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mercredi 19 août 2020

Maria Montessori : comment la psychiatre a lancé sa première école, à Rome, en 1907

Par   Publié le 04 août 2020









Rome, 6 janvier 1907, jour de l’Epiphanie – la fête des enfants en Italie. Dans la cour du 58, via dei Marsi, le public est aussi nombreux que les bambins, dont c’est la rentrée des classes. Journalistes, politiques, universitaires, camarades féministes ou simples curieux, tous sont venus là comme au spectacle. Lorsque la directrice, Maria Montessori, fait découvrir à la cinquantaine d’enfants leur salle de classe, elle sait que sa carrière se joue là, à quitte ou double.
En ce matin d’hiver, la femme médecin la plus célèbre du pays inaugure sa première école. Rien n’est habituel. Le lieu ? Le rez-de-chaussée d’un immeuble du quartier « mal famé » de San Lorenzo. Les élèves ? Agés de 3 à 9 ans, vêtus de guenilles, tous habitent les étages en surplomb. La salle de classe ? Meublée de quelques tables et de chaises dépareillées, décorée d’une reproduction de la bienveillante Vierge à la chaise, de Raphaël. Dans un recoin, une armoire où « la Montessori », comme on l’appelle déjà, range son matériel pédagogique.

La démonstration tourne vite au fiasco. Les enfants, engoncés dans des blouses bleues au tissu trop lourd, pleurent, crient et n’en font qu’à leur tête, comme si l’intensité du moment les avait rendus plus nerveux que jamais. Maria Montessori, elle, fait bonne figure. Elle distribue des cubes et répond aux reporters ; embrasse les inconsolables et sourit aux philanthropes. Elle a changé depuis ses débuts d’étudiante en médecine à la prestigieuse Sapienza de Rome. Bien sûr, il y a toujours son chignon, ses chapeaux, ses toilettes fleuries, mais sa silhouette a forci, elle a gagné en prestance. A bientôt 40 ans, c’est une signora charismatique.

Des meubles à la taille des enfants

Au vu de la pagaille, des spectatrices, mains sur le cœur, en appellent à une intervention divine. Seul un miracle pourrait sauver ces gamins – et la réputation de leur directrice, spécialiste des enfants « à problèmes »… Un miracle : c’est à peu de chose près la mission que lui a confiée Edoardo Talamo, l’ingénieur chargé de la rénovation du quartier de San Lorenzo.
Après avoir livré seize bâtiments neufs, il n’avait pas prévu qu’une fois les résidents au travail, leurs enfants, livrés à eux-mêmes, mettraient le bazar dans les halls et commettraient leurs premiers larcins. Talamo s’est alors tourné vers la « Montessori » en lui offrant un rez-de-chaussée par bloc d’immeubles. Libre à elle d’y mettre en pratique ses théories éducatives, les techniques ludiques rodées auprès des handicapés mentaux, du temps où elle œuvrait à la clinique psychiatrique de l’université de Rome.
Passés les tracas de l’Epiphanie, la psychiatre devenue pédagogue applique donc sa doctrine, fondée sur l’autonomie, la curiosité et la coopération. Elle fait façonner des meubles à la taille des enfants, et des « matériaux » didactiques inédits, dont elle fournit ses propres esquisses aux artisans (planches à écrous, cubes encastrables, lettres rugueuses…). En quelques semaines, le rez-de-chaussée se transforme en une sorte de maison de poupées, style Liberty, où les élèves s’épanouissent chaque jour un peu plus. Ces gamins sales et mal nourris sont lavés et pesés.
Peu à peu, les « sauvages de San Lorenzo », comme elle les définira plus tard, se laissent absorber par les bouliers, les lacets, et les activités à leur portée (ménage, jardinage…). Le « miracle » de San Lorenzo est chroniqué dans les gazettes. La dottoressa observe, remplit des fiches d’observations, forme les maîtresses, puis supervise l’inauguration d’autres « maisons des enfants » dans la capitale.
Epaulée par un trio d’admiratrices devenues ses collaboratrices (deux Italiennes, Anna Fedeli et Anna Maccheroni, et une Américaine, Adelia Pyle), elle s’affirme comme une meneuse, capable d’alterner douceur et sévérité, bons mots et vacheries, sans perdre sa capacité d’émerveillement presque enfantine. C’est elle qui accueille les personnes désireuses de constater les prodiges de son labo éducatif. Parmi les visiteurs, la reine Marguerite de Savoie ne se lasse pas de contempler ces bambins si concentrés, en particulier à l’heure du déjeuner, lorsqu’ils se servent à tour de rôle, comme dans une trattoria autogérée.

Best-seller instantané

La dottoressa, qui exècre l’oisiveté, profite de l’été 1910 pour coucher par écrit les enseignements de son expérience. La Méthode Montessori, imprimée chez un typographe du Latium, est un best-seller instantané, traduit dans une vingtaine de langues. Si bien que Maria abandonne son poste de médecin pour se consacrer à temps plein à la promotion de ses écoles et de son matériel pédagogique qu’elle a fait breveter à son nom dès qu’elle en a perçu le potentiel.
Pareille histoire ne pouvait échapper aux Américains. Surtout pas à un certain Samuel S. McClure. Ce publiciste chevronné, propriétaire d’un magazine qui porte son nom, aime dénicher et promouvoir des histoires vendeuses. A l’hiver 1911, il commande un premier article sur la fameuse dottoressa. Tout y est : l’héroïne au caractère bien trempé, le décorum italien… En 19 pages très illustrées, le reportage publié dans McClure’s magazine fait sensation. Le courrier des lecteurs – surtout des lectrices – est saturé de messages enthousiastes. Alors McClure voit plus grand : et s’il devenait lui-même l’imprésario américain de cette Italienne ? Il y aurait, pressent-il, un joli pactole à la clef… Il faut dire que la traduction américaine du livre s’arrache à 5 000 exemplaires en quatre jours, et qu’une forme de « Montessori-mania » enfièvre la bourgeoisie progressiste. Des Américaines se rendent même à Rome pour consulter la dottoressa.
Alors qu’elle vient d’emménager dans un vaste appartement avec vue sur la Piazza del Popolo, Maria Montessori donne un premier séminaire à destination d’un public étranger. Une session organisée par son comité de soutien américain, où siègent Alexander Bell, l’inventeur du téléphone, Margaret Wilson, la fille du président, et l’inévitable McClure ; 87 étudiants venus du monde entier – dont 67 des Etats-Unis – se regroupent dans son immense salon. Maria commence par leur distribuer la photo de sa mère Renilde, tout juste décédée, à l’âge de 72 ans. En souvenir de cette femme qui a toujours cru en elle et lui a appris l’art de la liberté, elle portera à jamais le deuil et ne se vêtira plus que de noir. Son père, au rôle tout aussi essentiel dans son parcours, est désormais veuf. A plus de 80 ans, il se déplace en chaise roulante et vit auprès d’elle, très fier de sa réussite.

Un circuit promotionnel aux Etats-Unis

Devant son public anglophone, Maria Montessori rôde le modèle de ses conférences. Debout dans un coin de la salle, surélevée sur une estrade, elle s’exprime en italien, posément, ne quittant jamais son auditoire des yeux. Chaque phrase, appuyée d’une gestuelle de chef d’orchestre, est répétée par sa traductrice. « Ce que doit savoir l’enseignant, c’est comment observer », martèle la maîtresse de maison.
Au retour, ses disciples dissémineront la méthode sur tous les continents. Mais Maria rechigne encore à traverser l’Atlantique. Comment le pourrait-elle alors qu’à proximité de Rome grandit son fils Mario ? Cet enfant né hors mariage, qu’elle fut contrainte de cacher et de placer dans une famille d’accueil pour préserver sa carrière aura bientôt besoin d’elle. Devenu adolescent, il se doute que cette mystérieuse et si bienveillante signora qui lui a parfois rendu visite, n’est pas n’importe qui… Un jour de février 1913, il l’appelle pour la première fois « maman ». Maria décide de le ramener à Rome. Personne n’osera lui demander qui est cet ado omniprésent auprès d’elle.
McClure, de son côté, ne ménage pas ses efforts pour la convaincre de se rendre aux Etats-Unis. En novembre 1913, l’imprésario lui présente son plan d’attaque : un circuit promotionnel avec visites d’écoles, supervision de la distribution de son matériel pédagogique, et de multiples conférences sur la Côte est. Montessori superstar, ni plus ni moins. Un « deal » qui rapporterait à Maria 1 000 dollars et 60 % des recettes de ses « shows ». La dottoressa accepte le défi. Elle embrasse Mario et part à la conquête de l’Amérique.

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