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jeudi 18 juin 2020

Hôpitaux psychiatriques : soigner à double tour

Par Eric Favereau — 
Aujourd’hui, un Français sur cinq souffre de troubles mentaux, et près d’un quart des personnes hospitalisées le sont sans leur consentement.
Aujourd’hui, un Français sur cinq souffre de troubles mentaux, et près d’un quart des personnes hospitalisées le sont sans leur consentement. Photo Yann Castanier. Hans Lucas

Dans un rapport rendu public mercredi, Adeline Hazan, contrôleure des lieux de privation de liberté, s’alarme du recours de plus en plus systématique à l’enfermement des patients, entre autres atteintes à leurs droits.

C’est un regard unique sur l’univers de l’hospitalisation en psychiatrie en France que pose le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), dans un rapport rendu public mercredi. Et il est inquiétant, avec la confirmation d’une folie bien française : un goût immodéré pour l’enfermement. On enferme en effet de plus en plus, et cela sans le consentement du malade. On isole aussi, voire on attache. Seul élément positif, ces pratiques sont de plus en plus interrogées, voire discutées au sein des établissements.

Depuis qu’elle est à la tête du CGLPL, Adeline Hazan et ses équipes ont procédé à une radioscopie complète des lieux, visitant la totalité des établissements psychiatriques, avec un objectif : observer comment sont respectés les droits des patients. Une nouveauté. Car jusqu’au début des années 2000, cette question était de fait peu abordée, la prise en charge de la maladie mentale évoluant dans un monde à part, avec ses propres règles et avec un rôle clé attribué au psychiatre, celui-ci s’estimant seul garant des droits de son malade. Avec la diminution forte du nombre de lits mais aussi la montée en puissance du sécuritaire, les repères en psychiatrie ont changé. Et les pratiques, également. Depuis une vingtaine d’années, le nombre d’hospitalisations sans l’accord du patient a augmenté régulièrement, au point de les banaliser.
Aujourd’hui, un Français sur cinq souffre de troubles mentaux. «342 000 personnes ont été hospitalisées dans un établissement public ou privé en 2018. Parmi celles-ci, 80 000 ont été prises en charge sans leur consentement», remarque le CGLPL. C’est-à-dire près d’un quart : c’est énorme. Il y a vingt ans, c’était deux fois moins. «La part des soins sous contrainte dans les admissions croît de façon préoccupante, s’alarme le CGLPL, cela va jusqu’à représenter 40 % d’entre elles dans certains établissements.» Faut-il le rappeler ? Il n’y a qu’en psychiatrie que l’on peut soigner sans l’accord du patient.

Banalisation

Cette contrainte aux soins n’est pas sans conséquence. Elle conduit bien souvent les professionnels à s’autoriser «une contrainte au corps se traduisant en une contrainte aux comportements : horaires, tabac, visites, etc.» Voire à isoler les patients dans des chambres spéciales, et parfois à les attacher pendant des jours, voire des mois. «Or, fait remarquer le CGLPL, les personnes admises en soins psychiatriques sans leur consentement sont parmi les plus vulnérables, les moins capables de défendre leurs droits et leur dignité.»
Qu’a vu le CGLPL durant cette centaine de contrôles effectués à travers l’Hexagone ? Une sorte de banalisation inquiétante. Exemple d’une visite au centre hospitalier spécialisé de Blain (Loire-Atlantique) en 2018 : «Faute de chambre disponible, des patients nouvellement admis sont parfois hébergés en chambre d’isolement.» Bref, on isole, faute de mieux et faute de place. Et on s’y habitue : «La culture de l’enfermement et des restrictions dans le champ psychiatrique est intériorisée par tous : soignants, famille et proches, patients aussi. L’ensemble perpétue le refus de s’interroger sur les pratiques, la compatibilité de l’enfermement et des restrictions qui l’accompagnent avec le soin», analyse le CGLPL.
Autre cas, à l’hôpital du Forez à Montbrison (Loire) en 2017 : on y a pris l’habitude d’enfermer ceux qui ont eu le malheur de vouloir se suicider. «Presque toutes les tentatives de suicide font l’objet de ce type de placement. Le patient est immédiatement contenu au sein de ce service, un lit est d’ailleurs prééquipé avec du matériel de contention et il est transféré en secteur d’isolement sous réserve de la disponibilité d’une chambre.» Et quand il n’y a pas de place, «le patient est contenu dans le couloir des urgences». Lors d’une visite au centre hospitalier Edouard-Toulouse à Marseille, en 2016, les contrôleurs ont aussi constaté «que le recours à l’isolement était important : sur les 871 patients des unités adultes, 369 (soit 42,36 %) ont fait l’objet d’une mise en chambre d’isolement, pour une durée moyenne particulièrement longue de 12,51 jours». Enfermés, isolés, mais aussi privés d’un minimum de liberté dans les gestes quotidiens, alors que bien souvent rien ne le justifie cliniquement.

Infantilisation

Au centre hospitalier de Novillars (Doubs), «malgré la volonté affichée d’offrir une prise en charge de qualité, les moyens humains sont insuffisants et conduisent le personnel soignant à adopter des pratiques portant atteinte à la liberté d’aller et venir et à la dignité des patients. Dans une unité de long séjour, un seul soignant est présent durant la nuit. En conséquence, les patients sont systématiquement enfermés dans leurs chambres durant toute la nuit alors même que ces chambres ne sont pas équipées de sanitaires, ni de sonnettes d’appel». Encore un exemple, cette fois dans un établissement du Grand-Est : les unités sont toutes fermées, à l’exception d’une seule ; certains patients en soins libres disposent d’un badge leur permettant d’ouvrir la porte, ce qui permet aux responsables d’affirmer qu’ils peuvent sortir à leur guise. «Ce qui est inexact puisque la détention de ce badge est subordonnée à l’autorisation du médecin.»
Et puis il y a aussi la question faussement anecdotique de fumer, avec tout un tas de réglementations absurdes, à la Kafka : «Le résultat est souvent une situation humiliante, à tout le moins infantilisante, constate le CLGPL. Dans une unité, les patients ne sont autorisés à fumer que quatre fois par jour à raison d’une cigarette à chaque pause.» Dans une autre, les règles appliquées sont différentes, sans raison. Un règlement précise ainsi «qu’aucune cigarette n’est distribuée en plus, y compris pour dépanner les patients qui n’en ont pas». Pourquoi ces mesures aux airs de punition ? Quant aux relations avec les proches en visite, tout est aussi aléatoire. Parfois elles sont totalement interdites, «au motif qu’ici, c’est un lieu de soins». Et que dire du tabou des relations sexuelles des patients qui sont «éminemment dépendantes des équipes et rarement évoquées» ? Des conditions de vie, au quotidien, parfois indignes. Ainsi, à l’hôpital de Saint-Egrève, près de Grenoble, ce constat effectué en 2018 : «Toutes les chambres disposent de toilettes, de douche et d’un accès à l’eau, mais dans une pièce séparée par une porte toujours fermée. Les patients doivent appeler pour se rendre aux toilettes.» «Lors de ces visites, nous avons pu constater qu’aucun établissement ne ressemble à un autre, chacun ayant ses habitudes, ses règles», note en conclusion le CGLPL. Un aléa bien peu thérapeutique.

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