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samedi 2 mai 2020

« On boit pour se tranquilliser » : quand le confinement influe sur la consommation d’alcool

Si une minorité de personnes dépendantes semblent profiter du confinement pour réduire leur consommation, les témoignages confirment une hausse, voire une reprise, de la demande d’alcool.
Par  Publié le 1er mai 2020
Le climat anxiogène du confinement peut entraîner chez certaines personnes une augmentation de la consommation d’alcool.
Le climat anxiogène du confinement peut entraîner chez certaines personnes une augmentation de la consommation d’alcool. PHILIPPE HUGUEN / AFP
« Le confinement est arrivé, il n’y avait pas grand-chose à faire, je suis retombé dedans. » Avant le 16 mars, Baptiste (les prénoms ont été modifiés) comptait les jours. A rebours de la majorité de la population, c’est quand les mesures de distanciation sociale ont débuté qu’il a arrêté de compter. Le calendrier s’est enrayé au bout de quatre-vingts jours, lorsque le jeune homme de 31 ans a ouvert sa « cannette de 8.6. », après deux mois et demi d’abstinence.
« Le confinement est une période de déstabilisation émotionnelle, qui favorise ou renforce les situations de dépendance », constate Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération addiction, qui regroupe plus de 200 associations, confirmant « une majoration de la consommation d’alcool ». Pour expliquer cette hausse, les personnes dépendantes, majoritairement des hommes, évoquent pêle-mêle « l’anxiété »« la solitude », « la perte de rythme » ou encore « la pression familiale » induites par les mesures de distanciation sociale.

« Le confinement met tout un chacun devant les maillons faibles de sa vie », résume Mokka Lorberg, psychothérapeute spécialisée en addiction, elle-même abstinente depuis trente ans. Si certains ont augmenté, voire repris leur consommation d’alcool, la psychothérapeute assure que d’autres « profitent de cette période pour réfléchir à leur rapport à l’alcool et éventuellement réduire leur consommation ».

« Le moment n’est pas propice »

Son rapport à l’alcool, Baptiste le voit comme « un long combat ». Avec le ton résigné de l’habitude, le célibataire décrit cette « rechute » comme un « événement constitutif » de son parcours depuis dix ans. « Il y a toujours eu des cycles où j’arrête puis je reprends », commente ce murailler (dont le métier consiste en la construction de murs en pierre sèche) installé dans une forêt au cœur du Vaucluse.
« Quelqu’un de dépendant va y penser toute la journée : il pense aux verres qu’il boit et à ceux qu’il ne boit pas », commente Mme Lorberg. « L’addiction, ça ne s’arrête jamais », confirme Patrick, médecin, alcoolique de 53 ans. Ce père de trois filles évoque en premier lieu « le climat anxiogène du confinement ». « On pressent un changement, on se sent largué, le monde va changer, on est seul avec notre fardeau, alors on boit pour se tranquilliser », confie celui qui recherche « l’état d’abrutissement permanent » depuis le 16 mars.
« Le vin arrondit les angles, ça rend la vie moins désespérante, je me dis que ça va s’arranger », abonde Jean, artiste peintre de 65 ans, qui « serait fou » sans sa bouteille quotidienne. « Dès les premières gorgées, c’est instantané, je suis mieux, je commence à m’évader, à m’engourdir, à oublier », commente Baptiste, qui reconnaît toutefois « un sentiment de honte après avoir craqué ».

Modifier son rapport au temps

Selon Patrick, praticien à l’hôpital, au chômage partiel depuis la mi-mars, le confinement a également marqué « l’arrêt d’une routine » qui lui permettait de freiner sa consommation d’alcool. « Tromper l’ennui »« remplir le vide des journées »« éviter de tourner en rond »… face à la perte de repères temporels provoquée par le confinement, de nombreuses personnes dépendantes voient dans l’alcool un moyen de « diluer le temps ».
« C’est une occupation, ça fait passer les journées plus vite », résume Baptiste, qui décrit, comme de nombreux autres, un sentiment de « déresponsabilisation » face à sa consommation : « Dans ces conditions, boire a peu de conséquences : je ne vois personne et je ne dois pas aller bosser. »
La première bière arrive donc de plus en plus tôt : 8 h 30 le jour où nous l’avons contacté. A l’instar de Baptiste, beaucoup disent attendre avec impatience la reprise de leur activité, pour mieux « maîtriser » leur consommation. « Le travail, qui constitue un regard extérieur, est un élément protecteur », souligne Jean-Pierre Couteron, psychologue clinicien, qui exerce dans un centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).
« Quand je travaille, j’ai un rythme sérieux, je ne bois pas le matin », confirme Baptiste, qui explique consommer habituellement quatre bières par jour, auxquelles s’ajoute désormais une demi-bouteille de rhum. Patrick, lui, a doublé sa consommation, buvant en cachette, loin du regard de ses filles. Le médecin compte en nombre de verres, une centaine par semaine, « de quoi ressentir des tremblements et un bon mal de ventre ». Julien, 29 ans, participe chaque soir, jusqu’à l’ivresse, à des « apéros Skype », « en alternant les groupes d’amis ». Abstinent depuis deux ans, Edouard, 53 ans, assure qu’il serait « passé, pendant cette période particulière, d’un alcoolisme du soir à un full-time alcool ».

Suivi à distance

« Cette consommation excessive s’explique également par l’incapacité des personnes dépendantes à gérer leur stock de boisson », commente le psychiatre Jean-Michel Delile, président de la Fédération addictionune structure qui regroupe des acteurs de la médecine de ville et des hôpitaux. « Avoir un stock, pour moi, c’est impossible ; si j’ai plusieurs bouteilles, je sais que je les boirai jusqu’à la dernière », commente Jean, qui s’impose « de manière draconienne » de ne pas aller acheter de vin avant 18 heures, faisant ainsi ses courses quotidiennement. Patrick, lui, a vidé en trois jours son stock d’alcool censé durer une semaine. Pour Baptiste, le budget consacré à l’alcool est passé de 200 euros à 400 euros par mois.
Caviste dans le Morbilan – où le préfet a interdit la vente d’alcool fort, avant de revenir sur sa décision – Maxime reconnaît avoir « vendu du whisky à des personnes paniquées à l’idée de ne plus avoir de bouteille ». « Plutôt que d’interdire la vente d’alcool, il faut mettre en place des dispositifs pour assurer un suivi des personnes alcooliques en période de confinement », estime Mme Latour.
Comment venir en aide à ces personnes dépendantes ? Si Mme Lerberg reconnaît que plusieurs patients ont renoncé à être suivis durant cette période, la psychopraticienne maintient avec d’autres un contact à distance, organisant des rendez-vous téléphoniques réguliers. Tous les dimanches, elle organise également des groupes de parole en ligne. Des rendez-vous à distance salutaires mais imparfaits. « C’est une discipline où le contact est important : la gestuelle, les silences, le regard, la façon de marcher, une petite veine qui se colore », détaille Amine Benyamina, addictologue, président de la Fédération française d’addictologie.
Selon Jean-Michel Delile, le suivi à distance peut toutefois inciter certaines personnes à commencer un suivi psychologique. « Les alcooliques ont souvent une phobie sociale, le biais du téléphone les rassure, cela évite d’affronter la personne directement », analyse le psychiatre, qui rapporte avoir de nouveaux patients depuis le début du confinement.
Isabelle, 51 ans, qui buvait une bouteille de rosé chaque jour avant les mesures de distanciation sociale, a depuis régulé sa consommation d’alcool. « A ma grande surprise, le confinement m’a libéré des contraintes du monde professionnel et des relations sociales toxiques », confie cette professeure de lettre au lycée, qui apprécie de travailler à son rythme. Comme elle, 10 % des personnes dépendantes disent avoir réduit ou arrêté leur consommation d’alcool durant le confinement, selon les chiffres communiqués par Santé publique France.
« Pour les personnes dépendantes, qui ressentent souvent une angoisse sociale à l’idée d’être en groupe, le confinement représente un certain confort », constate Mme Lerberg. La psychoclinicienne tient à prévenir : « Dans les deux cas, il faudra gérer l’après. »

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