spécialisés dans le genre comme Boris Karloff – qui se sont prêtées avec délice au point d’orgue de leur propre métamorphose en bête. Renouant avec les forces primitives dans lesquelles s’originent tant l’art du jeu que celui de la médecine, il s’agit ici, pour l’acteur comme pour le spectateur, de ne plus s’appartenir.

Folie mégalomaniaque

Dans L’Ile du docteur Moreau – qui traduit de manière attristante Island of Lost Souls, l’« île des âmes perdues » –, l’immense Charles Laughton est un chirurgien qui se prend pour Dieu. Bouc noir, costume blanc, regard torve, suintant la folie mégalomaniaque, il dirige dans une nature luxuriante un monde post-humaniste soumis à sa loi et à son bistouri, où les animaux s’hybrident en humains et forment une société d’esclaves réunis par le mantra : « Are we not men ? »
La piété filiale sauverait-elle le professeur Génessier (Pierre Brasseur), qui kidnappe des jeunes filles pour greffer leur visage sur celui de sa fille, grièvement accidentée ? C’est peu probable. Demeure bourgeoise de banlieue, fille masquée, blanche comme la mort, promenant sa souffrance, chiens qui hurlent à la lune, musique biscornue, médecin écorcheur assisté d’une rabatteuse italienne, tout cela, qui est du grand Franju, est envoûtant et donne, avec Les Yeux sans visage, le plus beau film fantastique français.
C’est qu’à l’instar de ce film, la médecine, qui rêve de résurrection, est fille de la mort et s’avance masquée. Un sinistre fait divers écossais des années 1820 inspirera à cet égard deux films. William Burke et William Hare, agissant pour le compte du médecin légiste Robert Knox, ne se contentent plus de lui trouver des cadavres, ils les fabriquent en série. Robert Wise en tire un récit au romantisme frénétique, Le Récupérateur de cadavres (Robert Louis Stevenson’s The Body Snatcher, 1945), avec l’acteur anglais Henry Daniell en praticien, et Boris Karloff en exécuteur des basses œuvres, âme damnée du médecin tournant à sa hantise. Comme dans Frankenstein, auquel ce film rend explicitement hommage, la mort se révèle la compagne secrète de la médecine. L’Impasse aux violences (The Flesh and the Fiends, 1959), de l’Anglais John Gilling, donnera une version plus farcesque du même canevas, dans le cadre de la célèbre firme Hammer.
Le thriller médical pointe ici son nez. Il donnera sa mesure dans les décennies à venir. Dans Traitement de choc (1973), d’Alain Jessua, Alain Delon, alias le docteur Devilers, pompe le sang de jeunes immigrés portugais dans son institut de thalassothérapie breton pour cadres supérieurs vieillissants. Dans Sept Morts sur ordonnance (1975), de Jacques Rouffio, Charles Vanel, chef de clan pervers et directeur d’une clinique prospère de Clermont-Ferrand, pousse ses concurrents au suicide. Dans Morts suspectes (Coma, 1978), du médecin et réalisateur Michael Crichton, des médecins hospitaliers font passer l’arme à gauche à de jeunes et robustes patients pour alimenter un trafic d’organes.

Un Mengele fabriquant des clones d’Hitler

C’est ici la corporation et l’institution médicales elles-mêmes, réduites à la défense des plus sordides intérêts, qui sont stigmatisées. Arrivé à ce moment du débat sur les forces du mal médical, seul un point Godwin ou, selon l’expression de Leo Strauss, une « reductio ad Hitlerum » permettra de finir en beauté. « Reductio ad Mengelum » pour être précis, en référence à Josef Mengele, médecin et officier SS qui sévit à Auschwitz.
Dans Marathon Man (1976), de John Schlesinger, thriller de bonne facture, Laurence Olivier incarne un « Dr. Szell » terrifiant, qui dans une scène de torture dentaire d’anthologie s’en prend à un étudiant en histoire juif (Dustin Hoffman) pour retrouver un trésor de guerre planqué à New York. Deux ans plus tard, dans le nanar Ces garçons qui venaient du Brésil (The Boys from Brazil, 1978), Franklin Schaffner reprend Laurence Olivier pour incarner cette fois le chasseur de nazis Simon Wiesenthal, qui s’oppose à un Gregory Peck déclinant dans le rôle d’un Mengele fabriquant des clones d’Adolf Hitler.
La réalisatrice Lucia Puenzo profite, quant à elle, du tranquille séjour de Mengele en Argentine pour jeter une lumière accusatrice sur les années sombres de son pays dans Le Médecin de famille (2013). La France ne dispose pas d’équivalent de Mengele en matière de médecine homicide. Elle a, en revanche, Marcel Petiot, généraliste de quartier liquidant les juifs dans sa cave parisienne et pillant leurs biens au prétexte de les aider à fuir les nazis. Christian de Chalonge aura eu l’intrépidité de lui consacrer un film baroque (Docteur Petiot, 1990), avec l’équivoque Michel Serrault dans le rôle-titre. Equivoque qui résume la sombre épopée de ce chapitre, alors qu’administrent la mort ceux-là mêmes qui sont censés nous en détourner.

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